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La contre marche (Brigitte Stora)

« Je n’ai pas fait un film sur la marche de Beurs mais un film sur la marche pour l’égalité et contre le racisme », ainsi s’exprimait le cinéaste Nabil Ben Yandir, réalisateur du film La Marche. Lors d’une avant première au musée de l’immigration. Ce beau film généreux reconstitue l’itinéraire de ces jeunes marcheurs qui traversèrent la France puis furent accueillis à Paris par plus de 100 000 personnes. Les jeunes générations y découvriront la formidable solidarité qui a uni les marcheurs et leurs soutiens tout au long d’un parcours difficile puis la joie et la dignité d’une gigantesque manifestation qui accueillit leur arrivée à Paris.

Le mot beur que réfute Nabil ben Yandir fut surtout une invention des médias, réductrice, puisqu’elle ne concernait que les jeunes issus de l’immigration maghrébine, elle ne fut que rarement utilisée par les intéressés, c’est pourtant le mot et l’on en comprendra l’intention, du titre du documentaire de Samia Chala … chronique des années beurs.

Diffusé sur la chaine parlementaire et relayé par la plupart des médias, ce documentaire prétend nous raconter l’envers du décor, nous ouvrir les yeux (1). Les vrais marcheurs vont-ils parler ? Azouz Begag ouvre le documentaire sur un constat d’échec. « Les jeunes n’ont jamais entendu parler de ce que nous avons fait ». Le « nous » est appuyé, on espère une explication sur ce « défaut de transmission » de la part des porteurs de mémoires, hélas ce documentaire, essentiellement à charge, n’abordera jamais la question. Passons sur le fait que la plupart des interrogés n’ont jamais fait la marche. Après tout un mouvement n’appartient jamais à ceux qui l’ont initié mais sans doute encore moins à ceux qui l’ont ignoré voire combattu. Le discours, pourtant légitime, sur la récupération politique et la non prise en compte des jeune issus de l’immigration, ne manque pas de saveur dans la bouche d’Azouz Begag, ancien ministre d’un gouvernement de droite ou dans celle de Djida Tazdaït ancienne députée européenne chez les Verts désormais candidate du Modem… Si Magyd Cherfi du groupe Zebda reconnaît la place que ces jeunes d’origine maghrébine ont fini par occuper dans le champs culturel, ses propos sur la nationalité française vécue « comme un coup de poignard dans le dos de son père » laissent rêveur, on aurait espéré plus de fraternité de la part de celui qui fit danser la France entière avec « tomber la chemise ». Mais tout cela ne serait rien sans l’explication de « comment les « Beurs » se sont fait avoir ». Cette explication, dans la droite ligne des discours conspirationnistes, c’est Farida Belghoul qui la porte. Mme Belghoul ne fut pas une marcheuse, ancienne militante de l’Union des étudiants communistes, elle initia la marche de Convergence 84. Devenue proche des islamistes, cette dernière s’affiche désormais aux côtés d’Alain Soral et c’est sur un ton sentencieux qu’elle énonce que la « création de SOS racisme ne correspondait pas aux intérêts de la France … »

A ce stade il faut peut-être quelques repères.

Après la marche de 83 n’eut pas de traduction politique, en juillet 1984 eurent lieu les Assises de Lyon : des débats houleux avec d’un côté, les «communautaires», partisans du «lobby beur», de l’autre, ceux qui considèrent que «La France, c’est comme une mobylette, pour avancer il lui faut du mélange»… Ces derniers seront à l’origine de l’initiative Convergence 84. Le 6 décembre 1984, plus de 30 000 ; jeunes pour la plupart accueillent les rouleurs. Mais c’est aussi ce jour-là que la principale initiatrice de Convergence et héroïne du doc prononce un discours où il est question de « faire du beur à l’envers un Arabe à l’endroit » où les « fachos, gauchos, cathos » sont mis dans le même sac où il n’est plus question de s’adresser aux « convaincus » que sont les antiracistes. Ce discours ne méritait sans doute pas d’entrer dans l’histoire mais il offrit un vide et c’est sur ce vide que va se créer SOS racisme. Le projet des fondateurs de SOS Racisme se veut large et consensuel. Face à la montée du Front national, il s’agit pour eux d’avantage d’affirmer des valeurs que des revendications, concerts géants, parrainages nombreux, SOS réunira en juin 85 quelque 300 000 personnes à la Concorde.

On peut partager bien des choses qui sont dites dans ce doc. Car si la France de 2013 ne ressemble plus à celle de 83, 30 ans après le constat reste mitigé. Les jeunes issus de l’immigration se sont largement intégrés, des musiciens, chanteurs, comédiens, sportifs et autres font désormais partie du paysage hexagonal et sont régulièrement cités comme personnalité préférées des français. La politique, toujours en retard, a fini elle aussi par leur faire une place. Moins médiatisés et plus nombreux sont ceux qui, issus de parents ouvriers ont intégré les grandes écoles, sont devenus chercheurs, avocats, enseignants. Pourtant les problèmes demeurent ; dans les cités la drogue et son cortège de violence et de mort n’en finit pas de miner l’espoir et le vivre ensemble, les années sida ont décimé les rangs de nombreux acteurs de la vie associative. La mixité ethnique plus visible aujourd’hui qu’hier sur la scène publique a pourtant presque disparu de certains quartiers relégués où l’absence de perspective et le taux de chômage atteignent des niveaux inégalés. Le repli sur soi et la perte de certaines valeurs ont formé un terreau favorable aux discours de haine que les islamistes utilisent à leur fin. Tout cela aurait pu être abordé voire éclairé par des sociologues et des historiens loin du « complot sioniste » qui sert d’explication au monde et que reprend à son compte Farida Belghoul aux côtés d’Alain Soral qu’elle a récemment rejoint. Légitimer A. Soral et son site « Egalité et réconciliation » aux yeux de l’immigration et de ses héritiers constitue à la fois une faute morale et politique. F. Belghoul est inexcusable. C’est Houria Boutelja patronne des indigènes de la république qui l’écrit… A l’heure du repli sur soi, de la haine de l’Autre qui s’exprime çà et là, à l’heure où des insultes racistes qu’on croyait d’un autre âge s’expriment ouvertement, à l’heure aussi où des enfants dans ce pays ont été assassinés, peut-on encore laisser diffuser cette petite musique sur la chaine parlementaire à une heure de grande écoute ? Peut-on promouvoir sans aucune responsabilité les marchands de haine ? 30 ans après la marche, est-ce de cela que notre pays a besoin ?

Brigitte Stora

(1) Médiapart De la trahison des «Beurs»: retour sur une marche récupérée 18 NOVEMBRE 2013 | PAR ANTOINE PERRAUD Voilà 30 ans, ils défilaient pour l’égalité et contre le racisme. Ils ne trouvèrent que paternalisme et faux-fuyants de la part d’une gauche moralisante, prompte à transformer la politique en spectacle. Un documentaire nous ouvre les yeux sur ce jeu de dupes, dont les Français issus de l’immigration ne cessent de faire les frais…

« il fallait lire, naturellement « Lettre aux Cons Vaincus » – le texte dénonçait les « faux anti-racistes ». Alors qu’en tout état de cause, il s’agissait d’alliés dans la lutte anti-raciste », Albano Cordeiro, membre de la Coordination nationale de Convergence 84 pour l’Égalité.

mardi 26 novembre 2013

Un mot de Djemila Benhabib

Cher(e)s ami(e)s

À l’été 2012, j’étais en pleine rédaction de mon troisième ouvrage Des femmes au Printemps en hommage aux femmes tunisiennes et égyptiennes paru au Québec en novembre 2012 ainsi qu’en France et en Algérie, quelques mois plus tard, sous le titre de L’Automne des femmes arabes lorsque j’appris qu’une école musulmane avait eu recours aux services d’un avocat pour m’intenter une poursuite en diffamation en raison de propos que j’avais tenus, en février 2012, à l’émission radiophonique de Benoît Dutrizac au 98,5 fm.

