Croatie : Extrême droite et négationnisme entrent au gouvernement

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Extrême droite et négationnisme font de l’entrisme au sein du nouveau gouvernement du 28ème membre de l’Union européenne. Les toutes dernières évolutions politiques en Croatie sont particulièrement préoccupantes. Dans ce petit pays « sans conséquences » pour reprendre l’expression d’un politologue hongrois, l’imitation dans une forme extrême des mauvais exemples hongrois et polonais, consolide un pôle de contestation radicale du modèle européen misant sur un échec politique, économique, voire moral du projet de construction européenne, dans l’espoir d’un retour d’une Europe des nationalismes fondé sur des contre-valeurs. 

Le 22 janvier, après deux mois de tergiversation (les élections législatives ont départagé dans une proportion presque égale droite et gauche), c’est finalement un gouvernement de droite qui s’est mis en place avec l’appui d’un nouveau mouvement « Most »,( « Pont » en croate) ; formation « faux-nez » de l’aile cléricale la plus extrémiste pour laquelle nombre d’électeurs de sensibilité centriste en toute sincérité ont voté sans mesurer l’ampleur de la manipulation. Le nouveau cabinet résulte d’un accord entre le mouvement citoyen MOST et le HDZ (Communauté démocratique croate) de retour au pouvoir après 4 années d’opposition. Le HDZ est le mouvement nationaliste fondé par Franjo Tudjman, « le père » de l’indépendance croate.

Ce nouveau gouvernement croate formé le 22 janvier, apparemment hétéroclite mais étroitement lié à l’église croate dans sa version radicale, fait la part belle à quelques figures venues de l’extrême droite et des courants révisionnistes.

Le cas le plus emblématique est celui du nouveau ministre de la Culture

Zlatko Hasanbegovic, jeune historien (né en 1973) est notamment connu pour son engagement passé au sein de l’organisation néo-oustachi HOP (Hrvatski oslobodilački pokret/ Mouvement de Libération Croate) fondée par le chef de l’Etat génocidaire[1] Ante Pavelic lors de ses années d’exil.

Zlatko Hasanbegovic, d’origine bosniaque, membre du Conseil exécutif de la communauté musulmane de Zagreb, est chercheur et spécialiste du XXème siècle et plus particulièrement de la problématique des mouvements musulmans dans les Balkans, question à laquelle il a consacré nombre d’ouvrages et d’études.

Le chercheur devenu ministre a développé l’ensemble de ses travaux de recherche sur «  l’hypothèse » que l’histoire de la Seconde Guerre mondiale dans les Balkans aurait été établie par les vainqueurs, soulignant la date tragique que représente pour la nation croate 1945. Il insiste sur la nécessité d’écrire de nouvelles pages de recherche notamment relatives à l’Etat dit indépendant croate (1941-45) connu des historiens sérieux pour son rôle déterminant dans le processus génocidaire en Europe du Sud-Est. Dans ses publications et entretiens, l’historien vante les mérites du projet du chef oustachi Ante Pavelic[2], en particulier dans son ambition racialiste de créer un nouveau peuple croate unissant catholiques et musulmans, ces derniers considérés comme « Fleur de la nation » par les leaders oustachis.

L’historien prône aussi une réhabilitation du tristement célèbre Mufti de Jérusalem, Al-Husseini[3], allié de Hitler et condamné à mort par le régime titiste avant d’être amnistié à l’occasion du rapprochement dans les années 1950 entre la Yougoslavie socialiste et l’Egypte de Nasser, pays dans lequel, ce chef spirituel des SS-Handjar avait trouvé refuge.

Le ministre de la culture désigné, est aussi l’un des co-fondateurs du Comité Bleiburg, village à la frontière austro-slovène où avait eu lieu, au printemps 1945, l’élimination des collaborateurs et considéré à ce titre par les nostalgiques de l’Etat oustachi comme emblématique de l’ampleur de l’épuration anti-nazie conduite par les partisans titistes. Les courants radicaux de la droite ainsi que le clergé croate considèrent aussi ce lieu comme le symbole du martyrologe des victimes du communisme.

Zlatko Hasanbegovic a publié et préfacé plusieurs ouvrages tendancieux parmi lesquels, dans sa traduction croate, l’oeuvre largement controversée du sulfureux essayiste américain Norman G. Finkelstein « L’industrie de l’holocauste ». Le chercheur croate, soulignant le poids des lobbies dans la lecture de l’histoire contemporaine, dénonce dans divers interviews « ceux qui sous couvert de s’en prendre à l’islamo-fascisme » sont de fait « les relais de l’opinion publique juive internationale » dont l’objectif serait de porter atteinte à l’ensemble des musulmans et leurs justes causes.

