L'une des valeurs qui soit pour moi la plus grande, c'est la liberté. Quand on se trouve confronté à une maladie qui vous en prive, notamment parce que l'on devient extrêmement dépendant et qu'en prime on ne peut plus participer à tous les projets qu'on a essayé de réaliser - et souvent réalisés - on se rend compte que l'on est, malgré la gentillesse de beaucoup de gens que j'ai rencontrés, rejeté de la société. C'est clair et net et c'est peut être la chose la plus difficile à supporter.

Malgré un entourage chaleureux, amical ou fraternel, c'est extrêmement difficile parce que toutes les personnes qui vous veulent du bien ont peur de cette maladie. Une peur panique alors qu'elle n'est pas contagieuse ! Mais tout le monde croit, dès que la maladie a été dépistée, que les malades doivent être surveillés du matin au soir. On est alors comme en prison. Pas une prison effroyable, en ce sens que les gens qui s'occupent du malade -en tout cas c'est le cas de ma famille- le font avec beaucoup de gentillesse, d'attentions etc, mais on se retrouve complètement KO. Et ça n'est pas supportable...

Lorsqu'on a toujours voulu placer sa vie sous le signe de ses choix, de son autonomie, c'est terrible ! Par exemple, j'ai dû me battre avec la très gentille aide ménagère qui s'occupe de moi pour lui faire admettre que je prenais mon bain toute seule ! Cela a été toute une bagarre... C'est ridicule : elle voulait me laver comme un bébé ! On est complètement infantilisé, c'est fou ! Je n'aurais jamais imaginé cela... Je n'avais jamais vu une maladie conduisant à cela ! Cette adorable personne pensait qu'elle faisait très bien parce que c'est son travail et il a fallu très longtemps avant qu'elle me laisse faire ma toilette sans elle. Ce fut long à lui expliquer avant de trouver un modus vivendi. Si en plus on nous rabaisse de la sorte, cela aggrave encore toutes les pertes parce que, cette maladie, ce n'est qu'un chapelet de pertes, les unes après les autres...

Je suis sûre que tous ceux avec qui je parle le plus souvent en ce moment se rendent bien compte des difficultés qui sont les miennes à m'exprimer, ce qui n'était pas le cas il y a encore quelques semaines. C'est allé très vite. Et c'est vrai, si je veux m'exprimer j'ai un mal de chien alors que dans ma tête cela marche encore très bien. Alors, on est écartelé. Je ne sais plus si ce sont les autres qui abusent ou bien si c'est moi. Et c'est très dommage car tout le monde est de bonne foi et veut m'aider. Mais m'aider, on ne peut pas. Il y a une impossibilité dans cette maladie-là. Tant que la médecine n'aura rien trouvé, et elle n'a rien trouvé, il faut faire comme on peut faire avec et c'est très difficile...

L'année dernière, j'ai été placée tout l'été dans une maison médicalisée. Je n'ai jamais été aussi malheureuse de ma vie que dans cet endroit. Tant que je suis sur mes jambes, que je comprends les autres, j'ai un domicile à moi, je veux rester chez moi... Il y a quelques jours, on m'a emmenée visiter une maison médicalisée. Celle-là, elle était terrible ! Il n'y avait aucune intimité, de toutes petites, petites chambres, avec à peu près aucune activité et, de toutes façons, ces activités-là ne m'intéressent pas. Ces lieux, c'est en dehors de tout ce qu'on aimait, de tout ce qu'on voulait, de tout ce que l'on pourrait encore faire... Et c'est quelque chose de très dur. Une privation de ce qui me restait de vie sociale que je ne peux pas accepter.

Je préfère donc quitter la vie. Pour cette raison et aussi parce que je sais, et c'est pour moi le point le plus important, que cette maladie est dégénérative et que cela va aller de pire en pire. Je vais de moins en moins pouvoir comprendre et pouvoir parler à mes proches que j'aime. Et à cela, la médecine ne peut rien ...

Il arrive déjà que je ne parvienne pas à retrouver les prénoms, les visages de mes soeurs que j'aime beaucoup, elles qui sont les plus proches de moi. Je ne vois pas comment il est possible de supporter cela. On ne le peut pas...

Je me dis que j'ai soixante ans passés, que j'ai eu une assez belle vie quand même, et que j'aimerais qu'elle se termine bien, dans la sérénité. Mon espoir est que pour les enfants, les petits-enfants de ma famille, ou pour les autres, la médecine trouve des moyens de soigner mais, aujourd'hui, des moyens il n'y en a pas....

A présent je suis fatiguée, ce que je viens de vivre a déjà été très dur et ne peut être que plus dur encore. Pour moi, le mieux est de me dire qu'à mon avis j'ai eu une belle vie, pas parfaite - ça jamais !- mais là je me trouve placée devant un mur. Un mur que je ne peux pas traverser alors il faut que je trouve autre chose, ce qui est beaucoup mieux que de me laisser mourir à petit feu...

Si j'avais la certitude que, lorsque je ne pourrai plus supporter, je serais aidée à mourir lorsque je le demanderais, ce serait différent. Mais, actuellement, la loi ne le permet absolument pas. Et moi, je le redis, je ne veux pas devenir un légume...

Pourtant, durant tant d'années je me suis battue pour que cette loi existe. Parce que j'ai toujours considéré que c'est une liberté, une vraie liberté. Même si elle est dure à vivre, pour soi, pour les autres. La dignité ! L'association a bien choisi son nom : c'est à cette valeur-là que nous tenons tellement !

Témoignage enregistré par Odile Dhavernas en mars 2006