La journée s’annonçait chaude. Elle l’a été, en effet. Mais certainement pas pour les raisons que j’avais anticipées. Je ne sais si c’est l’atmosphère du Caire ou de Tunis qui rendait mes doigts moites. Deux villes époustouflantes que je venais de quitter après un séjour de quelques semaines. Mon cœur brûlait d’espoir. Ma tête tremblait d’inquiétude. Une brèche venait de s’ouvrir. Les murs du temple étaient désormais ébranlés! Je me mettais à rêver, encore une fois, exactement comme en 1988 à la naissance du multipartisme en Algérie. C’était, bien entendu, avant l’apparition du Front islamique du salut (FIS) et de ses armées sanguinaires. Comment rester indifférent à la brûlure des autres quand au moins une fois dans sa vie on a frôlé l’enfer?

De retour au Québec, j’étais surtout hantée par les visages lumineux de ces résistantes et résistants qui manifestaient nombreux, les mains nues, contre les escadrons de la mort salafistes et de leurs acolytes les Frères musulmans. Ici, j’étais loin de ces prêches haineux appelant à l’assassinat des démocrates jugés « trop libres » et des « maudites femmes occidentalisées », de ces mains d’hommes agrippant des bouts de chair et de cette déferlante de voiles noires déambulant dans les rues. Ici, j’étais redevenue une femme libre.

Je m’étonnais à peine d’une telle « contrariété ». Sans doute, à cet instant-là, je n’ai pas pris la mesure réelle de cette cabale juridique qui s’orchestrait contre moi. Elle me paraissait si dérisoire comparativement à ce souffle de liberté qui embrasait le monde arabe. Je crus que le temps de l’immobilisme, de la vie sèche et des âmes mortes étaient désormais dépassé. « Je veux écrire», dis-je au téléphone à un ami volant à mon secours pour me prodiguer quelques judicieux conseils. «Tu comprends? Il faut que je finisse ce livre, impérativement», insistais-je.

Poursuivre mon travail d’écriture et m’y consacrer entièrement était une promesse à laquelle je m’accrochais grâce notamment à quelques soutiens inattendus qui m’ont permis de réagir efficacement, étouffant ainsi ce sentiment d’injustice qui m’envahissait.

Car moi aussi il m’arrive quelquefois de désespérer de la démission d’une bonne partie de nos élites, de leurs omissions calculées, de leur aveuglement obstiné, de leurs silences trop nombreux, de leur lâcheté décomplexée et de leur grande complaisance face à l’islam politique. Un monde endormi dans son confort et bluffé par son indifférence est-il en meilleure posture qu’un monde rongé par la barbarie?

Mon cœur s’est remis à battre de joie. Et il battait de plus en plus fort au fur et à mesure que ma plume s’abandonnait. Les mots faisaient tant de bruit en moi. Mais ils étaient en même temps si peu de choses. Et puis Des femmes au Printemps a remporté le Prix Gérald Godin décerné par la Ville de Trois-Rivières! C’était en mai dernier. Mon nom désormais lié à celui d’un géant, quel ravissement! Quelques mois auparavant, une autre ville m’accueillait, celle de Paris, pour me décerner une autre distinction, le Prix international de la laïcité. C’était le nirvâna…version laïque, bien entendu!

Qu’ajouterais-je à tous ces événements? Sinon que je ne cherche à convaincre personne de la justesse de mes propos pour lesquels on me poursuit. Chacun est en mesure de se faire une idée sur le bien-fondé de cette cause. Une chose est sûre, jamais je n’accepterai de faire silence sur une terreur dont je connais les moindres contours, les ambitions liberticides et les stratégies diaboliques.

Cela fait plus d’un an que ça dure et ça peut durer pendant longtemps encore. Je le sais. J’avoue, certains jours ont été plus difficiles que d’autres, certaines nuits trop brèves. Quelques projets ont malheureusement été renvoyés aux calendes grecques. D’autres, par ailleurs, ont abouti parmi lesquels un séjour en Afghanistan l’été dernier qui se conclura par un récit dans ce coin du monde des ombres bleues grillagées.

Dans cette épreuve, j’ai toujours été soutenue et accompagnée d’une façon formidable par mon compagnon, Gilles Toupin, mes parents, Kety et Fewzi, ma famille, mes avocats, mes éditeurs, mes nombreux amis et tant de personnes anonymes qui me témoignent leur soutien. J’ai des raisons d’espérer! Car mon engagement me lie à chacun d’entre vous et puise ses racines dans une même communauté de destins. Celle d’une humanité en mouvement débarrassée des carcans ethniques et religieux. Ma communauté, c’est l’humanité toute entière. Ma religion, ce sont Les lumières. C’est grâce à vous toutes et tous que j’ai pu garder la tête hors de l’eau, avancer dignement, continuer coûte que coûte sur ce si long chemin.

À vous toutes et tous je dis merci du plus profond de mon être. À vous toutes et tous qui, inlassablement, jour après jour, continuer de me gratifier de votre solidarité, une solidarité qui prend mille et un visages, je dis merci encore et toujours! Surtout, soyez les témoins bruyants de votre époque!

Quant à moi, rien ni personne ne me fera taire. Je ne connais ni la peur ni la fuite. Je reste convaincue qu’il n’est pas moins urgent, aujourd’hui qu’il y a trois siècles, de lutter contre les tentations obscurantistes, la bigoterie, la censure et le fanatisme. Les défis de ce début de siècle nous imposent une lucidité et un engagement encore plus grands que par le passé. Merci encore !

À très bientôt!

Djemila B.

http://jesoutiensdjemila.org/index.php/un-mot-de-djemila-benhabib/

mercredi 6 novembre 2013

Campagne de soutien à Djemila Benhabib

L’écrivaine et journaliste Djemila Benhabib, Prix international de la laïcité 2012 et finaliste du Prix Simone de Beauvoir en 2013, est actuellement poursuivie en justice par un établissement scolaire privé portant le nom Écoles musulmanes de Montréal (EMMS) pour avoir tenu publiquement des propos soi-disant « anti-coraniques » et « diffamatoires » (comme l’atteste la poursuite) lors d’une entrevue radiophonique au 98,5 FM à l’émission de Benoit Dutrizac, le 8 février 2012, qui donnait suite à un article publié sur son blogue du Journal de Montréal mettant en cause la dite école. Comme cette école religieuse créée en 1985 offre des services en maternelle, au primaire et au secondaire, est subventionnée en partie par des deniers publics à raison de plus de 400 000 $ par année, nous considérons qu’il est de notre devoir de nous questionner sur ses agissements ainsi que sur ses méthodes d’enseignements et le contenu de ses programmes.

