Ils étaient officiellement 10 031 médecins sur 68 778 à être contre l’avortement au moment des débats sur la loi Veil, ils seraient aujourd’hui 17000 en France à faire partie de la Fédération mondiale des médecins pour le respect de la vie…. sur une population globale de 189 252 pratiquants. Si l’on tient compte de la formidable augmentation du nombre des medecins en France, il n’y aurait donc plus que 9% des médecins hostiles à l’IVG contre 16% il y a vingt ans. D’un côté, la mise en application de la loi Veil a convaincu une bonne partie d’indécis, aujourd’hui soulagés de ne plus récupérer des patientes pissant le sang parce que charcutées à l’aiguille à tricoter. De l’autre, il existe toujours un noyau dur de fanatiques sur qui la mort de quelques milliers de femmes n’a jamais fait ni chaud ni froid. Car ceux là ne voient en rien l’avortement comme un problème médical mais politique. Ceux là ne sont pas de simples anti-IVG, ils sont Provie. La non remise en question de l’ordre naturel guide l’ensemble de leur pratique médicale. Et il ne fait pas bon aller consulter chez eux par hasard… L’histoire du mouvement anti-IVG/provie est aussi intimement liée aux parcours militants de certains médecins que le mouvement pro-IVG/prochoix. Là où des praticiens prochoix se sont élevés contre l’hypocrisie d’une législation qui, en ouvrant la voie aux avortements clandestins, tuait alors 370 femmes par an; d’autres s’acharnaient à n’y voir que jérémiades et une tentative diabolique de remettre en cause l’ordre naturel.
1. à l’origine du mouvement anti-IVG
Dès les années 60, le Vatican cherche à s’appuyer sur des médecins pour opposer un front moralisant aux couples qui désirent planifier leurs naissances. En 1961 et à l’initiative du père jésuite Stanislas de Lestapis, une poignée de médecins catholiques- parmi lesquels Maurice Abiven, Charles Rendu et Jérôme Lejeune- créent le Centre de liaison des équipes de recherches (CLER) où ils se chargeront d’enseigner des méthodes naturelles dites contraceptives aux jeunes couples ne souhaitant pas forcément avoir un enfant tous les neuf mois. Et qu’importe si la fameuse méthode thermique est en réalité plus capable d’engrosser par accident que le contraire… Ce réseau de médecins, bâti au sein du CLER, sera la première marche décisive vers un mouvement pour la vie hostile à l’avortement. Dès 1971, la plupart de ses membres sont appelés au chevet de la toute première association officiellement anti-IVG, Laissez-les-vivre. À cette époque, les provie pensent que si des médecins refusent en bloc de ne pas pratiquer l’avortement, il sera impossible de le légaliser. La même année, de jeunes médecins se regroupent pour tenter de riposter face à la campagne de presse qui entoure le procès de Bobigny et fondent l’Association des médecins respectant la vie (AMRV). Dès l’origine, l’AMRV n’est pas une simple association anti-IVG mais provie. Dans ses statuts, l’association prend bien soin d’indiquer qu’elle s’oppose tout autant aux agressions contre l’embryon qu’à l’euthanasie. Dès lors, elle participe à plusieurs manifestations et pétitions importantes, dont la plupart sont initiées par le professeur Jérôme Lejeune. Le 3 février 1973, quand il s’agit de porter plainte contre les 331 médecins qui ont signé un Manifeste reconnaissant qu’ils ont eux-mêmes pratiqué des avortements, c’est encore un médecin, un rhumatologue de Charleville-Mézières, qui porte plainte contre X pour provocation publique à l’avortement. Enfin, en juin 1974, 10 031 médecins signent une Déclaration des médecins de France destinée à soutenir que « l’avortement n’est pas l’acte d’un médecin » .
