Vous devez vous demander pourquoi ils n’étaient pas plus nombreux, ce week-end, à marcher contre les violences policières et le racisme à Paris ? Entre 10 000 selon les organisateurs et 3500 selon la police.
Même entre les deux, c’est peu au vu du climat. Une époque où Nadine Morano réduit la France à un pays de « race blanche », Robert Ménard part en guerre contre les kebabs, où l’avocat de Riposte laïque tire sur des magistrats, le tout à la veille d’élections où plusieurs régions risquent de tomber aux mains de l’extrême droite
Cette actualité n’était pas l’objet de cette marche, surtout préoccupée par les violences policières anti-Noirs aux Etats-Unis. Des militants sincères s’y sont associés sans connaître vraiment ses buts et ses intentions. A la suite d’un battage médiatique enthousiaste, qui n’a jamais pris le temps, ou presque, de dire qui se cachait derrière la figure d’Angela Davis et les quelques visages mis en avant. Ni pourquoi aucune grande organisation antiraciste ne pouvait, en connaissance de cause, s’associer à cette manifestation.
Sans doute certains journalistes étaient-ils trop occupés à cracher sur le Prix laïcité ayant rendu hommage à Charlie et à Charb quelques jours auparavant. A écrire, sans avoir enquêté, qu’on y avait sommé une journaliste voilée non accréditée de retirer son voile… Alors qu’il s’agissait d’une remarque balayée par les organisateurs et qu’elle a bien pu entrer, même sans accréditation, malgré les mesures de sécurité qu’impliquent un événement si sensible. Comment les mêmes journaux, toujours les mêmes, auraient-ils trouvé le temps d’enquêter sur la « Marche de la dignité » ?
Ils n’avaient pas de mots assez joyeux pour décrire cette manifestation où l’on a mis, nous a-t-on bien précisé, « les femmes en avant ». Sans que l’on comprenne en quoi « les femmes » étaient particulièrement visées par les violences policières, qui concernent plutôt les hommes… Les réseaux à la pointe de cette manifestation écrivant que le racisme post-colonial utilise la cause des femmes pour attaquer en fait « le garçon arabe », nous en déduisons qu’il s’agit d’une technique marketing pour appâter les médias. Force est de constater qu’elle a bien marché.
Le PIR à la manœuvre
Mais de quelles « femmes » parlons-nous, si du moins leurs idées et non leur genre ont encore une importance aux yeux de certains médias ? De militantes pro-voile emmenées par Houria Bouteldja des Indigènes de la République, au premier rang, et à la manœuvre depuis des semaines avec les signataires pro-islamistes, antiféministes et antilaïques, de l’appel.
Il suffisait de jeter un œil à la liste des premiers signataires pour y trouver tous les faux nez des associations proches de Tariq Ramadan, qui n’a pas ménagé ses efforts pour battre le rappel.
Les journalistes ont omis de préciser que le Parti des Indigènes de la République n’est pas contre toutes les violences… Il soutient par exemple volontiers l’intifada des couteaux et manifeste avec ceux qui réclament « des armes pour le Hamas ». Cela explique peut-être pourquoi cette marche de « la dignité » était couverte de drapeaux palestiniens. Mais surtout pourquoi le texte d’appel de la marche a oublié d’inclure la lutte contre l’antisémitisme… Alors qu’un Juif a encore été agressé au couteau il y a quelques jours en France, par un « déséquilibré » selon les journaux. Forcément, quand on glisse au point de tomber avec un couteau sur un Juif, parce que Juif, c’est qu’on a bien dû perdre l’équilibre à un moment donné…
Visiblement, cela ne méritait pas de faire l’objet de l’appel à la manifestation. Seulement de quelques pancartes. Peut-être des manifestants égarés, qui ne devaient pas bien savoir où ils mettaient les pieds.
