Le site de Itélé reprend point par point l’affaire et l’enquête qui a suivi. Le déroulement des faits. L’émotion. L’instrumentalisation. L’enquête. Le procès. Le verdict.
Le procès de quatre hommes a eu lieu devant la Cour d’assises de Seine-Saint-Denis ces derniers jours, accusés d’avoir provoqué la mort de Saïd Bourarach, vigile marocain de 35 ans qui s’était noyé dans le canal de l’Ourcq après une banale altercation dans le magasin de bricolage où ce dernier travaillait. Agés de 23 à 30 ans, les accusés comparaissaient libres pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, avec usage ou menace d’une arme ». La mort de Saïd Bourarach, il y a maintenant cinq ans, avait provoqué une vive émotion, notamment au sein de la communauté musulmane.
Que s’est-il passé ce 30 mars 2010 ?
Peu après 19h00, alors que le magasin de bricolage Batkor de Bobigny s’apprête à fermer, Saïd Bourarach refuse l’entrée à un jeune homme de 19 ans qui se présente pour acheter un pinceau et un pot de peinture. Il est alors pris à partie, prend au moins un coup au visage et riposte avec sa bombe lacrymogène. Econduit, son agresseur part alors se saisir d’une manivelle à cric dans le coffre de sa voiture et appelle en renfort son frère, habitant une cité voisine à Pantin, qui arrive sur place avec un cousin et des amis.
La dispute se poursuit, le vigile prend la fuite en courant vers le canal situé derrière le magasin. Les quatre accusés le pourchassent et c’est à partir de ce moment précis que les hypothèses divergent. Le but de ce procès était de faire la lumière sur ce qui a provoqué la mort de Saïd Bourarach.
La victime a subi « une pression psychologique » de la part de ses agresseurs
Les accusés ont toujours soutenu que le vigile s’était noyé après s’être volontairement jeté dans le canal, mais la justice leur reproche d’avoir exercé sur lui une « pression psychologique » telle qu’il n’aurait eu d’autre choix que le saut pour leur échapper. Cette version est corroborée par les rares témoins de la scène, qui ont décrit aux enquêteurs un homme alors « apeuré », « à bout de souffle ».
Pour Nathalie Potignon, la veuve de Saïd Bourarach, le procès doit aller plus loin : a-t-il été frappé avant de tomber ? A-t-il été poussé dans le canal ? Elle et son avocat contestent en effet qu’il ait pu sauter « de son propre chef ».
S’agissait-il d’une agression à caractère raciste ?
L’avocat des proches de Saïd Bourarach a mentionné au cours du procès « l’appartenance à la Ligue de Défense Juive (LDJ) » d’un des accusés. L’enquête, de son côté, n’a ni établi d’agression à caractère raciste, de la part de la victime comme des accusés, ni établi de supposée appartenance de ces derniers à la LDJ.
Pour l’avocat du principal accusé, Me Paul Le Fèvre, ce dossier résulte « d’une bagarre idiote qui se solde par un accident mortel que personne n’a voulu », et une affaire qui ne méritait pas d’aller aux assises.
Trois des accusés sont arrivés libres au tribunal. Le quatrième accusé, absent, a été jugé par défaut, comme l’a précisé la présidente du tribunal au début du procès. Ces accusés ont pris place dans une salle comble, composée de proches de la victime et de personnes revêtant des tee-shirts « Justice pour Saïd ».
Arguant du « caractère raciste » de l’agression, les accusés étant de confession juive, des manifestants se sont également rassemblés durant le procès pour demander la « justice pour Saïd ».
Selon Dan Lampel, l’accusé à l’origine de l’altercation, âgé de 19 ans à l’époque des faits, il portait une étoile de David autour du cou et Saïd Bourarach lui aurait rétorqué, face à son insistance pour rentrer dans le magasin, « j’ai pas deux-trois minutes pour ta race ». Des propos « incroyables » pour la nièce de la victime, qui a témoigné de ses « valeurs », ajoutant que ce père de famille maîtrisait mal le français et qu’il aurait été plus enclin à parler en arabe sous l’énervement.
Quel portrait a été tiré du principal accusé lors du procès ?
L’un des accusés, Dan Lampel, 23 ans, à l’origine de l’altercation, a indiqué « regretter amèrement ce qui s’était passé, pour tous les gens qui sont là ».
A la barre, il a retracé son histoire: benjamin d’une fratrie de six enfants, qui n’aime pas trop l’école, préfère les filles et les motos, et qui a perdu son père à l’âge de 10 ans. Sa famille, qui connait après le décès du père des difficultés financières, vit dans « le respect des traditions » juives, mange casher, mais n’est pas vraiment pratiquante, selon les témoignages des deux frères.
Décrit par tous comme « nerveux », « impulsif », Dan porte plusieurs condamnations à son casier judiciaire, notamment pour violences. Il indiquera qu’à « 20 ans, on a rien dans la tête ». « J’ai été jeune et stupide », poursuivra-t-il.
En 2011, quelques mois après sa sortie de détention provisoire, il a été condamné après une dispute avec le gardien d’un parc parisien. Selon le procès-verbal lu par une avocate des parties civiles, Me Dominique Cochain, il aurait menacé et insulté la victime de « sale noir ».
« Avez-vous des activités religieuses ? Intégré une Ligue ? » a demandé inlassablement la présidente à tous les accusés, qui ont répondu par la négative, assurant « ne pas être racistes » et avoir des amis de « tous horizons ».
De son côté, l’avocat de la défense, Me Paul Le Fèvre, a estimé que « des mots très durs ont été lancés dans cette affaire par des gens qui n’avaient pas accès au dossier, qui ne savaient pas ce qui s’était passé ». « On a parlé de « gang des barbares de Pantin », on a parlé de rats, on a parlé d’assassins qui auraient jeté Saïd Bourarach dans le canal comme un chien ».