Étant donné les moyens disproportionnés dont dispose cette institution scolaire affiliée à La Mosquée de Montréal et au réseau Muslim community of Montreal (MCQ) au ramification internationale, il nous apparaît que l’un des objectifs visés par cette poursuite est de plonger madame Benhabib dans une situation inextricable pour l’intimider, lui faire peur, contrarier son engagement et finalement la condamner au silence. Car force est de constater que ni la station radiophonique 98,5FM, ni Le Journal de Montréal n’ont été visés par la même poursuite.

Face à cette situation que nous jugeons très préoccupante, nous nous sommes organisés en Comité de soutien à Djemila Benhabib et nous avons désigné comme porte-parole, Louise Mailloux, professeur de philosophie, auteure et militante laïque, féministe et indépendantiste bien connue. A travers cette action, nous voulons apporter à Djemila Benhabib notre soutien et lui exprimer aussi l’admiration que nous vouons à son engagement constant en faveur de la société québécoise. Nous agirons désormais en qualité de Comité de soutien de Djemila et nous nous engageons à recueillir les fonds nécessaires pour défrayer ses frais juridiques. Par ailleurs, l’organisme à but non lucratif, Génération nationale, se chargera de coordonner les dons. A préciser que les noms des donateurs ne seront pas rendu publics.

L’auteure de Ma vie à contre-Coran, vous le savez, milite depuis des années contre l’intégrisme musulman et dénonce ses stratégies d’entrisme et ses ambitions hégémoniques aussi bien dans les pays musulmans qu’en Occident. La réduire au silence serait une perte considérable pour la liberté d’expression.

Puisque le précédent crée le droit, une victoire des accusateurs aurait des conséquences très graves pour l’avenir de notre société, en particulier en ce qui concerne la liberté de critiquer les religions. Ces enjeux qui touchent aux libertés fondamentales, au système éducatif ou encore à l’égalité entre les femmes et les hommes ou au droit du public à être informé, concernent tout le monde. Ils doivent retenir notre attention, plus encore, être débattus sur la place publique sans crainte de représailles de qui que ce soit.

Il est à souligner, dans cette affaire que les adversaires de madame Benhabib organisent des rallyes à travers des réseaux islamiques afin de financer leur cause et ce depuis 2012.

Nous devons faire preuve de solidarité envers madame Benhabib car cette affaire dépasse sa simple personne. Ce procès est d’abord et avant tout politique et idéologique. C’est une femme courageuse, une intellectuelle engagée en faveur de la laïcité et des droits des femmes ainsi qu’une farouche opposante à l’islam politique que l’on cherche à atteindre. C’est pourquoi nous vous invitons à soutenir cette campagne en faisant parvenir un don par l’entremise du lien suivant.

Pour faire un don par carte de crédit, cliquez sur le bouton en haut de la page.

Par comptant ou par chèque: jesoutiensdjemila.org 701 rue Thibeau CP 33023 Trois-Rivières, QC G8T 9T8

Par ailleurs, en parcourant l’ensemble des rubriques de ce site Internet, vous pourriez en apprendre davantage sur la poursuite en question.

Merci pour votre solidarité !

Le Comité de soutien de Djemila

dimanche 27 octobre 2013

Baby-Loup et la protection européenne des droits fondamentaux. (Anne Demetz)

Dans l’affaire « Baby Loup » (crèche privée), plaidée le 17 octobre 2013 (délibéré au 27.11.2013), devant la Cour d’appel de Paris, le procureur général, François Falletti, s’est opposé à la Cour de cassation, qui avait jugé illicite la clause du règlement intérieur de l’employeur, instaurant une obligation de respect des principes de laïcité et de neutralité, et, discriminatoire, le licenciement d’une salariée portant le voile . La position du Parquet peut se justifier au regard des normes européennes de protection des droits fondamentaux (2).

Le droit interne français.
S’il existe des garderies et des services d’assistant(e)s maternel(le)s municipaux, obéissant aux règles du service public, dont la neutralité de leurs agents (3), il n’existe pas de service public de la petite enfance, à l’échelle nationale, l’Etat n’ayant pas l’obligation d’accueillir tous les enfants dans ces structures. Et, pour le moment, aucun texte législatif ou réglementaire n’impose une obligation de neutralité aux professionnels de la jeunesse, ne travaillant pas pour le service public (4). Qui plus est, l’article L 1121-1 du Code du travail pré-voit que : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but re-cherché.» et l’article L 1321- 3 alinéa 2 que : « Le règlement intérieur ne peut contenir : ….2° Des disposi-tions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » Ces articles s’appliquent au personnel des crèches privées.
A l’occasion de l’affaire « Baby Loup », la Cour d’appel de Versailles avait rendu un arrêt, le 27.10.2011, confirmant la décision du Conseil des prud’hommes de Mantes la Jolie, du 13.12.2010, disant licite le règlement intérieur d’une crèche privée soumettant ses employés à une obligation de neutralité. Mais, par arrêt du 19.03.2013 (n° de pourvoi: 11-28.845, publié au Bulletin et sur Légifrance), la chambre sociale de la Cour de cassation, sans tenir compte des conclusions, tendant au rejet du pourvoi de la salariée, soutenues par l’avocat général (pourtant bien motivées, particulièrement sur les obligations de la France au regard de la CEDH (5)), a cassé dans toutes ses dispositions, l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles et a renvoyé les parties devant la cour d’appel de Paris. Pour ce faire il est retenu ;
D’une part que : « le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ; qu’il ne peut dès lors être invo-qué pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail ; ». Ce motif est sans surprise au regard du droit positif français même si les financements dont dispose la crèche Baby-Loup sont pour leur majeure partie constitués de subventions publiques (6). D’autre part que : « la clause du règlement intérieur, instaurant une restriction générale et imprécise, ne ré-pondait pas aux exigences de l’article L. 1321-3 du code du travail ». Ce, sans considération de la jurispru-dence de la Cour européenne de Strasbourg.
Non conformité du droit interne français et du droit international.

Exposé
• Droit conventionnel. Pour l’exercice du droit de manifester sa religion, consacré par l’article 9 alinéa 2 (liberté de pensée et de conscience) de la CEDH (7), la Cour européenne de Strasbourg n’indique pas qu’une ingérence dans l’exercice de ce droit, procédant d’une décision d’un employeur public soit, de ce seul fait, plus justifiée que celle procédant d’une décision d’un employeur privé (8) et n’exclut pas, pour ces derniers, y compris ceux qui ont à prendre en charge des jeunes enfants et les entreprises dites « de tendance » (9), que puisse être intégré dans leur règlement intérieur et/ou dans leurs contrats de travail, une stipulation qui restreint la possibilité de manifester sa religion. En effet, à partir du moment ou cette clause est rédigée avec précision, qu’il apparaît qu’elle peut être appliquée sans discrimination et qu’elle est motivée elle doit pouvoir être considérée comme constitutive d’une ingérence légitime, s’il y a lieu.
Il faut donc en conclure que les dispositions des articles L 1121-1 et L. 1321-3 du code du travail fran-çais, sont trop restrictives. En effet la « nature de la tâche à accomplir » n’est pas la seule circonstance que la Cour européenne retient, pour apprécier la légitimité d’une ingérence (10). Ceci posé, dans le cas de la crêche « Baby Loup», si on l’on se réfère à la jurisprudence de la Cour, applicable désormais aux entre-prise privées, la « nature de la tâche à accomplir » justifiait, à elle seule, l’ingérence (11).
• Droit communautaire. L’article 4, § 2, de la directive européenne n° 2000/78 CE, du Conseil de l’Union Européenne, du 27.11.2000 « portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en ma-tière d’emploi et de travail» , prévoit des dispositions particulières pour les entreprises de tendance leur per-mettant de restreindre le droit de manifester sa religion ou sa conviction (12). Cependant, cette directive n’ayant pas été transposée en droit français, la Cour de cassation ne tient pas systématiquement compte : « du caractère spécifique de l’objet de nombreuses entreprises, institutions ou associations pour admettre qu’elles puissent exiger de leurs salariés une obligation particulière de loyauté » (13).