Une manifestation surtout anti-Charlie
Voltuan, militant régulier des manifs de la capitale, a bien failli se faire lyncher pour avoir brandi « All lives matters », et non seulement « Black lives matters ». Aux Etats-Unis, ce slogan peut-être douteux s’il est porté par la droite refusant de voir qu’on tue surtout des Noirs lors des contrôles policiers… Mais à Paris, porté parmi d’autres slogans, dans un esprit universaliste, il n’y avait quand même pas de quoi s’énerver. Il a été éjecté.
Sur Twitter, une marcheuse se présentant comme « queer » et « afro-féministe » s’est également plaint qu’un homme blanc se permette de manifester contre le racisme derrière elle…. Avant de se féliciter des slogans criés contre le « Charlisme d’Etat » et « l’intégration par le jambon ». Mais ça non plus, on ne pouvait pas le lire dans les comptes-rendus de l’AFP.
Au micro des organisateurs, on a passé quelques minutes — tout de même — à huer le racisme et de longues minutes à huer la loi sur les signes religieux à l’école publique, Femen et Charlie : « les ‘je suis Charlie’, on en veut pas! Les femens, on en veut pas! L’islamophobie, on en veut pas! »
Des manifestantes voilées portaient même une pancarte « Fourest, ta race ». D’autres disaient « Morano ta race », toujours en utilisant le mot « race » sans guillemets. Preuve, s’il en était besoin, que les racistes et les racialistes ont le même vocabulaire. Un vocabulaire dénoncé par les antiracistes universalistes, qu’il faut bien abattre si l’on veut substituer le combat confessionnel et « racial » au combat social et antiraciste.
Sihame Assbague, grande fan de Tariq Ramadan et du rappeur Médine, a le mérite d’être claire : « je suis pour le démantèlement de Sos racisme » a-t-elle déclaré à Mediapart.
Les antiracistes laïques, voilà l’ennemi !
C’était bien l’objet sous-jacent de cette marche. Importer la violence et le communautarisme à l’américaine. Monter les victimes d’« islamophobie » et de « négrophobie » contre les juifs et laïques, qu’ils soient juif, arabe ou noir.
Pour le comprendre, il ne faut pas se contenter de tendre le micro à deux ou trois porte-parole poussés en avant pour faire oublier les dizaines d’organisations ayant rédigé l’appel. Il faut lire leurs textes, leur doctrine. Le PIR (Parti des Indigènes de la République), écrit par exemple : « Comme il existe un rapport de force entre les #races, le but de notre organisation est de le politiser pour le faire basculer en notre faveur ».
Des consignes que les ceux qui couvraient la manifestation n’ont pas non plus jugé utile de rapporter, pas plus que les slogans entendus. La parole des « Indigènes », c’est bien connu, compte moins que leur couleur et leur jolie diversité…
S’ils avaient délaissé deux secondes leur paternalisme post-colonial et leur exotisme, ou s’ils faisaient simplement leur métier, ils auraient expliqué en quoi cette marche ne représente pas le camp de l’antiracisme mais sa division entre antiracistes communautaristes et antiracistes laïques. Et pourquoi beaucoup ne s’y sont pas associés.
Même Esther Benbassa s’y est rendue en se bouchant le nez ! Edwy Plenel, lui, prenait des selfies avec son nouveau public, découvert grâce aux conférences avec Tariq Ramadan. Sergio Coronado des Verts, qui n’a jamais ménagé son enthousiasme pour le prédicateur ultra-puritain, n’allait pas rater la fête. Quant à Clémentine Autain, dont le courant au Front de gauche est à la pointe de l’alliance avec les anti-Charlie, elle s’est précipitée et a tweeté d’émerveillement sur le cortège de « femmes » mené par Houria Bouteldja.
C’est tout le problème de certains politiques. A force de ne traiter les électeurs que comme des indigènes, ils vont finit par croire qu’il s’agit d’un peuple.
Aline Baïf, ProChoix