« On m’a tout enlevé, depuis qu’il est parti, c’est moi qui suis en prison »
Appelée à son tour à témoigner, la veuve de Saïd Bourarach, Nathalie Potignon, a décrit le portrait d’un « père aimant », « généreux », « tolérant », « toujours prêt à porter secours », avant de s’adresser aux accusés, leur demandant la « vérité », pour pouvoir « faire son deuil ».
« Ça fait très longtemps que je souhaite ce moment-là. Depuis cinq ans, je n’ai pas une vie normale. On m’a tout enlevé, depuis qu’il est parti, c’est moi qui suis en prison ».
Saïd était musulman de confession, arrivé au Maroc dix ans avant les faits, « pas spécialement pratiquant », « tolérant », « aimant rentrer dans les églises ».
« Aujourd’hui, je réclame la justice, la vérité. Pour pouvoir faire mon deuil et que mon fils grandisse dans la paix, sans haine contre ceux qui ont tué son père », a-t-elle ajouté.
« J’aurais préféré être à la place de Saïd Bourarach »
Dan Lampel, l’accusé à l’origine de l’altercation, est apparu « très mal à l’aise » selon ses propos, après le témoignage de la veuve de Saïd Bourarach.
« J’ai beaucoup de peine. Depuis cinq ans, on me fait passer pour quelqu’un que je ne suis pas. Il y a eu des vidéos mensongères, j’ai été menacé par le clan Dieudonné, Alain Soral. Croyez-moi, j’ai pleuré beaucoup de fois pour votre fils, moi aussi j’ai perdu mon père très jeune. Si je suis là, c’est pour que vous sachiez la vérité. Je ne vais pas m’enfuir », a-t-il ajouté s’adressant à Nathalie Potignon.
« J’aurais préféré être mort que vivre avec ça, que voir mon frère et mon meilleur ami en prison. Ce n’est pas un crime racial Madame, c’est un drame » a-t-il ajouté. « Ce jour-là j’ai fait la bêtise d’appeler quelqu’un. J’aurais dû partir ».
Des peines de 5 à 12 ans requises
Des peines allant de 5 à 12 ans de prison ont été requises mercredi à Bobigny à l’encontre des quatre hommes, jugés pour avoir entraîné la noyade de Saïd Bourarach dans le canal de l’Ourcq en 2010.
« Si la victime n’était pas musulmane, si les accusés n’étaient pas juifs, cela aurait pu rester un tragique fait divers et ne pas attirer l’attention médiatique. Mais ce dossier n’est pas celui du racisme ou de l’antisémitisme, nous n’en avons que le fantasme », a déclaré Anne Haller, la représentante du ministère public.
« On ne reproche pas ici aux accusés un mobile raciste, on ne leur reproche pas non plus d’avoir voulu la mort de ce vigile, on leur reproche des violences physiques et psychologiques qui ont causé cette mort », a poursuivi Mme Haller, revenant sur une enquête de cinq ans « complète » et « rigoureuse ».
« C’est un drame humain, celui d’un homme qui court le long de la berge pour échapper à ses assaillants et qui saute justement parce qu’il veut vivre », a estimé la magistrate.
Soulignant qu’une course poursuite « constitue des violences », elle a également évoqué les traces de coups inexpliquées sur le corps de la victime. « La scène de crime, c’est le corps de M. Bourarach, qui porte les stigmates d’une agression. Ce n’est pas parce que personne n’a vu les coups, qu’ils n’existent pas », a-t-elle dit.
A l’encontre de Dan Sellam, qui n’a eu de cesse de minimiser son implication, elle a requis cinq ans d’emprisonnement. Pour Lucien Dadoun, jugé par défaut car il ne s’est pas présenté, et Michaël Lampel, elle a demandé six ans d’emprisonnement. Enfin, à l’encontre de l’accusé à l’origine de l’altercation, Dan Lampel, elle a requis douze ans.
Des peines de 4 à 9 ans d’emprisonnement prononcées à l’encontre des quatre hommes
Les quatre hommes âgés de 24 à 30 ans ont été condamnés jeudi à des peines allant de quatre à neuf ans d’emprisonnement. Devant une salle comble, encadrée par un important dispositif policier, la cour d’assises de Seine-Saint-Denis a rendu son verdict dans un climat tendu.
Elle a estimé que Dan Sellam, Michaël Lampel, Lucien Dadoun et Dan Lampel étaient responsables de violences, commises avec arme et en réunion, qui ont entraîné la mort de Saïd Bourarach. Elle les a condamnés respectivement à des peines de quatre, cinq, six et neuf ans d’emprisonnement.
Se disant « satisfaite » de sanctions « normales au regard du dossier », Dominique Cochain, avocate de la nièce et du frère de Saïd Bourarach, a néanmoins déploré « l’absence de deux accusés, notamment le principal mis en cause qui n’a pas assumé » : à l’origine de l’altercation, Dan Lampel, 24 ans, a comparu aux côtés de son frère et d’un ami tout au long du procès mais ne s’est pas présenté jeudi matin. La cour a délivré un mandat d’arrêt à son encontre.
Le quatrième accusé, Lucien Dadoun a, lui, été absent des débats et son mandat d’arrêt est maintenu, a précisé la présidente Xavière Simeoni.
A l’énoncé du verdict, les deux accusés restant, apparus les mines graves, et leurs familles se sont effondrés. En réponse, des personnes ont applaudi et crié « justice », rapidement contenues par les policiers. Les avocats de la défense n’étaient pas disponibles dans l’immédiat pour évoquer un possible appel, selon l’AFP.