L’Observatoire de la Laïcité créé opportunément il y a trois ans par le Président de la République traverse une grave crise.
Ce qui doit nous importer c’est le débat d’idées et l’efficacité de l’action publique au service de la République. C’est parce que je m’inscris dans cette optique que j’ai refusé de signer la pétition –exprimant pourtant une exaspération légitime- demandant la démission de Jean-Louis Bianco : là n’est pas la question et une démission ajouterait de la crise à la crise ; la question tient au fond des choses.
Sans agressivité aucune, avec le souci de faire progresser le débat, je veux regarder lucidement les quatre fautes de l’Observatoire de la Laïcité : une faute juridique, une faute déontologique, une faute politique et une faute morale.
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La faute juridique. Le Président de l’Observatoire dit « nous sommes indépendants, le Premier Ministre n’a pas à s’exprimer sur notre action ».
Un observatoire placé, selon l’article 1 du décret le créant « auprès du Premier Ministre » et chargé de « conseiller le gouvernement » serait indépendant ?
Un observatoire dont la composition réunit, outre des parlementaires et des personnalités qualifiées, plusieurs représentants des ministères serait indépendant ?
Je me souviens que, du temps de Jean-Marc Ayrault, à propos du dossier Baby-Loup, le Président de l’Observatoire avait fait arbitrer Matignon pour que tous les fonctionnaires présents votent dans son sens ! Bonjour l’indépendance…
Voilà déjà une bonne raison pour laquelle le « rappel à l’ordre » de Manuel Valls était bienvenu.
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La faute déontologique : l’Observatoire étant « divers », il m’apparaît qu’il devait s’en tenir à une certaine neutralité, un certain devoir de réserve :
Loin de ça, l’Observatoire se mêle d’un débat public, signe des pétitions, condamne… Et voilà le pire : la crise éclate à propos d’un tweet de son rapporteur général critiquant Elisabeth Badinter pour une intervention respectable sur une radio publique. J’avais attiré l’attention de Bianco sur le double risque des tweets : 140 signes pour traiter de sujets si sensibles et complexes ajoutés à la tentation de « faire le buzz », c’était tellement risqué que ça courait droit à la catastrophe. Nous y sommes.
J’ajoute, et je le maintiens avec fermeté qu’il me semble que ça n’est pas la mission d’une institution de la République, quelle qu’elle soit, de polémiquer avec une intellectuelle honorable, quelle qu’elle soit, a fortiori sans en avoir délibéré collectivement. La République ce sont aussi des principes de comportements, des interdits qu’il faut rappeler de temps en temps. Deuxième bonne raison du rappel à l’Ordre du Premier Ministre.
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La faute politique. Continuons à être clair : les responsables de l’Observatoire voudraient nous faire croire qu’il s’agirait du retour du débat de 1905 entre Aristide Briand, tenant de la liberté de conscience et Combes, l’antireligieux célèbre. Aujourd’hui, entre l’Observatoire et les « intégristes laïques » qui voudraient interdire aux religions de s’exprimer sous quelque forme que ce soit dans l’espace public.
Cette présentation des choses est caricaturale et fallacieuse. D’abord parce que je ne sais pas ce qu’est un « intégriste laïque » quand il s’agit d’affirmer la plus belle de nos libertés, la liberté de conscience. Le « laïcisme intégriste » est un concept artificiel inventé pour combattre, en les dévaluant, les défenseurs d’une laïcité sans adjectif.
Ensuite parce que je me sens aussi proche d’Aristide Briand (et de Ferdinand Buisson ! et de Jaurès !) qu’éloigné du père Combes et que je ne me reconnais donc pas dans cette présentation.
De quoi s’agit-il ? La Gauche républicaine et laïque depuis plus d’un siècle a toujours été traversée par deux courants de pensée : l’un plus attaché aux droits de l’homme et à la diversité ; l’autre plus républicain, attaché à l’unité et au commun. Comme le dit Régis Debray dans Le Monde du 27 janvier « qu’il y ait dans notre tradition, deux gauches comme il y a trois droites, cela s’apprend en 1ère année de Sciences Po » ! Pour moi être socialiste, c’est conjuguer les deux, c’est tenir les deux bouts de la chaîne, qui réunit ces deux courants qui sont, l’un et l’autre, authentiquement de gauche. Car la Laïcité, c’est le respect des spécificités ET leur dépassement, c’est la conjugaison de la diversité ET l’unité, ce sont les droits ET les devoirs.
