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La ligue de l’enseignement fête la laïcité avec les amis de Tariq Ramadan

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Il ne faut pas s’étonner si les enseignants ont du mal à reconquérir les territoires perdus de la République.

Fidèle à sa dérive, la Ligue de l’enseignement a décidé de fêter ses 150 ans et la laïcité en compagnie d’Edwy Plenel et du European Muslim network : le think tank grâce auquel Tariq Ramadan fait du lobby à Bruxelles. Bien sûr, aucune des grandes voix ayant défendu la laïcité contre les intégristes n’a été invitée.

Ce n’est pas surprenant. Le noyautage de cette institution, l’une des plus influentes et l’une des plus subventionnées,  a commencé en 1997. Caroline Fourest le raconte dans son livre sur Tariq Ramadan.

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Voici l’extrait de FRERE TARIQ de Caroline Fourest (Grasset, Paris 2004)

Pour réussir son entrée dans la gauche laïque, Ramadan a bien vite compris qu’il lui faudrait une autre caution que celle fournie par le dialogue interreligieux. Il doit absolument pouvoir se revendiquer d’une structure insoupçonnable du point de vue laïque. L’occasion se présente en 1997 avec l’instauration d’une « Commission islam et laïcité » au sein de la Ligue de l’enseignement, l’institution d’éducation populaire laïque par excellence. Du pain bénit.

La Ligue a le profil idéal. L’un de ses présidents a présidé la commission chargée d’établir la loi de 1905. Mais l’association est complexée par une autre histoire, moins glorieuse, celle de son attitude lors de la colonisation. Un autre président, Albert Bayet, a eu une position très ambiguë sur l’Algérie. Il était même plutôt du côté de l’Algérie française. Ce qui embarrasse tous ses successeurs et héritiers. Voilà pour le terrain favorable, sur lequel vient se greffer le parcours individuel de deux militants mêlant marxisme et mysticisme : Michel Morineau et Pierre Tournemire, tous deux à l’origine de la commission, d’abord intitulée « La France, l’islam, perspective d’avenir » avant de devenir « Islam et laïcité » en 1997.

Michel Morineau est un autodidacte qui a reçu une éducation catholique. Il se définit comme « agnostique » mais milite au nom de sa foi chrétienne pour les bonnes causes (il a notamment été président de Chrétiens et sida). Secrétaire général de la Ligue, il est entre autres chargé des relations avec les jésuites.

Ce dirigeant syndical a entendu parler de Ramadan au moment de son interdiction de séjour par Jean-Louis Debré. Depuis, il rêve de le rencontrer. La création de cette commission va servir de prétexte à cette rencontre. C’est le début d’une amitié qui ne s’est jamais démentie depuis. Tariq Ramadan a même dédié son dernier livre d’entretiens au militant de la Ligue : « A Michel Morineau, de « coeur et d’intelligence » sur la route »… Ramadan peut le remercier. Depuis son passage à la Ligue de l’enseignement, il a incroyablement gagné en légitimité et en contacts. Mais Morineau le défend de toute arrière-pensée : « Ceux qui prétendent qu’il a fait de l’entrisme à la Ligue de l’enseignement se trompent. C’est moi qui l’ai invité à participer à la commission « Islam et laïcité ». Il était l’un des rares musulmans à connaître le véritable sens du mot laïcité. Pendant trois ans, nous avons tenu près de 40 réunions. Il n’en a pratiquement manqué aucune. » Il faut dire que les réunions se faisaient souvent en fonction de ses disponibilités…

Quel est l’objectif de cette Commission ?

« Faire l’analyse circonstanciée de la présence musulmane dans la société française pour chercher les voies d’une intégration harmonieuse dans le cadre intangible de la laïcité et de sa philosophie politique. »

Voilà pour la déclaration d’intention. Dans les faits, l’influence croissante d’un Tariq Ramadan va peu à peu renverser la vapeur. Au final, la Commission va surtout permettre au prédicateur de se faire accepter par la gauche laïque, notamment grâce à des colloques organisés avec le Cercle Condorcet, proche des francs-maçons, avec l’UNESCO, ou encore avec la revue Confluences Méditerranées. Au départ, bien entendu, toutes les tendances de l’islam ont été conviées, même celles que Morineau juge visiblement moins fines connaisseuses de la laïcité… comme les musulmans laïques par exemple !

Pendant des mois, sous l’arbitrage de militants de gauche fascinés par l’ambassadeur des Frères musulmans, des musulmans modernistes et anti-islamistes comme Soheib Bencheikh, Leïla Babès ou des représentants de la Mosquée de Paris ont dû faire semblant de pouvoir dialoguer avec les relais des islamistes en France : Larbi Kechat de la Mosquée Adawa et les troupes de Ramadan, – dont Farid Abdelkrim (l’auteur de Maudite soit la France ? !), Fouad Imarraine et Yamin Makri des éditions Tawhid. Les réunions attirent environ 35 personnes, allant des musulmans les plus modernes et rationalistes à ceux qui les traitent dans leur dos de « colonisés » et d’« assimilés » en passant par Hanifa Cherifi, Betoule Fekkar Lambiotte, Gaye Petek, des militants du MRAP et de la Ligue des droits de l’homme comme Michel Tubiana, Serge Jakobowicz, Driss el-Yazami, le père Maurice Lelong, Gilles Couvreur et bien sûr Alain Gresh.

