Dans une interview au Figaro Vox du 20/11/17, le philosophe Alain Finkielkraut affirme :
« L’un des objectifs de la campagne #balancetonporc était de noyer le poisson de l’islam : oubliée Cologne, oubliée la Chapelle-Pajol, oubliés les cafés interdits aux femmes à Sevran ou Rillieux-la-Pape, on traquait le sexisme là où il était une survivance honnie et l’on couvrait du voile pudique de la lutte contre les discriminations les lieux où il façonnait encore les mœurs. »
Alain Finkielkraut semble oublier volontairement tout le début du mouvement international de l’automne 2017 contre le harcèlement sexuel ainsi que la chronologie du hashtag #balancetonporc.
En effet, l’affaire Weinstein a débuté aux Etats-Unis, bien loin de Cologne, de la Chapelle-Pajol ou de Sevran, après la parution dans le New York Times et dans le New Yorker début octobre de deux enquêtes explosives avec des témoignages d’agressions sexuelles et de viols contre le producteur américain Harvey Weinstein. Le hashtag #metoo a ensuite été initié aux Etats-Unis, et le hashtag #balancetonporc en France par la journaliste Sandra Muller, inspirée par le titre du Parisien « A Cannes on l’appelait le porc ».
Il s’agissait d’ouvrir une brèche dans l’omerta sexiste du milieu du cinéma : jour après jour, des femmes osent elles aussi dénoncer ce que Harvey Weinstein leur a fait subir. Les plaintes s’accumulent. La brèche s’agrandit rapidement jusqu’à s’élargir à d’autres stars du cinéma telles que Kevin Spacey, Casey Aflleck, Dustin Hoffman, Jeremy Piven, James Toback… Il est étonnant de ne pas se réjouir de ce silence brisé et de ce « coup de balai » dans le milieu du cinéma.
L’affaire Weinstein a donc débuté dans un contexte américain, avant de s’internationaliser au niveau cinématographique mondial, puis au niveau national (avec pêle-mêle, des accusations contre des sportifs, des journalistes, des producteurs, des prédicateurs…). Le hashtag #balancetonporc ne s’est donc pas développé pour masquer des comportements sexistes de « l’Islam » en France. Et la gravité des faits dénoncés, leur multiplication, devrait suffire pour justifier l’existence du hashtag sans imaginer de « complot » pour « noyer le poisson de l’Islam ».
Et que penser de l’affaire Tariq Ramadan, qui a été certainement l’affaire d’agressions sexuelles la plus médiatisée en France ? Henda Ayari a utilisé le hashtag #balancetonporc pour raconter sur les réseaux sociaux le cauchemar qu’elle a vécu avec le prédicateur islamiste. Elle a eu le courage de porter plainte pour viol, agression sexuelle, violence, harcèlement et intimidations. Selon Alain Finkielkraut, Henda Ayari et les autres proies de Tariq Ramadan auraient voulu s’en prendre à l’un des prédicateurs islamistes les plus célèbres en France, pour « noyer le poisson de l’Islam » ? Le raisonnement ne tient pas.
La conclusion d’Alain Finkielkraut est dangereuse, tant dans les stéréotypes qu’elle induit, que dans la lutte contre le sexisme.
Faire de l’Islam la pierre angulaire du sexisme en France est faux. 20% des femmes ont souffert de harcèlement sexuel au travail, et plus de 75% des viols sont commis par l’entourage direct de la victime (famille ou proches). Parler de « survivance honnie » dans les milieux du cinéma, du travail, de l’entourage, c’est aller trop vite en besogne tant les cas d’agressions sont fréquents. Réjouissons-nous que les victimes osent enfin parler et que la honte commence à changer un petit peu de camp, mais ne crions pas une victoire qui est encore loin d’en être une.
La meilleure façon de lutter efficacement contre le sexisme est de voir, de dire ce que l’on voit, de dénoncer et d’analyser chacune de ses démonstrations. Lorsque le sujet d’actualité porte sur les 1000 à 1500 femmes agressées à Cologne, il est contre-productif de vouloir faire taire les victimes lorsqu’elles décrivent le portrait jeune, alcoolisé, organisé et nord-africain de leur centaine d’agresseurs, au motif que le sexisme serait plus présent dans le milieu familial et professionnel. Il est chez Alain Finkielkraut tout aussi contre-productif et stérile de vouloir passer sous silence les agressions dénoncées par #balancetonporc au motif que des comportements sexistes liés à l’Islam « façonn[er]aient les moeurs ».
Les faits ne sont ni « islamophobes », ni « islamophiles ». Toutes les femmes victimes méritent d’être écoutées et défendues, tous les milieux sexistes doivent être dénoncés sans être mis en concurrence dans des propos quasi-complotistes.
Catherine Hervé