Si l’on oublie le « ET », on ampute la laïcité : le communautarisme respecte les différences ! Mais il ne cherche pas à les dépasser…
Or, depuis la création de l’Observatoire de la Laïcité, son Président n’a cessé de dresser ces deux familles l’une contre l’autre et, pour être plus précis, pour donner systématiquement raison à l’une contre l’autre. On aura deviné laquelle.
Là est la faute politique car cela divise le monde laïque. Et toute division est un affaiblissement. Troisième bonne raison pour Manuel Valls…
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Reste la quatrième faute, qui touche à la situation de notre pays en ces heures douloureuses. La France est en guerre avec un intégrisme religieux particulier, l’intégrisme islamiste, le fanatisme djihadiste de barbares qui assassinent nos fils et nos compagnes jusque dans nos rédactions, nos épiceries, nos bistrots et nos salles de spectacles et qui menacent à présent jusqu’à nos écoles et nos enseignants. Face à cette agression terrible, il faut avoir les idées claires et les paroles justes.
Nous, Républicains, laïques et progressistes ne pouvons pas répondre à un amalgame par un autre !
Face à l’amalgame irresponsable et dangereux du Front National devant l’Islam et les musulmans, les assimilant à un danger global et indistinct, nous ne devons pas répondre par un autre amalgame sur le thème « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » !
Ne qualifions pas le Front National de tenant d’une « laïcité dure » alors qu’il n’est pas laïque du tout, pour inventer je ne sais quelle « laïcité molle » par souci de se différencier de lui. Soyons la laïcité tout simplement.
« Mal nommer les choses, c’est ajouter à la misère du monde » disait Camus et, justement, la démocratie ce n’est pas l’amalgame, c’est la différenciation. Notre devoir, c’est aujourd’hui de distinguer, de différencier l’immense majorité des musulmans de France qui sont républicains et laïques, et qu’il faut aider, d’une minorité d’intégristes, fanatiques et dangereux qu’il faut combattre.
Notre devoir c’est de critiquer l’islam, comme toute autre religion, non pas par principe mais quand il porte atteinte aux droits universels et, notamment à l’égalité hommes-femmes.
Il n’est pas indifférent que ce débat explose après qu’Elisabeth Badinter ait justement démontré que le concept d’islamophobie a été inventé, construit et promu par les intégristes musulmans et leurs prédicateurs obscurs pour coaliser les musulmans de France autour d’eux en leur faisant croire que la République et la Laïcité seraient antireligieux. « Il n’y a rien à espérer de la République, elle nous combat, elle nous empêche de croire librement » veulent-ils convaincre. Avant de convaincre de l’étape suivante…
Ce raisonnement d’Elisabeth Badinter a été, avant elle, fort bien démontré par Gilles Kepel dans son dernier ouvrage ou par Caroline Fourest et Fiammetta Venner dans leurs travaux depuis plus de 10 ans. Ou bien –encore lui !- Régis Debray qui disait cette semaine que « le chantage à l’islamophobie est insupportable ».
C’est pourquoi il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe si c’est le prix à payer pour être libre de dénoncer ce stratagème mortifère. Si c’est le prix à payer pour être efficaces dans notre lutte sans merci. Allons ! Serons-nous assez aveugles pour ne pas voir que l’islam radical mène, contre la laïcité, le même combat que l’église catholique en 1905 ?
Et c’est pourquoi il peut être dangereux de signer des textes avec des personnalités et des organisations, notamment religieuses, qui ne s’étaient pas manifestées après les attentats de janvier parce qu’elles pensaient à voix à peine basse que ceux de Charlie « l’avaient bien cherché » en se permettant de critiquer et de caricaturer une religion, les religions, bref en se permettant d’être libres. Pourquoi ces appels, pourquoi ces signatures aujourd’hui et pas hier ?
Etre laïque aujourd’hui ça n’est pas tout accepter des religions sous prétexte que la laïcité n’est pas et ne sera jamais antireligieuse. C’est être critique et exigeant avec elles, notamment pour qu’elles se démarquent sans ambigüité de leurs intégrismes respectifs. C’est ainsi qu’elles montreront leur fidélité à la République.
Ces questions il faut se les poser et y répondre clairement, hors de toute confusion. Il est temps de réparer ces quatre fautes et de se remettre au travail avec le seul souci du rassemblement dans la clarté pour le meilleur service de la Laïcité.