2. Aujourd’hui qui sont-ils ?
Aujourd’hui encore, vingt ans après la loi Veil, 20% des provie sont médecins. Là où les bienfaits de l’IVG légalisé ont achevé de convaincre les indécis, elle a en revanche mobilisé une arrièrre garde catholique particulièrement tenace. Faut-il croire la Fédération mondiale des médecins favorables à la vie quand elle revendique dans un courrier interne quelque 17000 membres en France ? Probablement. D’autant que cette fédération ne comprend sûrement pas l’ensemble des praticiens décidés à s’opposer d’une façon ou d’une autre à ce qu’ils considèrent contre-nature. De notre côté, en tout cas, nous avons répertorié au moins 3000 médecins ayant clairement pris position contre le droit de choisir. Si, certains, comme le docteur Xavier Dor, vont jusqu’à mener des actions commandos, d’autres s’investissent dans le lobbying provie, d’autres enfin se contentent d’abuser du pouvoir que leur confère leur profession… Mais quelque soit leur moyen d’action, il faut bien comprendre que nous ne sommes plus seulement en face de médecins réticents vis-à-vis de l’avortement mais de militants « provie ». Pour beaucoup, la Bible a plus droit de cité que le Vidal. Leur opposition à l’avortement n’est qu’un révélateur… Au-delà de la question de l’IVG, les provie (sans s) sont partisans de la Vie comme émanation sacrée, divine. Ce qu’ils refusent par-dessus tout, c’est que l’homme puisse remettre en cause l’ordre naturel, qu’il puisse maîtriser la nature, cette oeuvre de Dieu. Cette sacralisation de la vie les conduit à être hostiles non seulement à l’IVG mais à tout ce qu’ils jugent contre-nature : PMA (procréation médicalement assistée), homosexualité, euthanasie ou même péridurale. Cette arme diabolique qui empêche les femmes d’ « enfanter dans la douleur » ! C’est pourquoi, il nous semble si réducteur de les appeler anti-IVG alors même que leur adhésion à la Vie à n’importe quel prix leur fait remettre en cause bien d’autres aspects de la société et de la médecine.
3. Quels sont leurs moyens d’action ?
Ne nous y trompons pas, la plupart des médecins provie sont assez réalistes pour savoir que la loi de Veil a peu de chances d’être abrogée. En revanche, rien ne leur interdit de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour que les femmes avortent dans les plus mauvaises conditions possibles, qu’elles souffrent comme l’exige la nature…
• L’endoctrinement et le lobbying
L’idéologie provie regorge de théories fumeuses que ses militants se chargent de diffuser dans les aumôneries mais aussi et surtout dans les hôpitaux et les universités. Les étudiants en médecine constituant le premier public à convertir. À titre d’exemple, le Dr Vignes de l’association Laissez-les-vivre a fait un jour distribuer dans les écoles une Lettre à une élève-infirmière pleine de précieuses recommandations. Partant du principe que « la vie commence à la conception » ou encore que «la liberté de la femme, c’est d’assumer son devoir, de porter l’enfant », Vignes insiste sur le rôle de l’infirmière qui est de tout faire pour que l’entretien pré-IVG prévu par la loi Veil soit dissuasif. D’ailleurs, si on lui propose un poste dans un CIVG et même si cela gêne sa conscience, il faut malgré tout qu’elle l’accepte, pour ne pas laisser le terrain hospitalier devenir le « monopole des consciences laxistes ». Cela dit, si la chose lui paraît au-dessus de ses forces, elle peut toujours se déclarer objectrice de conscience et adhérer à l’Union syndicale des professions de santé respectant la vie humaine qui se chargera de lui fournir une aide syndicale et judiciaire en cas de problème avec ses employeurs ». C’est à travers ce genre de courrier que des rumeurs persistantes se propagent et sont mises en application à la faveur du premier médecin ou infirmière complice venu. L’une d’elles consiste à dire qu’il est nécessaire que les femmes souffrent au moment d’avorter pour qu’elles n’aient pas envie de récidiver. À l’inverse, toute une théorie tend à faire croire que le foetus souffre pendant l’avortement. C’est pourquoi l’on conseille aux jeunes étudiants en médecine de proposer une piqûre intrafoetale à la patiente pour éviter que Lui ne souffre. Ce qui a, vous l’imaginez, un effet des plus rassurants… Aux États-Unis, afin de se concilier les bonnes grâces des prolife, de ne pas subir leurs commandos, plusieurs cliniques ont non seulement accepté de faire cette piqûre mais elles pratiquent désormais l’IVG sans anesthésie pour les femmes. En France, déjà, certains Centres d’interruption volontaire de grossesse (CIVG) ont pris les devants. Par exemple à la Roche-sur-Yon où l’anesthésie est systématiquement refusée aux patientes. En France également, les provie soutiennent la thèse selon laquelle il y aurait un nombre croissant de dépressions chez les femmes ayant avorté. Une jolie légende de syndrome post-avortement qui n’avait rien de réel jusqu’au début des années 90. Date à laquelle l’intrusion de militants anti-IVG dans les cliniques, leurs insultes et le simple risque de tomber sur l’un d’entre eux à effectivement considérablement augmenté le stress des patientes…
• Les commandos
À l’image du célèbre docteur Dor, les médecins les plus militants n’hésitent pas à participer à des actions commandos. Parfois, ils y sont même invités par leurs confrères ou consoeurs. En février 1995 de nombreux médecins de la région lyonnaise recevaient ainsi une lettre du docteur Valérie Dubreuil-Foulquier : « L’avortement se produit par morcellement du foetus vivant dans l’utérus de sa mère. L’échographie nous permet de voir, en direct, un avortement : le foetus essaie d’éviter la sonde qui le démembre, il se réfugie au fond de l’utérus et…n’échappe pas ». Après cette délicieuse entrée en matière dont l’inspiration ne vient ni plus ni moins du Cri silencieux, un film de propagande, le lecteur est convié à s’associer aux actions commandos.
