Entretien avec le Planning familial (Moruni Turlot)

Aujourd’hui le mot contraception ne choque plus, la pilule est entrée dans la vie de beaucoup de femmes. Mais en 1956, lors de la création de l’association la «Maternité Heureuse » qui 13 ans plus tard deviendra le Mouvement Français pour le Planning Familial,. la situation politique n’était pas la même. C’est peu de dire que le climat était hostile aux féministes à l’époque. ! Malgré de nombreuses attaques- on se souvient notamment de celle du Général (celui de « je vous ai compris») qui « ne voulait pas laisser la France à la bagatelle »- 1967 marque leur première victoire : l’autorisation de maîtriser sa fécondité est enfin légalisée. Après quoi, il faudra tout de même attendre 1975 pour voir un gouvernement légifèrer sur le droit à l’avortement. 30 ans, 20 ans plus tard, j’ai eu envie de rencontrer ces féministes, celles qui avaient contribué à mettre en place des lois aussi révolutionnaires ! J’étais surtout curieuse de savoir comment une association féministe pouvait garder son caractère militant tout en étant l’interlocuteur de la classe politique… Et dans quelles mesures le MFPF se retrouvait dans le mouvement Prochoix. Catherine Béranger et Jocelyne Girault-Laurence du planning familial ont bien voulu éclairer ma lanterne. Qu’elles en soient ici remerciées.

Où en est-on? En France c’est un pas en avant trois pas en arrière. Même si des lois sont votées, l’ignorance et les tabous font que les mentalités mettent un temps considérable à intégrer les progrès faits en matière de droit de choisir. 25 ans après sa légalisation, l’avortement déchaîne toujours les passions. On assiste depuis quelques années à un insidieux retour des valeurs familiales de la part des Provie comme de celle de nos partenaires. Comme si on ne pouvait pas concevoir une « contraception heureuse » sans que l’on sous-entende que c’est pour un temps. Malgré la libération sexuelle des années 70, les devoirs des femmes n’ont guère changé. Il est plus qu’urgent de considérer l’avortement pour ce qu’il est : un acte d’insoumission à la maternité obligatoire.

L’IVG au planning On refuse de dramatiser l’avortement . On ne s’autorise à aucun moment à juger les femmes. On évite par exemple de parler de « désir d’enfant ». Les consultations se font en groupe de 10, ce qui permet de parler plus librement, sans culpabilité. Le MFPF écoute et accueille des centaines de femmes par an. Que ce soit pour des consultations médicales, des conseils sur la pilule du lendemain ou pour rencontrer des conseillères conjugales. Les femmes du planning restent vigilantes car le retour de bâton ne se fait pas attendre.

Le préservatif L’arrivée du Sida change le comportement sexuel et les pratiques des jeunes femmes. L’utilisation de la capote remplace l’indétronable pilule. Mais il est bon de le dire que ce n‘est pas un contraceptif et qu’elle ne protège pas d’une éventuelle grossesse non désirée. Souvent l’utilisation du préservatif n’est pratiquée que pour un temps. Quand on est sûr que c’est « pour toute la vie », on s’en passe.

Les jeunes Les jeunes filles reviennent à des méthodes dites naturelles (Ogino, température) et ne reprennent pas leur pilule. Ces jeunes femmes isolées ne savent pas où s’adresser . Dans les hôpitaux publics, l’attente reste très longue. La spécificité de la France fait que les délais d’autorisations à l’avortement sont plus courts. Cela crée souvent des situations précaires. L’accent est mis sur l’information des jeunes femmes. Elles organisent des discussions sur les pratiques sexuelles.

Des regrets Les militantes regrettent le manque d’audace de la part des gouvernements de droite comme de gauche. On se souvient de Bérégovoy qui en 1992 avait annulé la campagne « la contraception, pour ne penser qu’à l’amour » L’éducation nationale n’est pas en reste non plus. Depuis longtemps, elles dénoncent le programme sur la reproduction des moules dans le littoral atlantique…

Droit de choisir Le planning familial lutte pour le droit de Choisir; la maîtrise de la fécondité est l’une des avancées les plus patentes des droits des femmes . Disposer de son corps, c’est s’assurer de son indépendance. Certains refuseront cet état de fait. Mais le combat continue mes soeurs.

Moruni Turlot

Paru dans ProChoix n°2 (janvier 1998)