Solutions envisageables.
Elles sont au moins deux. Leur mise en oeuvre permettrait à toute entreprise privée d’exiger de ses salariés de ne pas manifester ostensiblement leur appartenance religieuse dans l’exercice de leurs fonctions, à partir du moment ou les critères établis pour ce faire par la Cour européenne ou l’article 4, § 2, de la Directive eu-ropéenne n° 2000/78 CE, sur les entreprises de tendance sont réunis.
• La modification du code du travail. Il faut faire en sorte que les articles L 1121-1 et L. 1321-3 soit rédi-gés conformément à ce que la CEDH et la jurisprudence de la Cour européenne prévoient pour justifier une ingérence dans l’exercice des droits fondamentaux. Cette justification repose sur trois critères : l’ingérence doit être prévue par la loi, reposer sur un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique. L’ article L 1121-1 du Code du travail pourrait ainsi disposer que : « Nul ne peut apporter aux droits des per-sonnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas prévues par la loi, jus-tifiées,un but légitime et nécessaires dans une société démocratique ni proportionnées au but recher-ché.» et l’article L 1321-3 du Code du travail : « Le règlement intérieur ne peut contenir : …2° Des disposi-tions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas prévues par la loi, justifiées, un but légitime et nécessaires dans une société démocratique ni proportionnées au but recherché » (14).
• La reconnaissance des entreprises de tendance. Il est désormais nécessaire de transposer en droit interne la Directive européenne n° 2000/78 précitée, afin que celle ci puisse être impérativement applicable (15).
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En attendant que le droit interne français s’adapte aux normes européennes de protection des droits fonda-mentaux, la Cour d’appel de Paris peut choisir d’appliquer directement l’article 9 alinéa 2 de la CEDH, dont la France est signataire (16). Pour autant , après la décision à venir de la Cour d’appel et celle de la Cour de cassation, qui peut encore avoir à connaître de l’arrêt d’appel, la Cour européenne de Strasbourg pourra tou-jours être saisie. Tout risque de condamnation de la France par cette dernière n’est donc pas écarté.
Anne Demetz
Avocate au Barreau de Paris

