Nous sommes en 2017 et la « mode pudique » is the new « mode islamique », qui devenait trop marquée religieusement. Pour certains, la « mode pudique » est désormais également un nouveau féminisme, complètement dépolitisé, mais surtout sharia-compatible.
En 2016, l’expression « mode pudique » est apparue progressivement dans les médias après que plusieurs grandes marques telles que H&M, Zara, Dolce & Gabbana ou encore Uniqlo aient sorti une ligne de vêtements à destination des femmes voilées. Le marché est en plein essor : les prévisions envisagent un marché à 327 milliards de dollars en 2020. La ministre des Droits des Femmes, Laurence Rossignol s’en était émue, jugeant ces marques « irresponsables ». Rokhaya Diallo s’était alors indignée des propos de la ministre dans Jeune Afrique :
« Et pour moi, la première victoire des femmes est de pouvoir disposer de leur corps librement. Et je trouve ça scandaleux qu’une ministre du Droit des femmes considère qu’elle doive protéger une partie des femmes seulement. Elle manque de respect à ces femmes qui font le choix de porter le foulard : elle ne considère pas que leur droit à s’habiller comme elles le souhaitent soit un droit ».
Ce qui était précédemment considéré comme « mode islamique » devient « mode pudique ». Citons également les Hijab Day, organisés notamment à Sciences Po, promus de la même manière. La « mode pudique » est alors plutôt défendue au nom du libre choix de se vêtir, puisque le voile et les vêtements amples et longs seraient des « vêtements comme les autres ». La dépolitisation du religieux est alors en route. Dans la présentation du Hijab Day à Sciences Po on peut lire :
« Si toi aussi tu trouves que ce serait sympa d’essayer la décence, le respect de l’autre, l’échange et la compréhension mutuelle, tout ça, tout ça… dans notre société tristounette»
Récemment, lorsque la polémique autour de Lallab a éclaté, il est apparu que cette association promouvait elle aussi la « mode pudique », ou « modest fashion » en anglais, tout en se revendiquant ouvertement féministe. Il n’est plus seulement question de revendiquer le droit de se vêtir de façon « pudique » au nom des libertés individuelles, mais également de considérer que la « mode pudique », c’est féministe.
Il est nécessaire de lever les ambiguïtés volontairement introduites dans le débat par les militant(e)s de la « mode pudique ». Les féministes universalistes ne remettent pas en question le droit des femmes de se vêtir selon leurs goûts, ne militent pas pour que les vêtements « pudiques » soient interdits. Pourtant, elles sont taxées d’ « islamophobes » et de mauvaises féministes car en critiquant la « mode pudique », elles s’attaqueraient aux femmes musulmanes. Si tout féminisme est critiquable, y compris le féminisme universaliste et matérialiste, ce dont ne se privent pas ces militantes, la « mode pudique » l’est aussi. Les universalistes exercent un de leur droit, à la liberté d’expression, pour rappeler plusieurs points essentiels.
Tout d’abord, la pudeur, comme le fait de couvrir les femmes, n’a rien de subversif. Le Larousse désigne la pudeur comme une « Disposition à éprouver de la gêne devant ce qui peut blesser la décence, devant l’évocation de choses très personnelles et, en particulier, l’évocation de choses sexuelles ». Faut-il préciser que gêne, décence, et timidité sexuelle font partie des stéréotypes associés et demandés au genre féminin ? Être féministe, n’est-ce pas revendiquer le droit de ne pas vivre sous les complexes et les tabous, d’assumer son corps, d’occuper l’espace public, de façon égale aux hommes ?
Les prescriptions religieuses n’ont jamais été sources de féminisme. L’escroquerie du « féminisme chrétien » n’a pas eu de mal à être démasquée lorsqu’il s’agissait de femmes chrétiennes revendiquant en leur nom le droit de rester au foyer, et d’être anti-avortement. Personne n’a songé à affirmer qu’il s’agissait de l’avant-garde des féministes car c’était des femmes qui s’exprimaient. Il existe bien évidemment des féministes musulmanes, plus ou moins croyantes, qui ambitionnent d’élargir les droits des femmes dans un contexte précis, et sans intrusion du religieux. Le « féminisme islamique », qui englobe la « mode pudique », fait plutôt l’effet inverse : il emmène plus de religion dans les droits des femmes de par ses références littéraires et politiques ou de par la promotion du voile, qui est par essence sexiste car ne s’appliquant pas aux hommes.
Enfin, la « mode pudique » n’est pas une « mode comme les autres ». Cette façon de décontextualiser et dépolitiser la mode islamique permet de la relativiser pour la confondre avec les autres vêtements. Comme nous l’avons vu, elle s’inscrit dans un cadre religieux et dans un contexte général où la pression religieuse au niveau français comme international devient de plus en plus présente. Vouloir faire passer la promotion du voile ou des tenues « pudiques » comme similaire aux autres tenues est habile… si l’on masque les références religieuses et politiques, il n’y a plus de « problème », et les féministes universalistes sont tout simplement racistes. Seul ennui pour les partisans de la « mode pudique » : user de cet argument pour dépolitiser et « dé-religioser » cette mode rentre en contradiction avec l’argument précédent comme quoi le « féminisme islamique », ou issu des prescriptions islamiques, existerait…
La boussole féministe des partisans de la « mode pudique » est comme déréglée. L’aiguille n’indique plus l’égalité femme-homme, mais vacille dans tous les sens, puisque tout n’est qu’affaire de choix pour que ce soit considéré comme « féministe ». Ainsi, Lila et Alma Lévy, les deux lycéennes qui avaient fait les gros titres en 2003 en refusant d’enlever leur voile pendant les cours, avaient par la suite ensuite également évoqué sur le plateau de l’émission Campus le « libre choix »… de se faire lapider pour adultère.
Il est ainsi plus que nécessaire de combattre l’analogisme ambiant qui voudrait que toute critique de la « mode pudique » = « islamophobie ». Tous les féminismes sont susceptibles de faire l’objet de critiques, du féminisme le plus ambitieux au féminisme le plus religieux. Y compris donc celui qui voudrait imposer un panneau STOP aux féministes universalistes, de toutes nationalités, qui tentent depuis tant d’années de repousser petit à petit les limites des inégalités sexuelles, le puritanisme et les interprétations sexistes des textes religieux.
La subversion et l’émancipation féministes s’inscrivent-elle contre la nudité féminine, qui est pourtant non acquise, considérée comme vulgaire, sexuelle, menaçante et provocante, à la différence de celle des hommes ? Cette nudité est pourtant dénoncée comme « dominante » aussi bien par les promoteurs de la « mode pudique » que par des militants de l’islam politique. Ou la subversion et l’émancipation féministes s’inscrivent-elle contre la maîtrise du corps des femmes par quelque institution que ce soit, contre le puritanisme et les tabous sexuels, dans un objectif d’ égalité femme/homme ?
Il semblerait que répéter en boucle que la «mode pudique » est un « choix » féministe in-jugeable ne résiste pas à l’épreuve du temps, de la critique et de la contextualisation. Certaines associations féministes, comme certaines qui se sont précipitées pour signer dans Libération une pétition de soutien à Lallab, ou pour apporter leur soutien sur les réseaux sociaux, trouveraient une idée salutaire en clarifiant leur position et ligne directrice vis-à-vis de ce concept qui mute petit à petit du domaine religieux au féminisme.
Catherine Hervé