Dans le numéro 16, nous avions décrit le regain d’antisémitisme qu’a vécu la France en octobre 2000. Il nous a paru intéressant de faire le même type d’enquête au sujet du racisme anti‐arabe qui a ressurgi avec force aux États‐Unis au lendemain des attentats du 11 septembre. Comme dans le cas de l’anti‐ sémitisme à l’occasion du conflit au Proche‐ Orient, on s’aperçoit combien les événements internationaux peuvent servir de prétexte au déferlement de haine ordinaire.
Quelques jours seulement après que les avions terroristes aient percuté la vie de plusieurs milliers d’Américains de toutes origines, alors que le Pentagone désignait Ben Laden comme le responsable probable et que les médias se lançaient sur la trace des réseaux islamistes, il ne faisait pas bon être un Américain dérogeant au portrait robot du WASP (de l’Anglo-saxon blanc protestant). Mi-octobre, la US Commission on Civil Rights (UCCR) — qui a établi un numéro d’urgence destiné à recenser les crimes envers les “Américains arabes, et ceux du sous‐continent indien” victimes de violence — disait avoir enregistré près de 200 agressions.Un défer- lement de haine raciste pouvant prendre la forme de la plus insignifiante vexation comme du meurtre, le tout contribuant à instaurer un climat de terreur dont les médias ont finale- ment peu parlé.Comme pour les agressions antisémites qui ont accompagné en France la reprise du conflit au Proche-Orient, c’est auprès des médias communautaires — quasi exclusivement — que l’on trouve la trace de centaines de faits divers qui ont transformé la vie quotidienne de citoyens supposés, à tort ou à raison, arabes, en calvaire.
200 agressions aussi aveugles que racistes
À tort ou à raison puisque l’on peut faire confiance aux racistes pour ne pas vraiment distinguer un Indien d’un Pakistanais ni un Syrien d’un Libanais. Logique puisqu’ils ne distinguent déjà pas un intégriste islamique conduisant un avion d’un Arabe ou d’un musulman tout court ! Résultat, sur les 200 agressions, la plupart des victimes sont souvent des Sikhs ou des émigrés ayant fui l’inté- grisme islamiste dans leur pays pour trouver la mort au nom de l’intégrisme raciste les soupçonnant d’islamisme en Amérique.
C’est ainsi qu’à Houston, un Hindou s’est vu assaillir par un groupe d’hommes l’accusant d’être Arabe, qu’en Arizona un pompiste indien de 49 ans a même été abattu. Ailleurs en Amérique, c’est un Américain d’origine égyptienne qui est mort de ses blessures suite à l’attaque de son magasin à San Gabriel, en Californie. Copte, il avait fui l’égypte et les islamistes qui le harcelaient…
Ali Baba et les 40 agresseurs
Pour ceux qui auraient du mal à compren-dre comment ces brutes primaires peuvent confondre à ce point des Sikhs et les Hindus avec des musulmans intégristes, il faut se rap- peler que la plupart n’imaginent le monde arabe qu’à partir des caricatures de Walt Disney, sous la forme de voleurs enturbannés planant en tapis volant… Ils devraient pourtant réaliser qu’un tapis volant s’écrasant contre le World Trade Center n’aurait pas eu tout à fait la même portée… Qu’importe, la psychose est là et 43 % des Américains ne cachent pas qu’ils seront désormais “plus soupçon‐ neux” envers les personnes d’origine arabe
Le plus grave étant sans doute le fossé qui commence à se creuser entre ces Américains blancs de chez blanc sur la défensive et ceux qui, de par leur origine, peuvent sentir le besoin de se radicaliser en voyant le nombre d’agressions injustes dont ils sont victimes et que personne, exceptés les médias commu- nautaires, ne juge vraiment utile de dénoncer. Aujourd’hui, les associations communautaires musulmanes tentent toutefois de dédrama- tiser (comme l’ont fait en octobre, du reste, les médias communautaires juifs à propos des agressions antisémites en France). Il est vrai que la violence anti-arabe (et associés) des premiers jours suivant le 11 septembre a fini par diminuer.
Notre rôle étant de rester vigilants à ce qu’aucune manifestation de haine, fut-elle ordinaire, ne passe inaperçue, et aussi parce que nous refusons de laisser croire que la lutte contre l’antisémitisme ou le racisme ne concerne que les Arabes et les juifs, nous publions dans les pages qui suivent une liste d’agressions recensées par ces médias com- munautaires, du plus minime (graffitis, mena- ces, insultes) au plus radical. •
Prochoix n°19, hiver 2001