(1) Arrêt du 19.03.2013 (n° de pourvoi: 11-28845, publié au Bulletin et sur Légifrance).
(2) Ces conclusions sont d’ailleurs très complètes au regard de la CEDH (cf. note 7) et de la jurisprudence de la Cour européenne de Strasbourg.
(3) CAA Versailles, 8e Ch. jugement n° 0504207 du 07/03/2007 (Monique L / commune d’Evry).
(4) Cf. article « Petite enfance, aides publiques et neutralité » sur le site de l’association Egale.
(5) Bernard Aldigé, Avocat général, « Le champ d’application de la laïcité : la laïcité doit-elle s’arrêter à la porte des crèches.» Recueil Dalloz n° 14/7551 du 18.04.2013. (6) Cf. article « Choix parentaux et neutralité religieuse (le cas Baby-Loup) » sur le site de l’association Egale. L’obligation de neutralité a été étendue par un arrêt de la Cour de cassation du 19.03.2013 : caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis et autres , n° de pourvoi: 12-11.690, publié au Bulletin et sur Légifrance) aux entreprises privées gérant un service public. Mais ce n’est pas le cas de la crèche « Baby Loup», qui n’a qu’une mission d’intérêt général.
(7) Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.
(8) Cf Arrêt Eweida et autres c. Royaume-Uni, du 15.01.2013 (requêtes n°48420/10, 59842/10, 51671/10 et 36516/10.) La Cour y précise que lorsqu’un salarié travaillant pour un employeur privé se prévaut d’une ingérence dans un de ses droits garanti par la Convention, celle ci n’étant pas directement imputable à l’Etat, il convient de rechercher si le droit de l’intéressé de manifester librement sa religion était suffisamment protégé par l’ordre juridique interne. Mais rien d’autre, en dehors de cette considération. En termes de ports de signes religieux, cet arrêt est original car il concerne la croix chrétienne, y compris dans le secteur privé, et non le foulard islamique, comme c’est le cas de nombreux arrêts de la Cour, qui, de surcroît, ne portent que sur le secteur public.
(9) CEDH 23.09.2010, n°1620/03, Schüth c/ Allemagne, D. 2011. 1637, chron.J.-P. Marguénaud et J. Mouly, et 2012. 904, obs. J. Porta ; RDT 2011. 45, obs.J. Couard. La CEDH reconnaît qu ‘« au regard de la Convention, un employeur dont l’éthique est fondée sur la religion ou sur une croyance philosophique peut imposer à ses employés des obligations de loyauté spécifiques. »
(10) Selon la Cour européenne, les droits et libertés protégés par la Convention peuvent être limités lorsqu’ils empiètent sur les droits d’autrui ou contreviennent à un impératif de sécurité. Ce qui permet à un employeur de se prévaloir, sous le contrôle du Juge, de motifs de limitation des libertés plus larges que ceux tirés uniquement de la « nature de la tâche à accomplir ».
(11) CEDH Dahlab c. Suisse, arrêt d’irrecevabilité du 15.02.2001 (requête n° 42393/98), cité par le Procureur général Falletti, cette décision précise que le port du foulard : « dès lors qu’il semble être imposé aux femmes par une prescription coranique (…) est diffici-lement conciliable avec le principe d’égalité des sexes » et « Aussi, semble-t-il difficile de concilier le port du foulard islamique avec le message de tolérance, de respect d’autrui et surtout d’égalité et de non-discrimination que dans une démocratie tout enseignant doit transmettre à ses élèves » s’agissant, en l’espèce « de jeunes enfants particulièrement influençables ».
(12) « Les États membres peuvent maintenir dans leur législation nationale en vigueur à la date d’adoption de la présente directive ou prévoir dans une législation future reprenant des pratiques nationales existant à la date d’adoption de la présente directive des disposi-tions en vertu desquelles, dans le cas des activités professionnelles d’églises et d’autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, une différence de traitement fondée sur la religion ou les convictions d’une personne ne constitue pas une discrimination lorsque, par la nature de ces activités ou par le contexte dans lequel elles sont exercées, la reli-gion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’organisa-tion. Cette différence de traitement doit s’exercer dans le respect des dispositions et principes constitutionnels des États membres, ainsi que des principes généraux du droit communautaire, et ne saurait justifier une discrimination fondée sur un autre motif. Pourvu que ses dispositions soient par ailleurs respectées, la présente directive est donc sans préjudice du droit des églises et des autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, agissant en conformité avec les dispositions constitution-nelles et législatives nationales, de requérir des personnes travaillant pour elles une attitude de bonne foi et de loyauté envers l’éthique de l’organisation.»
(13) Voir les conclusions de Bernard Aldigé, Avocat général : note 45
(14) Selon l’avis de l’Observatoire de la laïcité ( « sur la définition et l’encadrement du fait religieux dans les structures qui assurent une mission d’accueil des enfants. »), publié le 15.10.2013, pp. 8 et 9 , qui valide la position prise par la Cour de cassation dans l’affaire « Baby Loup», l’article L 1121-1 du Code du travail, permettant déjà, dans sa rédaction actuelle, des restrictions aux libertés individuelles, dont celle de manifester sa religion ou sa conviction, il n’est pas nécessaire de le modifier, d’autant que cela risque de déboucher sur un texte contrevenant à un droit fondamental, notamment aux articles 9 et 14 (non discrimination) de la CEDH, et permettre un traitement du « fait religieux » différent de tout autre problème interne à l’entreprise ou créer plus d’insécurité juridique du fait d’un texte se prêtant à de larges marges d’interprétation.
Mais si une modification des articles L 1121-1 et L 1321-3 reprend mot pour mot la jurisprudence Strasbourgeoise, sur les critères de légi-timité d’une ingérence, un risque d’atteinte à un droit fondamental ne peut procéder de cette modification, à moins de considérer que les décisions de la Cour européenne vont à l’encontre des droits fondamentaux dont elle est la gardienne.
De plus, intégrer, aux articles susvisés, les critères de légitimité d’une ingérence à l’exercice d’un droit reconnu par la CEDH, dégagés par la Cour européenne, ne peut, en soi, entraîner un traitement différencié, au sein de l’entreprise, de l’exercice du droit de manifester sa religion ou sa conviction par rapport à l’exercice d’autres droits fondamentaux. Au contraire, dans l’arrêt Eweida (§ 83), la Cour retient que, dans le cadre des relations de travail, la liberté de religion doit être appréhendée de manière similaire aux autres droits garan-tis par la Convention (respect de la vie privé, liberté d’expression, droit d’adhérer ou ne pas adhérer à un syndicat..) : « la Commis-sion a conclu dans plusieurs décisions à l’absence d’ingérence dans l’exercice de la liberté de religion du requérant au motif que celui-ci pouvait démissionner de ses fonctions et trouver un autre travail (…). Toutefois, la Cour n’a pas tenu le même raisonnement en ce qui concerne les sanctions professionnelles infligées à des employés parce qu’ils avaient exercé d’autres droits protégés par la Convention, par exemple le droit au respect de la vie privée énoncé à l’article 8, le droit à la liberté d’expression énoncé à l’article 10 ou le droit négatif de ne pas s’affilier à un syndicat, découlant de l’article 11 (…). Vu l’importance que revêt la liberté de religion dans une société démocratique, la Cour considère que, dès lors qu’il est tiré grief d’une restriction à cette liberté sur le lieu de travail, plutôt que de dire que la possibilité de changer d’emploi exclurait toute ingérence dans l’exercice du droit en question, il vaut mieux apprécier cette possi-bilité parmi toutes les circonstances mises en balance lorsqu’est examiné le caractère proportionné de la restriction. »
Enfin concernant l’insécurité juridique, ce risque est déjà constitué si les articles L 1121-1 et L1321-3 du Code du travail, ne sont pas modi-fiés, puisqu’une décision des juridictions françaises, rendue en fonction de ces articles, pourrait être désavouée par la Cour européenne.
(15) Pour écarter la transposition de la directive, l’avis précité de l’Observatoire de la laïcité indique que : « Sur le plan juridique, cette notion, d’inspiration allemande, ne semble admise par la jurisprudence que sous réserve que la « tendance » soit directement en lien avec l’objet social de l’entreprise. De fait, il s’agit des partis politiques, des syndicats et des organismes confessionnels.»
Mais l’article 4, § 2, de la directive européenne n° 2000/78 CE, précise que : « lorsque, par la nature de ces activités ou par le contexte dans lequel elles sont exercées, la religion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle, légi-time et justifiée eu égard à l’éthique de l’organisation. » (cf. note 12), ce qui exclut qu’une «tendance» puisse être revendiquée pour n’importe quelle activité de vente de biens ou de prestation de service.
L’avis affirme encore que : « La laïcité n’est pas une opinion ni une croyance mais une valeur commune ». Toutefois, comme le note pertinemment M. le Procureur général Falletti : la « tendance » peut aussi être une éthique et dés lors il peut effectivement exister des entreprises de « tendance laïque ». Il précise « ce qualificatif étant compris au sens d’indifférence active à l’égard des religions et non au sens d’obligation constitutionnelle de neutralité pesant sur le seul Etat » et cite le cas de certaines organisations maçon-niques et de certains clubs de réflexion : « Ces entreprises sont naturellement conduites à mettre en place une organisation et des modes de fonctionnement internes en conformité avec leurs engagements et leurs actions ».
(16) Elle peut exercer un contrôle de conventionalité. Il permet à tout juge de vérifier la conformité de la loi française aux engagements inter-nationaux de la France. En effet, d’après l’article 55 de la Constitution de 1958, les traités internationaux ont une valeur supérieure à la loi.

jeudi 24 octobre 2013

Les perles du strass

Quelques perles de la part de ceux qui attaquent toute personne qui ose tenir tête au proxénétisme ou à l’intégrisme… De si belles causes à défendre…

« Nous réclamons la disparition du Code pénal des dispositions sanctionnant spécifiquement le ‘proxénétisme' »

Pour lire la suite http://perlespaillettes.tumblr.com

Manifeste des douze contre le nouveau totalitarisme

Puisqu’il est toujours valable, voici le « manifeste contre le nouveau totalitarisme » co-rédigé par Caroline Fourest et Mehdi Mozaffari après l’affaire des caricatures, signé par Salman Rushdie ou Taslima Nasreen, et publié dans Charlie Hebdo en 2006.

19896012

Après avoir vaincu le fascisme, le nazisme, et le stalinisme, le monde fait face à une nouvelle menace globale de type totalitaire : l’islamisme.

Nous, écrivains, journalistes, intellectuels, appelons à la résistance au totalitarisme religieux et à la promotion de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité pour tous.

Les évènements récents, survenus suite à la publication de dessins sur Mahomet dans des journaux européens, ont mis en évidence la nécessité de la lutte pour ces valeurs universelles. Cette lutte ne se gagnera pas par les armes, mais sur le terrain des idées. Il ne s’agit pas d’un choc des civilisations ou d’un antagonisme Occident – Orient, mais d’une lutte globale qui oppose les démocrates aux théocrates.

Comme tous les totalitarismes, l’islamisme se nourrit de la peur et de la frustration. Les prédicateurs de haine misent sur ces sentiments pour former les bataillons grâce auxquels ils imposeront un monde liberticide et inégalitaire. Mais nous le disons haut et fort : rien, pas même le désespoir, ne justifie de choisir l’obscurantisme, le totalitarisme et la haine.

L’islamisme est une idéologie réactionnaire qui tue l’égalité, la liberté et la laïcité partout où il passe. Son succès ne peut aboutir qu’à un monde d’injustices et de domination : celle des hommes sur les femmes et celles des intégristes sur les autres. Nous devons au contraire assurer l’accès aux droits universels aux populations opprimées ou discriminées.

Nous refusons le « relativisme culturel » consistant à accepter que les hommes et les femmes de culture musulmane soient privés du droit à l’égalité, à la liberté et à la laïcité au nom du respect des cultures et des traditions.