Sans surprise, l’ambiance n’est pas au beau fixe entre les musulmans libéraux et les intégristes. Mais du côté des militants de la Ligue, c’est l’incompréhension.

Jean Offredo, membre du Cercle Condorcet, ne comprend toujours pas pourquoi les uns et les autres étaient incapables de s’entendre : « C’est toujours difficile de savoir s’il ne s’agit pas de querelles personnelles. » En l’occurrence, si querelles personnelles il y avait, elles cachaient surtout un enjeu autrement plus politique : qui des partisans de l’islam laïque ou de ceux de l’islam intégriste aura droit à la reconnaissance de la gauche laïque ?

Grâce au manque de vigilance de certains militants de gauche, ce sont les intégristes qui emportent le morceau. Les musulmans libéraux ne supportent plus de passer pour des intolérants à force de devoir assister, sans broncher, au numéro qu’ils ont connu en Algérie. Ils sont épuisés de voir que les militants de gauche français ne comprennent rien à ce qui est en train de se jouer, ulcérés de devoir endurer les colères de Ramadan chaque fois que l’on évoque al-Azhar, Mohammed Charfi ou Abdel Raziq.

Au lieu de quoi, c’est le petit-fils du fondateur des Frères musulmans qui joue la vedette. La plupart ne viennent plus. Le mufti de Marseille fait savoir pourquoi. Mais les piliers de la Commission n’en tiennent pas compte. Chaque départ de musulman laïque est compensé par l’arrivée d’un émule de Ramadan, notamment issu du milieu lyonnais, montant à Paris aux frais de la Ligue de l’enseignement pour y tenir réunion avec leur maître à penser. Car il faut préciser que, durant trois ans, cette organisation a payé les déplacements (avion + hôtel), non seulement à l’ambassadeur des Frères musulmans mais aussi à ses partisans de l’UJM, du JALB ou de l’UOIF !

Les islamistes pouvaient donc organiser leurs réunions à Paris aux frais de la Ligue, qui est décidément bonne nourricière.

Un jour enfin, les militants de la fédération du Rhône de la Ligue protestent. Ils sont bien placés pour connaître le caractère intégriste parfaitement nocif des groupes que leur organisation est en train de subventionner, mais leurs objections sont ignorées par Paris, où l’ambiance est plus que cordiale entre les islamistes et les militants de la Ligue. Il n’est pas rare que les ligueurs et certains jeunes islamistes aillent au restaurant ensemble après les réunions. Tariq Ramadan s’y rend plus rarement. Comme il le dit lui-même, la « collaboration ce n’est pas le mariage » ! Et puis, il ne goûte pas vraiment les ripailleries et les repas arrosés de vin. Heureusement, lorsqu’une rencontre est prévue sur toute une journée,  Morineau veille à ce qu’il n’y ait pas de porc au buffet et à ce que tout se termine à 16 heures.

Cette mascarade aurait pu continuer longtemps sans l’intervention de Jacqueline Costa-Lascoux, qui préside à l’époque la Ligue de l’enseignement. Ancienne membre du Haut Conseil à l’intégration, elle a fait dix ans de théologie musulmane. Avec elle, le numéro d’esbroufe de Ramadan ne prend pas vraiment. Même si elle est obligée de respecter sa présence au sein de la Commission islam et laïcité, elle supporte de moins en moins l’évolution de la Commission vers un tremplin pro-Ramadan : « Je me suis battue contre ce resserrement sur un seul courant. J’ai vu progressivement ces jeunes changer de relations avec Ramadan, qui devenait le maître, le gourou. Les femmes, elles, venaient de moins en moins. » Elle se souvient aussi de cette réponse, cinglante, faite par le prédicateur le jour où elle lui a demandé de se situer par rapport à la loi de 1905 : « C’est une loi auxiliaire. »

Autant de détails qui n’ont visiblement jamais choqué d’autres ligueurs restés fidèles à Ramadan. Jacqueline Costa-Lascoux a fini par arriver à un constat sévère sur la raison de tant de lâcheté. Elle parle de « comportement naïf et d’ignorance parfois dus à une certaine fascination pour des comportements totalitaires, en tout cas globalisants ». Heureusement, il existe de vrais laïques à gauche et ceux-là vont finir par obtenir l’arrêt de la Commission. En 2000, c’est décidé, la présidente et le trésorier de l’association mettent un terme à la Commission. Un peu tard. Le mal est fait.

En quelques mois, Tariq Ramadan a réussi à approcher tout ce que la place de Paris compte de militants laïques naïfs et il a déjà trouvé des repreneurs.

Michel Tubiana propose d’héberger la Commission au nom de la Ligue des droits de l’homme. Jacqueline Costa-Lascoux accepte mais le met en garde : « O.K. On te refile la patate chaude mais je te préviens, il coûte plus cher qu’une danseuse ! » Ce n’est pas un problème. Alain Gresh, au nom du Monde diplomatique, s’engage à parrainer la Commission.

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