Fidèle à la particularité de l’extrême droite croate idéologisée par le chef oustachi Ante Pavelic, Zlatko Hasanbegovic est à la fois un sympathisant de l’islamisme historique bosniaque et proche de l’Eglise croate dans son aile la plus radicale. A ce titre, il est l’une des personnalités à l’initiative du référendum tenu en 2013 organisé par l’association «  Au nom de la famille » et inscrivant dans la constitution croate le seul mariage hétérosexuel. Dans ses déclarations les plus récentes, le nouveau ministre, au nom de la réconciliation nationale, propose d’effacer de la constitution le premier article qui fonde la République de Croatie sur les valeurs de l’antifascisme et promet aussi une vision unitaire de la culture qui s’opposera au cosmopolitisme. IL s’est exprimé dans un passé récent en faveur de la fermeture du musée Jasenovac[4], relique mémorielle du communisme selon lui, et proposera un nouveau musée de l’histoire croate.

A noter la solidarité paradoxale des extrémismes : La nomination de Zlatko Hasanbegovic a été applaudie ce week-end par des nationalistes de Serbie. [5]

En outre, dans ce climat délétère, il faut noter que le chef de la nouvelle coalition au pouvoir en Croatie, Tomislav Karamarko, s’est félicité pour sa part d’un gouvernement composé de personnes qui savent « enfin faire le signe de croix correctement (terminologie d’un autre âge utilisée à l’époque oustachie pour stigmatiser les « fraichement » convertis (orthodoxes et juifs) qui cherchaient à fuir les persécutions). Dans une surenchère religieuse, la ministre des affaires sociales a proposé avec succès que chaque ministre fasse serment devant la croix. Le nouveau ministre croate des anciens combattants, promet quant à lui la mise en place d’un registre des traîtres à la patrie reprenant une nouvelle fois à son compte la terminologie des années 1941-45.

Après plusieurs mois de flottement politique, les premiers jours de ce gouvernement s’inscrivent dans une surenchère ultra dont on ne sait où elle s’arrêtera. La société civile s’organise avec ses maigres moyens dans un pays de transition. L’opposition politique est encore sonnée par sa défaite et règle ses comptes même s’il ne faut pas sous-estimer ses capacités de mobilisation inscrite dans l’histoire de la gauche yougoslave (plus de 100.000 résistants croates anti-fascistes pendant la seconde guerre mondiale, soit le chiffre le plus élevé proportionnellement dans l’Europe occupé).

La réaction dans l’Union européenne qui reste pour le moment silencieuse sera déterminante face à cette situation inédite en son sein ; un ministre négationniste dans un gouvernement d’un Etat membre.

François Bacharach et Claude Jardin.

[1] Les Oustachis de 1941 à 45 ont directement organisé l’assassinat de 26 000 Juifs, 340 000 Serbes dont 197 000 civils, 26 000 Roms et Sinti et 50 000 opposants Croates (sources : V. Zerjavic, Gubici stanovnistva Jugoslavije u drugom svjetskom ratu Jugoslavensko viktimolosko drustvo (1989) et B. Kocovic, Žrtve drugog svetskog rata u Jugoslaviji, Veritas Foundation Press, Londres, 1985, Musée mémorial de l’Holocauste à Washington).

[2] Dirigeant de l’État indépendant de Croatie créé le 10 avril 1941et inféodé de fait à l’Allemagne et à l’Italie. Exilé d’abord en Argentine après avoir bénéficié dans sa fuite des réseaux de l’église catholique, suite à des tentatives d’élimination des services secrets yougoslaves, pour sa sécurité, Ante Pavelic s’installe définitivement dans l’Espagne franquiste et meurt en 1959.

[3] Le rôle de ce mufti collaborationniste et pro-nazi dans la mise en œuvre de la Solution finale dans sa globalité a fait l’objet de polémiques récentes. Quoi qu’il en soit, son appui à la mise en oeuvre des divisions SS dans les Balkans confirme son rôle déterminant dans le processus génocidaire qui a martyrisé l’Europe du Sud-Est.

[4] Le camp de Jasenovac a été créé entre août 1941 et février 1942 par les autorités de l’Etat indépendant de Croatie. On estime actuellement que le régime oustachi assassina plus de 110 000 personnes à Jasenovac entre 1941 et 1945. Il est considéré comme le seul camp d’extermination qui n’ait pas été créé et supervisé par l’Allemagne nazie.

[5] Par exemple, Bojan Dimitrijevic, historien serbe, promoteur de la réhabilitation de Milan Nedic, figure de la collaboration serbe et maître d’œuvre à la demande des nazis de l’assassinat des juifs de Serbie se félicite de la nomination en Croatie du nouveau ministre de la culture, lui même révisionniste et thuriféraires des réalisations de l’Etat oustachi.