Nous refusons de renoncer à l’esprit critique par peur d’encourager l’ « islamophobie », concept malheureux qui confond critique de l’islam en tant que religion et stigmatisation des croyants.

Nous plaidons pour l’universalisation de la liberté d’expression, afin que l’esprit critique puisse s’exercer sur tous les continents, envers tous les abus et tous les dogmes.

Nous lançons un appel aux démocrates et aux esprits libres de tous les pays pour que notre siècle soit celui de la lumière et non de l’obscurantisme.

Signatures

Ayaan Hirsi Ali

Chahla Chafiq

Caroline Fourest

Bernard-Henri Lévy

Irshad Manji

Mehdi Mozaffari

Maryam Namazie

Taslima Nasreen

Salman Rushdie

Antoine Sfeir

Philippe Val

Ibn Warraq

Date : 2006

L’ordre et le sexe. Discours de gauche, discours de droite

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S’il y a une visée commune aux extrêmes droites et aux divers intégrismes religieux, c’est la soumission des femmes. Leur projet d’un monde en ordre, intègre et conforme à la Loi, repose sur la domination et la libre disposition des femmes. D’abord et avant toute autre chose, dans un monde qui serait ce qu’il doit être, elles sont destinées à assurer la reproduction selon les normes définies par les hommes, à servir l’ensemble du corps social et cela dans la dépendance, la limitation de leur mobilité et la contrainte. Le racisme départage clairement les options de la gauche et de la droite. Ce n’est pas le cas du sexisme. En fait, il n’est pas perçu. La définition du sexisme comme délit, acquise au niveau législatif, n’est rien moins qu’évidente dans le quotidien. Attirer l’attention sur lui fait grincer les dents, à gauche tout comme à droite. Prononcer même le mot c’est soulever la violence ou la dérision.

La droite, l’idéologie et l’ordre.

On dit qu’il n’y a pas (qu’il n’y a plus) de droite ni de gauche. Ou du moins il a été très à la mode de le dire au début de la décennie quatre-vingt. Ce n’est pas exact, bien sûr. Mais « la droite » est plus cohérente, plus identifiable que « la gauche ». La gauche est davantage une tendance alors que la droite est un état. On pourrait dire que la gauche est une critique de l’état des choses alors que la droite est la recherche de la perfection de l’état des choses.

La droite vit dans l’obsession de la dégradation, de la dégénérescence, de la décomposition. Son but est de restaurer, de ramener au jour un ordre profond (celui de la Vie), immémorial (celui de nos Anciens). Cet ordre que la quotidienneté comme le cours de l’histoire rongent sans cesse, que le temps érode, que les hommes détruisent ou corrompent (« le malheur de l’homme est qu’il est infidèle à ses instincts » dit à peu près Conrad Lorenz), elle veut lui redonner sa force réelle. Et aussi elle veut le servir, empêcher qu’il soit détruit ou perturbé. La droite c’est le choix de l’ordre, divin ou naturel, immémorial et sacré. Les hommes et la société doivent le maintenir et non le subvertir. L’attachement de la droite aux Valeurs transmises : la Vie, la Tradition, la Famille, la Race, la Patrie, la Volonté, le Service, l’Armée, la Hiérarchie, définit ce goût de l’ordre.

L’ordre des choses ne satisfait pas la gauche. Comme elle ne le trouve pas forcément respectable, elle est plus sensible à ses contraintes, ses abus, qu’à son caractère « sacré ». La pauvreté, la domination politique, l’exploitation sont les manifestations concrètes de cet ordre, des réalités que la gauche conteste. Là où la droite voit l’harmonie des contraires, la complémentarité, agrémentées de la fidélité aux « supérieurs », le bon usage des capacités, la force d’âme dans les épreuves de la vie (qui ne saurait être une partie de plaisir), la gauche voit l’injustice.

En un certain sens la gauche ne se définit pas, elle est une attitude critique envers un factuel dont elle conteste, non la dégradation (anathémisée par la droite) mais la violence contraignante. Par exemple : la hiérarchie n’est pas encore assez marquée pour la droite (ou bien elle est corrompue ou dégradée) mais c’est bien la hiérarchie elle-même qu’elle considère comme légitime, qu’elle programme. Pour la gauche, la hiérarchie est d’abord une forme sociale imparfaite et qui ne peut pas être justifiée ni justifiable en soi, même si, relativement, et dans des circonstances et des moments précis (et non pas toutes les circonstances ni tous les moments) elle y souscrit : la hiérarchie n’est ni une valeur, ni un but pour elle.

Option politique qui se démarque clairement d’autres opinions moins bardées de certitudes, la droite obéit à l’idée d’un univers qui la précède, la légitime, et qu’elle doit soutenir. La gauche est plus un projet (de vie moins dure, de plus grande justice, de recherche d’égalité) qu’une certitude qui s’appuierait sur un « ordre » préexistant ou sacré. Si la droite soutient le monde, la gauche le construit. Si la droite légitime l’ordre des choses, la gauche le conteste.

L’idée de frontières infranchissables, de clôture des groupes sur eux-mêmes est, à droite, étroitement associée à l’horreur du métissage, à l’effroi devant l’incertitude du sexe (est-ce une femme, est-ce un homme ?), au mépris de « l’efféminement » qui menace hommes et nations… C’est qu’il faut bien que le monde soit en ordre. Et que soient clairement distincts et séparés les sexes, les races et les peuples. Tous ceux qui fréquentent les frontières ou qui eux-mêmes participent de plusieurs groupes sont non seulement méprisés (et ils le sont infiniment) mais également coupables. La « trahison » obsède la droite comme le complot. L’obsession de la race et de sa fantasmatique intégrité conduit à nier qu’il puisse même exister des personnes qui appartiennent à deux ou plusieurs. L’homosexualité est une horreur qui inspire le dégoût et il faut entendre par homosexualité toute conduite, apparence, revendication – de mœurs ou politique – qui n’est pas strictement attendue du sexe auquel on appartient. Notons que tout homme « vrai » (viril) qui a des relations physiques (dominantes) avec un autre homme ne tombe en rien sous l’accusation d’homosexualité. Selon la morale du voyou un type qui en baise un autre fait de lui un pédé (la pire des choses), ce que lui-même n’est jamais.

Ainsi la droite croit en des frontières rigides balisant la vie sociale. Elle veut que chacun soit à sa place, que l’homme soit homme et la femme femme, que le serviteur soit le serviteur et le maître le maître, que le nègre soit le nègre et le blanc blanc, que les enfants soient les enfants et les parents les parents, etc. Elle croit en des frontières qui sont à la fois factuelles (c’est-à-dire qu’il existe bien des groupes) mais également prescriptives (c’est-à-dire que ces frontières doivent exister).

Et du même coup, elle éprouve la fascination et l’horreur de la précarité des frontières. La crainte des transfuges, la méfiance envers les « étrangers », le dégoût des « mélanges » (ou de ce que l’on appelle ainsi à droite car un composé n’est jamais un mélange, de quoi le serait-il ? l’idée même de mélange implique en effet l’existence en soi de chacun des groupes) atteignent de plein fouet les individus sans étiquettes, particulièrement ceux qui sont sexuellement non classables : androgynes ou transsexuels.