• Les pétitions
Dans un autre style, certains acceptent plus facilement de se compromettre à l’occasion d’une pétition. L’une de celles a avoir rassembler le plus de signatures s’est faite-sans surprise-au moment des débats sur la bioéthique à l’assemblée nationale. Le 20 avril 1994, une page de publicité du Monde est louée sous le nom d’ « Attestation des défenseurs de la vie ». Le texte évoquant le sort des embryons congelés, la destruction des embryons surnuméraires, dénonçant l’euthanasie et exigeant que la nation proclame «devant la loi que tout être humain est une personne, de sa conception à sa mort » recueille la signature de deux mille cinq cents praticiens dont plusieurs sont officiellement proches des anti-IVG : Lucien Israël, Jérôme Lejeune ou Emmanuel Sapin…
• La captation et l’orientation
Relais stratégique, les médecins médecins provie profitent de ce qu’une patiente lui demande conseil au moment où elle apprend sa grossesse pour l’orienter vers des associations anti-IVG. En cela, ils constituent le premier maillon d’un réseau de captation de femmes désireuses d’avorter particulièrement inquiétant. Sous couvert de rendre service, d’offrir des layettes ou une aide matérielle, des associations provies type SOS futures-mères de Laissez-les-Vivre, Grossesse secours ou Vie et liberté distillent habilement leur propagande… Pour peu qu’ils aient à faire à des femmes marginalisées, sans papiers ou à la recherche d’un logement, certaines parviennent à les convaincre de faire adopter leur enfant plutôt que d’avorter. Après quoi, ils les recommandent à des maisons d’accueil traditionalistes ou charismatiques de leur connaissance. Mère de miséricorde, Tom Pouce, Magnificat… À titre indicatif, la communauté charismatique de l’Emmanuel dit s’occuper de 10 000 accouchements sous X par an… Ce qui est sûr, c’est que beaucoup trop de femmes passent entre leurs mains…
• Les commandos de persuasion
En toute logique, les médecins ou infirmières provie profitent de leur position pour dissuader directement leurs patientes d’avorter. En cas d’échec, il leur reste la possibilité de faire poiroter leur proie à huis clos dans une salle d’attente et d’appeler en renfort des militants anti-IVG. Plusieurs femmes ont été ces dernières années, victimes de cette nouvelle forme de commando, fait avec la complicité de leur médecin et que nous appelons des commandos de persuasion. Enfermées plusieurs heures dans une salle d’attente le jour de leur IVG, elles se sont retrouvées aux prises avec un bataillon de militants provie chantant, priant et s’obstinant à la dissuader d’avorter ! Il est aujourd’hui très difficile d’obtenir le témoignage de ces victimes. Traumatisées, beaucoup d’entre elles préfèrent oublier. Mais il ne semble pas s’agir de cas isolés…
• La sadisation
Lorsqu’ils ne sont pas intervenus à temps pour dissuader leurs patientes d’avorter, les médecins provie n’ont pas encore dit leur dernier mot… Leur dernier va-tout consiste à pratiquer eux mêmes l’IVG dans les conditions les plus odieuses qu’il soit. Ainsi tel médecin est connu pour ne jamais faire d’anesthésie…telle femme se souvient d’avoir été forcée d’avorter dans la même pièce qu’une femme enceinte… telle autre en face de l’ascenseur de l’hôpital ! Enfin, il ne faudrait pas croire que ce genre d’histoire n’arrive qu’aux autres. Si l’on tient compte du simple chiffre avancé par le Fédération mondiale des médecins pour le respect de la vie, il existe tout de même 9 chances sur 100 de croiser un jour un médecin provie. Un risque considérablement accru par l’ignorance des organismes sociaux comme le Ministère de la santé qui n’hésite pas à recommander SOS Futures-mères ou le CLER dans une de ses brochures nationales ! Et ça ne risque pas de s’arranger quand on sait que Jacques Chirac fait partie du comité d’honneur des Amis du professeur Lejeune…
Caroline Fourest & Fiammetta Venner
Paru dans ProChoix n°2 (janvier 1998)12