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Pour le droit des mères voilées à accompagner les sorties scolaires

La ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud Belkacem, vient d’autoriser les mères portant le voile à accompagner les sorties scolaires. La plupart des organisations laïques sont vent debout contre cette décision. Il y a quelques semaines, c’était plutôt le camp des intégristes qui montait au créneau pour reprocher à la ministre de vouloir défendre l’égalité hommes femmes à l’école. Décidément, la recherche d’un équilibe entre égalité et laïcité n’est pas simple à trouver dans notre pays, rongé par les postures passionnelles dès qu’ils s’agit de ces sujets.

La statut des accompagnateurs

Au coeur de la polémique, le débat porte sur le statut de ces accompagnateurs scolaires. Faut-il les considérer comme de simples parents bénévoles ou du personnel associé à l’éducation nationale et donc soumis aux exigences de neutralité religieuse ?

Le débat est moins juridique que politique. A peu près toutes les instances de ce pays ont donné un avis juridique différent sur ce statut des accompagnateurs scolaires, selon qu’elles soient pour ou contre cette interdiction.

La Haute Autorité de lutte contre les discrimination — plutôt tournée vers l’égalité — a considéré ce refus comme « contraire aux dispositions interdisant les discriminations fondées sur la religion ». A l’inverse, le Haut Conseil à l’intégration — plutôt porté sur l’exigence de laïcité — soutient ce refus.

Deux ministres de droite ont tranché dans des directions différentes. Xavier Darcos a laissé les chefs d’établissements décider au cas par cas. Son successeur, Luc Chatel, a édicté une circulaire permettant d’interdire, par principe, la participation de mères voilées. Vincent Peillon ne l’a pas remise en cause, sans insister sur la question des sorties scolaires dans sa Charte de la laïcité.

Najat Vallaud Belkacem a tranché… En se rangeant à l’avis du Conseil d’Etat. Ce dernier estime que les parents accompagnateurs ne sont pas des « collaborateurs du service public » et qu’ils échappent donc à l’obligation de neutralité religieuse. Ce qui ne veut pas dire que tout est permis, loin de là. La ministre, comme le Conseil d’Etat, insistent sur la possibilité d’appliquer certaines exigences de service public, comme le refus de prosélytisme religieux. Si l’on ne doit pas refuser une mère a priori, parce qu’elle porte le voile, on peut le faire si elle cherche à faire de l’entrisme ou de la propagande auprès des élèves. La balle est donc dans le camp des directeurs d’établissements. C’est à eux d’évaluer la situation et l’intention. Certaines organisations laïques y voient une démission du politique et une trahison de la laïcité. Ce n’est pas du tout mon avis.

Un juste équilibre

Comme j’ai eu l’occasion de l’écrire à plusieurs reprises, quitte à froisser certains laïques, je ne pense pas qu’il faille réglementer la tenue des parents d’élèves comme celle des élèves. Autant, la loi de mars 2004 était tout à fait nécessaire pour sortir du cas par cas et sanctuariser l’intérieur de l’école, autant il faut savoir faire preuve de souplesses quand il s’agit des parents et des sorties scolaires. Pour une raison simple, qui tient à une certaine idée de la laïcité mais aussi de l’école publique.

Elle n’est pas là pour enseigner un modèle absolu mais le droit au doute. Elle doit faire comprendre à chaque élève qu’il est certes l’enfant de ses parents mais aussi un futur citoyen. Ce qui suppose de lui permettre de se construire dans la neutralité religieuse le temps de mûrir ses choix… Si la République laïque doit encourager l’émancipation et le respect de l’égalité chez chaque citoyen en devenir, elle doit aussi (parce qu’elle est démocratique) respecter ces choix — même rétrogrades — une fois ce citoyen devenu adulte. Y compris le port du voile tant qu’il ne dissimule pas le visage et ne porte pas atteinte à la sécurité publique.

C’est la force et la subtilité de notre modèle, fait de droits et de devoirs, d’équilibre entre l’espace de la contrainte (l’école) et l’espace de la liberté (les sorties scolaires), entre laïcité et liberté religieuse.

De la générosité et de la pédagogie

Comment expliquer la générosité et la finesse de cette philosophie à un élève si on interdit à sa mère ou à celle de ses camarades d’accompagner les sorties scolaires comme les autres, alors qu’il s’agit de femmes adultes ?

Ces sorties scolaires sont une fenêtre vers l’extérieur. Les élèves ont bien conscience que les accompagnateurs sont les parents de leurs camarades et pas des professeurs. Il n’est pas possible de régir leur mode de vie comme s’il s’agissait d’enfants, d’élèves ou de personnels représentant l’institution.

Et d’ailleurs, s’il fallait étendre la contrainte aux parents, pourquoi n’interdire que le voile ? Il faut surtout écarter tout parent déséquilibré, alcoolique, intégriste ou raciste. Mais c’est justement ce que permet déjà la loi : trier en fonction des comportements. Ajouter une clause qui vise uniquement et spécifiquement la tenue de certaines mères n’aura qu’un effet désastreux et contre-performant. Celui de faire haïr la laïcité.

Il est déjà difficile d’expliquer à certains élèves que la loi de mars 2004 n’est pas discriminatoire mais émancipatrice. Si l’école devait écarter à priori leurs mères ou celles de leurs camarades, cette pédagogie devient extrêmement difficile pour les enseignants. De fait, nous aurions franchi cette frontière — très fine mais fondamentale — qui sépare la laïcité exigente de la laïcité autoritaire.

Il y a de bien meilleurs combats laïques à mener. Comme résister à l’inflation d’écoles confessionelles intégristes, parfois sous contrat. Pour le coup, cela demande un vrai courage politique.

Caroline Fourest

La chronique sur France Culture