Catégories de sexe et sexualité

Et c’est bien le sexe qui est le domaine clef. Par sexe on entend deux choses. D’abord le système social des sexes : on vous fixe à la naissance un sexe, femelle ou mâle (et pas un autre) et quelle que soit votre anatomie, vous serez ou mâle ou femelle. Cette inscription légale, obligatoire, sera lentement mais avec un mécanisme de fer construite en appartenance de groupe : de femelle ou mâle vous deviendrez femme ou homme. Et il ne sera pas question que vous soyez l’un et l’autre, ou autre chose. L’autre acception désigne l’activité dite « sexualité », sous toutes ses formes, de la pratique coïtale reproductive aux sophistications sado-masochistes en passant par les divers safer sex et les relations douceur-tendresse. Bref, le sexe c’est à la fois la désignation de deux groupes sociaux et la désignation de l’activité qu’ils sont supposés exercer entre eux (obligatoirement, et uniquement entre eux).

Il y a là quelque chose de déroutant : l’obligation du mélange et du passage de frontière dans un domaine déterminé alors qu’il est honni et interdit dans tous les autres. Les Blancs et les Noirs, les patrons et les ouvriers, les juifs et les chrétiens, les Asiatiques et les Américains, les voyous et les princes, les gens de bonne éducation et les grossiers personnages ne doivent en aucun cas se mêler. Et ils le font pourtant et justement où ? Au plumard. Car en effet, les femmes et les hommes doivent se mêler. Et se mêler au plus près, physiquement en quelque sorte. C’est le seul cas où les frontières doivent être franchies.

Mais si les frontières doivent être franchies – ce qui est un scandale -, ce scandale doit être traité socialement. « Traiter » c’est-à-dire mettre de l’ordre dans le désordre, rétablir celui qui veut que les hommes dominent les femmes (de fait : les possèdent). Ce sont donc les hommes qui feront usage des femmes, et selon leur bon plaisir. Plus, les dominants feront également usage des femmes que possèdent les hommes qui leur sont « inférieurs » : les maîtres de celles de leurs serviteurs ou des esclaves, les possédants de celles des pauvres, les Blancs de celles des Noirs. Ces hommes montrent ainsi aux autres hommes qu’ils les dominent et les empêchent de leur rendre à eux-mêmes la pareille, en interdisant l’accès à leurs propres femmes et en les punissant gravement de tenter de le faire. Et ainsi le monde va.

Et les femmes, là-dedans ? Eh bien, elles sont aux hommes. Et en tout cas, pas à elles-mêmes. Et « l’ordre » c’est de le leur faire savoir. La contrainte sexuelle est un moyen de transmission de cette information, ce que les hommes de droite ont toujours parfaitement su, dont le système sophistiqué d’application de l’ordre sexuel implique : 1) la distinction soigneuse de la reproduction d’une part et de la débauche de l’autre, le « respect » de l’épouse-otage et l’ « honneur » qui lui est rendu, comme la complicité avec et la « libéralité » envers celles qui vendent du sexe. 2) l’usage pratique de l’activité sexuelle, a) comme manifestation du droit physique sur les femmes, b) comme outil de menace – y compris par son non-exercice éventuellement, ne l’oublions pas, c) effectivement ou potentiellement comme moyen d’humiliation, en contraignant à des actes non souhaités. 3) enfin la mainmise sur la capacité reproductive des femmes selon une forme planifiée ou désordonnée.

Un fonds commun à la gauche et à la droite : la notion de « nature ».

L’idée que le sexe c’est du biologique et rien que du biologique, que le sexe est un donné de la « nature » (en conséquence que la sexualité serait « naturelle »), cette idée informe, structure la pensée et les conduites. Cette croyance, car c’en est une, déborde le clivage gauche/droite, elle gouverne pratiques et institutions, des plus immédiates aux plus formalisées. Tout se passe comme si la notion de sexe se trouvait hors d’atteinte de la pensée critique, préalable inquestionné de l’activité concrète et symbolique. Postuler ou faire simplement l’hypothèse que le sexe pourrait être le paramètre construit de l’inégalité sociale et politique, c’est provoquer le scandale – ou l’incompréhension, une hypothèse cependant que des recherches engagées dans différents domaines des sciences humaines ou exactes depuis quelque vingt ans tendent à corroborer. En linguistique, en anthropologie, sociologie, paléontologie (des recherches sur l’incidence du concept de la différence des sexes dans la formalisation scientifique sont aussi engagées en mathématiques), l’approche critique de la notion de sexe, du caractère donné pour évident ou naturel du sexe, qui aboutit à des conclusions convergentes, pose un certain nombre de questions. Dans la mesure où ces recherches tendent en effet à établir que le sexe, la sexuation, fait biologique, serait l’objet d’une manipulation visant, non comme on l’admet généralement à codifier socialement une « différence », une inégalité première, mais à des marquer la différence qui doit exister entre les sexes par une différenciation d’ordre social, elles appellent, semble-t-il, à des remises en question nécessaires. Celle de la valeur heuristique de la « science », telle qu’elle est définie et produite, est l’une d’elles.

Le point nodal de ce « fonds commun » à la droite et à la gauche, il faut le chercher peut-être dans une idée de la nature qui prend forme au cours du XVIIIe siècle à l’occasion du débat sur le droit naturel qui occupe le siècle. On admet généralement que la théorie du droit naturel a jeté les bases d’une vocation à l’universalité des droits pour tout individu, une vocation à l’universalité rien moins que problématique. Car aucun théoricien du droit naturel n’a jamais prétendu que ce droit naturel incluait les femmes. Bien au contraire. Le droit naturel s’énonce à partir d’un postulat initial qui est que les femmes ne font pas partie du social. Le droit naturel énonce des principes bons pour la seule partie signataire du « pacte social ». les femmes n’y sont ni conviées ni prévues. II faut donc lever une ambiguïté sur le mot et la chose et, plutôt que d’évoquer une théorie du droit naturel, parler d’une idéologie de la nature, d’une idéologie naturaliste qui se formule alors. L’idée de nature oriente la théorie du droit naturel où elle joue le rôle d’une catégorie politique instrumentale qui appuie, à la fin du siècle, l’élaboration d’un système légal de classification par appartenance et par exclusion, une mise en forme légale qui a pour visée, ou pour effet, l’instrumentalisation des femmes. La construction du droit positif concerne la seule classe de sexe des hommes. La rentabilisation des femelles est la face cachée (et refoulée aujourd’hui) du « contrat social ». Elle suppose contraintes, coercition et répression, façonnage des individus sexués femelles pour en faire des femmes. Rousseau, Sade, ces deux figures considérées comme antinomiques, sont les porte-parole d’une norme, tacitement admise, qui est encore la nôtre. L’idée que les femmes sont dans la « nature » (et l’homme dans la « culture »), cette idée certes ne date pas du XVIIIe siècle. Mais le XVIIIe siècle la reprend et ce qu’il en fait continue d’investir le champ de la conscience moderne. Or cette idée est contingente, arbitraire, c’est-à-dire qu’elle peut (qu’elle doit) être problématisée, comme on a tenté de le faire à la fin du XVIe siècle, lequel a finalement préféré rejeter le débat. Aujourd’hui l’idée que les femmes font partie de la nature, qu’il y a d’un côté le privé (les femmes), de l’autre le politique (les hommes), cette idée est communément partagée à gauche comme à droite, elle traverse tous les « partis », toutes les obédiences, qu’elles soient de gauche ou de droite, conservatrices ou révolutionnaires.

