Cher(e)s ami(e)s
À l’été 2012, j’étais en pleine rédaction de mon troisième ouvrage Des femmes au Printemps en hommage aux femmes tunisiennes et égyptiennes paru au Québec en novembre 2012 ainsi qu’en France et en Algérie, quelques mois plus tard, sous le titre de L’Automne des femmes arabes lorsque j’appris qu’une école musulmane avait eu recours aux services d’un avocat pour m’intenter une poursuite en diffamation en raison de propos que j’avais tenus, en février 2012, à l’émission radiophonique de Benoît Dutrizac au 98,5 fm.
La journée s’annonçait chaude. Elle l’a été, en effet. Mais certainement pas pour les raisons que j’avais anticipées. Je ne sais si c’est l’atmosphère du Caire ou de Tunis qui rendait mes doigts moites. Deux villes époustouflantes que je venais de quitter après un séjour de quelques semaines. Mon cœur brûlait d’espoir. Ma tête tremblait d’inquiétude. Une brèche venait de s’ouvrir. Les murs du temple étaient désormais ébranlés! Je me mettais à rêver, encore une fois, exactement comme en 1988 à la naissance du multipartisme en Algérie. C’était, bien entendu, avant l’apparition du Front islamique du salut (FIS) et de ses armées sanguinaires. Comment rester indifférent à la brûlure des autres quand au moins une fois dans sa vie on a frôlé l’enfer?
De retour au Québec, j’étais surtout hantée par les visages lumineux de ces résistantes et résistants qui manifestaient nombreux, les mains nues, contre les escadrons de la mort salafistes et de leurs acolytes les Frères musulmans. Ici, j’étais loin de ces prêches haineux appelant à l’assassinat des démocrates jugés « trop libres » et des « maudites femmes occidentalisées », de ces mains d’hommes agrippant des bouts de chair et de cette déferlante de voiles noires déambulant dans les rues. Ici, j’étais redevenue une femme libre.
Je m’étonnais à peine d’une telle « contrariété ». Sans doute, à cet instant-là, je n’ai pas pris la mesure réelle de cette cabale juridique qui s’orchestrait contre moi. Elle me paraissait si dérisoire comparativement à ce souffle de liberté qui embrasait le monde arabe. Je crus que le temps de l’immobilisme, de la vie sèche et des âmes mortes étaient désormais dépassé. « Je veux écrire», dis-je au téléphone à un ami volant à mon secours pour me prodiguer quelques judicieux conseils. «Tu comprends? Il faut que je finisse ce livre, impérativement», insistais-je.
Poursuivre mon travail d’écriture et m’y consacrer entièrement était une promesse à laquelle je m’accrochais grâce notamment à quelques soutiens inattendus qui m’ont permis de réagir efficacement, étouffant ainsi ce sentiment d’injustice qui m’envahissait.
Car moi aussi il m’arrive quelquefois de désespérer de la démission d’une bonne partie de nos élites, de leurs omissions calculées, de leur aveuglement obstiné, de leurs silences trop nombreux, de leur lâcheté décomplexée et de leur grande complaisance face à l’islam politique. Un monde endormi dans son confort et bluffé par son indifférence est-il en meilleure posture qu’un monde rongé par la barbarie?
Mon cœur s’est remis à battre de joie. Et il battait de plus en plus fort au fur et à mesure que ma plume s’abandonnait. Les mots faisaient tant de bruit en moi. Mais ils étaient en même temps si peu de choses. Et puis Des femmes au Printemps a remporté le Prix Gérald Godin décerné par la Ville de Trois-Rivières! C’était en mai dernier. Mon nom désormais lié à celui d’un géant, quel ravissement! Quelques mois auparavant, une autre ville m’accueillait, celle de Paris, pour me décerner une autre distinction, le Prix international de la laïcité. C’était le nirvâna…version laïque, bien entendu!
Qu’ajouterais-je à tous ces événements? Sinon que je ne cherche à convaincre personne de la justesse de mes propos pour lesquels on me poursuit. Chacun est en mesure de se faire une idée sur le bien-fondé de cette cause. Une chose est sûre, jamais je n’accepterai de faire silence sur une terreur dont je connais les moindres contours, les ambitions liberticides et les stratégies diaboliques.
Cela fait plus d’un an que ça dure et ça peut durer pendant longtemps encore. Je le sais. J’avoue, certains jours ont été plus difficiles que d’autres, certaines nuits trop brèves. Quelques projets ont malheureusement été renvoyés aux calendes grecques. D’autres, par ailleurs, ont abouti parmi lesquels un séjour en Afghanistan l’été dernier qui se conclura par un récit dans ce coin du monde des ombres bleues grillagées.
Dans cette épreuve, j’ai toujours été soutenue et accompagnée d’une façon formidable par mon compagnon, Gilles Toupin, mes parents, Kety et Fewzi, ma famille, mes avocats, mes éditeurs, mes nombreux amis et tant de personnes anonymes qui me témoignent leur soutien. J’ai des raisons d’espérer! Car mon engagement me lie à chacun d’entre vous et puise ses racines dans une même communauté de destins. Celle d’une humanité en mouvement débarrassée des carcans ethniques et religieux. Ma communauté, c’est l’humanité toute entière. Ma religion, ce sont Les lumières. C’est grâce à vous toutes et tous que j’ai pu garder la tête hors de l’eau, avancer dignement, continuer coûte que coûte sur ce si long chemin.
À vous toutes et tous je dis merci du plus profond de mon être. À vous toutes et tous qui, inlassablement, jour après jour, continuer de me gratifier de votre solidarité, une solidarité qui prend mille et un visages, je dis merci encore et toujours! Surtout, soyez les témoins bruyants de votre époque!
Quant à moi, rien ni personne ne me fera taire. Je ne connais ni la peur ni la fuite. Je reste convaincue qu’il n’est pas moins urgent, aujourd’hui qu’il y a trois siècles, de lutter contre les tentations obscurantistes, la bigoterie, la censure et le fanatisme. Les défis de ce début de siècle nous imposent une lucidité et un engagement encore plus grands que par le passé. Merci encore !
À très bientôt!
Djemila B.
http://jesoutiensdjemila.org/index.php/un-mot-de-djemila-benhabib/