Reproduction forcée, absence de droits, bas salaires, réclusion, menaces, coups, meurtres : ce serait là le « privé ». Ces réalités et les méthodes de façonnage d’individus pour en faire des femmes par dressage, domestication, mutilations ne seraient surtout pas du « politique ». Penser cet « ordre des choses » c’est repenser, redéfinir, le politique. Ce qui fait la « différence » entre la « gauche » et la « droite » serait alors de stratégie, le bastion servant d’administration de la preuve pour la droite, alors qu’à « gauche » et précisément depuis la fin du XVIIIe siècle, il y a débat sur la définition du sujet politique, problématisation possible du statut du sexe dans la définition du politique.

Si une question comme celle de la laïcité a perturbé récemment les clivages entre la gauche et la droite, elle n’a pas perturbé celui des sexes. La question du voile a bien montré, sinon l’inexistence de femmes dans le débat, du moins leur objectivation. Il se passe quelque chose de comparable avec le sida. Les femmes séropositives, celles dont la maladie est déclarée, ne sont pas pensées (pas traitées) comme des individus malades du sida, elles sont, consciemment ou inconsciemment pensées dans le discours, banal ou médical, et traitées dans l’accueil, le dépistage, la prévention ou la recherche médicale (les protocoles d’essais) comme des « vecteurs », actuels peut-être, potentiels toujours, de la maladie (comme elles l’étaient déjà de la syphilis). Même chose encore en matière de prospective scientifique ou technologique. Si on en juge par les attentes de la « collectivité » qui orientent le questionnement, l’orientation (et le financement) des sciences (cf. les débats sur les NTR, les travaux ou conclusions des Comités d’éthique), le présent le plus actuel accuse cette instrumentalisation des femmes. Qu’il s’agisse de politiques de développement ou de croissance (dont les politiques natalistes sont à la fois et un enjeu et l’une des stratégies), ou de toute autre prospective « à l’horizon de l’an 2000″, les femmes sont et restent instrumentalisées : moyens de la croissance (dans le tiers monde, la pauvreté des femmes s’accroît en fonction du développement), moyens des politiques natalistes, objet de transaction et/ou de compromis.

Dans son acception banale, le « politique » c’est la question d’un ordre qui n’intègre pas comme connaissance, critique, analyse, projet, la manipulation sociale du sexe. C’est au contraire son intégration comme fait naturel. Sur ce point aveugle commun à la gauche et à la droite s’édifient les pratiques mentales, concrètes, d’une société.

L’hétérosocialité est le vecteur du politique mais elle est supposée hors politique : une norme, qui prescrit la pratique et cette pratique elle-même. Les démentis auxquels elle se heurte, loin d’être déstabilisateurs, sont absorbés, phagocités par elle et la renforcent. Ce qui n’est pas « normal » (ou est autre chose), est sanctionné, ramené à la norme: annihilé ou intégré.

Colette Capitan et Colette Guillaumin

Prochoix n°20, Avril 2002

 

Un regain de racisme anti-arabe

Dans le numéro 16, nous avions décrit le regain d’antisémitisme qu’a vécu la France en octobre 2000. Il nous a paru intéressant de faire le même type d’enquête au sujet du racisme anti‐arabe qui a ressurgi avec force aux États‐Unis au lendemain des attentats du 11 septembre. Comme dans le cas de l’anti‐ sémitisme à l’occasion du conflit au Proche‐ Orient, on s’aperçoit combien les événements internationaux peuvent servir de prétexte au déferlement de haine ordinaire.

Quelques jours seulement après que les avions terroristes aient percuté la vie de plusieurs milliers d’Américains de toutes origines, alors que le Pentagone désignait Ben Laden comme le responsable probable et que les médias se lançaient sur la trace des réseaux islamistes, il ne faisait pas bon être un Américain dérogeant au portrait robot du WASP (de l’Anglo-saxon blanc protestant). Mi-octobre, la US Commission on Civil Rights (UCCR) — qui a établi un numéro d’urgence destiné à recenser les crimes envers les “Américains arabes, et ceux du sous‐continent indien” victimes de violence — disait avoir enregistré près de 200 agressions.Un défer- lement de haine raciste pouvant prendre la forme de la plus insignifiante vexation comme du meurtre, le tout contribuant à instaurer un climat de terreur dont les médias ont finale- ment peu parlé.Comme pour les agressions antisémites qui ont accompagné en France la reprise du conflit au Proche-Orient, c’est auprès des médias communautaires — quasi exclusivement — que l’on trouve la trace de centaines de faits divers qui ont transformé la vie quotidienne de citoyens supposés, à tort ou à raison, arabes, en calvaire.

200 agressions aussi aveugles que racistes
À tort ou à raison puisque l’on peut faire confiance aux racistes pour ne pas vraiment distinguer un Indien d’un Pakistanais ni un Syrien d’un Libanais. Logique puisqu’ils ne distinguent déjà pas un intégriste islamique conduisant un avion d’un Arabe ou d’un musulman tout court ! Résultat, sur les 200 agressions, la plupart des victimes sont souvent des Sikhs ou des émigrés ayant fui l’inté- grisme islamiste dans leur pays pour trouver la mort au nom de l’intégrisme raciste les soupçonnant d’islamisme en Amérique.

C’est ainsi qu’à Houston, un Hindou s’est vu assaillir par un groupe d’hommes l’accusant d’être Arabe, qu’en Arizona un pompiste indien de 49 ans a même été abattu. Ailleurs en Amérique, c’est un Américain d’origine égyptienne qui est mort de ses blessures suite à l’attaque de son magasin à San Gabriel, en Californie. Copte, il avait fui l’égypte et les islamistes qui le harcelaient…

Ali Baba et les 40 agresseurs

Pour ceux qui auraient du mal à compren-dre comment ces brutes primaires peuvent confondre à ce point des Sikhs et les Hindus avec des musulmans intégristes, il faut se rap- peler que la plupart n’imaginent le monde arabe qu’à partir des caricatures de Walt Disney, sous la forme de voleurs enturbannés planant en tapis volant… Ils devraient pourtant réaliser qu’un tapis volant s’écrasant contre le World Trade Center n’aurait pas eu tout à fait la même portée… Qu’importe, la psychose est là et 43 % des Américains ne cachent pas qu’ils seront désormais “plus soupçon‐ neux” envers les personnes d’origine arabe

Le plus grave étant sans doute le fossé qui commence à se creuser entre ces Américains blancs de chez blanc sur la défensive et ceux qui, de par leur origine, peuvent sentir le besoin de se radicaliser en voyant le nombre d’agressions injustes dont ils sont victimes et que personne, exceptés les médias commu- nautaires, ne juge vraiment utile de dénoncer. Aujourd’hui, les associations communautaires musulmanes tentent toutefois de dédrama- tiser (comme l’ont fait en octobre, du reste, les médias communautaires juifs à propos des agressions antisémites en France). Il est vrai que la violence anti-arabe (et associés) des premiers jours suivant le 11 septembre a fini par diminuer.
Notre rôle étant de rester vigilants à ce qu’aucune manifestation de haine, fut-elle ordinaire, ne passe inaperçue, et aussi parce que nous refusons de laisser croire que la lutte contre l’antisémitisme ou le racisme ne concerne que les Arabes et les juifs, nous publions dans les pages qui suivent une liste d’agressions recensées par ces médias com- munautaires, du plus minime (graffitis, mena- ces, insultes) au plus radical. •

 

Prochoix n°19, hiver 2001

 

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