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Audition de : Fiammetta Venner par Commission d’enquête parlementaire sur le DPS, Assemblée nationale (France)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président
Mme Fiammetta Venner est introduite.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mme Fiammetta Venner prête serment.
M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons Mme Fiammetta Venner, qui a pénétré le DPS féminin pour témoigner de ce qui s’y passe.
Madame, la Commission souhaite obtenir des témoignages précis et directs des méthodes et des agissements du DPS. C’est pourquoi nous vous avons demandé de venir devant nous.
Mme Fiammetta VENNER : Depuis 1990, j’effectue un certain nombre d’enquêtes – que certains sociologues appellent  » enquêtes participantes « , plus connues sous l’appellation de  » journalisme d’investigation  » – sur toutes les formes de l’extrême-droite contemporaine française et européenne dans certains cas.
En 1990, je me suis intéressée à des groupements proches du Front National, notamment des catholiques traditionalistes, mais aussi à un groupe de skinheads d’une dizaine de personnes sur la région parisienne.
J’ai publié trois livres sur les extrêmes-droites dans leurs apparitions contemporaines ; je dirige un réseau et un journal – ce qui rendra mon témoignage plus ou moins objectif selon la façon dont vous le considérerez – qui s’appelle Prochoix et un centre d’études, de recherches et de documentation européen. Nous avons passé des contrats avec la DG5 et disposons d’un journal qui mène des enquêtes. C’est dans ce cadre que Charlie Hebdo m’a demandé de faire le point en 1996 au sujet de rumeurs sur ce qui paraissait à l’époque ressembler à une milice ou à une organisation au sein du Front National.
Tous les ans, j’assiste à la fête  » Bleu Blanc Rouge « , fête traditionnelle du Front National. Au cours de celle organisée la première semaine de septembre 1996, j’ai remarqué que s’y développait un peu plus que de coutume une jeune garde de personnes assurant la sécurité et encadrant les journalistes. C’est une fête organisée sur le modèle de la fête de l’Humanité. En effet, la façon dont le Front National a décidé de communiquer dans ses modèles institutionnels ressemble beaucoup à celle du parti communiste. Les gens qui ont créé le Front National s’en sont inspirés, se référant aux sociologues l’ayant étudié. On retrouve des mots communs comme  » cellule « . C’est intéressant, s’agissant des modes de communication publique. C’est donc la même chose en plus petit. Ce n’est pas très international. Par exemple, le couscous est considéré comme le couscous cathare.
Mais cette fête de militants frontistes n’était plus pour les journalistes officiels un lieu où l’on pouvait obtenir des informations et engager des discussions directes avec les militants pour se forger une idée de l’état des lieux, de l’opinion frontiste. Aussi, le journalisme d’investigation est rendu obligatoire, dans la mesure où l’on n’a aucune possibilité d’interviewer les militants autrement qu’encadré par des personnes de trente centimètres de plus que vous !
Un autre fait m’avait interpellée. Au cours de l’enquête précédente que j’avais effectuée en 1990, j’avais vu au siège de l’OEuvre française, dissoute, recréée, puis redissoute, un fichier informatique listant les personnes à éliminer. Ce n’était pas formulé ainsi, je ne me souviens pas de la phrase exacte, mais étaient répertoriées les personnes posant à l’époque problème à l’OEuvre française.
Circulait également une rumeur selon laquelle les DPS établissaient des fiches sur les personnalités peu recommandables. Je voulais savoir s’il s’agissait d’une rumeur ou s’il était vraisemblable que la DPS pouvait établir ce type de fiches. Vous constaterez après mon exposé que je ne le pense pas, dans la mesure où il existe d’autres structures au sein de l’extrême-droite qui les établissent et qu’il n’est nul besoin de répéter le même travail.
En octobre 1996, l’événement de Montceau-les-Mines met en cause la DPS. A l’Assemblée, un député demande des explications. Dans un reportage de France 2, on voit des personnes, ressemblant vaguement à des policiers, qui chargent des militants. Je n’ai pas visionné la cassette, j’en ai entendu parler. Il m’a semblé que les personnes en question peuvent ressembler à des policiers lorsqu’il est tard et que tous les chats sont gris, mais qu’il ne s’agit pas exactement de tenues de policiers.
Je décide, début novembre 1996, de demander à entrer dans la DPS version féminine. Je suis reçue par Martine Staelens, responsable numéro deux à l’époque du DPS Ile-de-France.
Pour des raisons de sécurité des personnes impliquées dans l’enquête, je tairai le lieu ; il s’agit d’un groupe DPS de l’Ile-de-France, où j’ai participé aux oeuvres féminines. Dans ce cadre, on apprend la façon dont on doit diriger un journaliste lors d’une manifestation et les principes de base que l’on enseigne aux militants. Très rapidement, j’ai eu la chance, dans la mesure où je pratique des close-combats – ma mère était professeur de judo – de pratiquer du close-combat et de l’aïkido avec d’autres membres du DPS, cette fois masculins. La distinction hommes-femmes s’opère de la même façon que chez les skinheads – ce n’est pas péjoratif -, en ce sens qu’en général les femmes sont considérées plus diplomates et donc très utiles quand la DPS veut que les choses se passent bien. Il y a deux catégories de femmes : une catégorie de femmes diplomates et sympathiques ; une autre qui, dès lors qu’elle a les capacités physiques, peut participer à des opérations coups de poing à des moments donnés.
Dans l’organigramme, le Département protection et sécurité figure dès les années 1996. Le principe de base officiel, pas toujours respecté, est l’exigence d’un casier judiciaire vierge. On m’a, en effet, demandé un extrait de casier judiciaire, ce qui n’a pas été aisé, puisque je ne m’étais pas présentée sous mon nom. Cela dit, on ne m’a pas réclamé de carte d’identité.
Les armes ont toujours été proscrites officiellement par la DPS.
La première partie de l’enquête porte sur la DPS, c’est-à-dire la structure officielle du groupement. Je m’attacherai dans un second temps aux UMI.
Dans la structure officielle de la DPS, le contrôle est ferme s’agissant du casier judiciaire, sur la façon dont cela se passe, sur une bonne répartition des tâches. Tout le monde considère les armes à feu comme dangereuses et elles sont perçues négativement. En revanche,  » le matériel de camping  » peut servir d’armes en cas de besoin. On y trouve des gants plombés, assez utiles ; les poings américains sont  » limites « , mais il y en a ; les râteaux sont efficaces pour rayer des voitures ; on y trouve également des couteaux de peintre, habituellement utilisés par les militants de divers partis pour retirer les affiches qui ne leur plaisent pas. Ils peuvent aussi servir d’objets coupants. Ajoutons une arme dissuasive, dont je ne sais dans quelle mesure elle peut se révéler mortelle : les matraques électriques. Cela ressemble à un bloc en métal, avec deux émetteurs, l’électricité passant entre les deux. On accroche quelqu’un et on lui fait passer un courant électrique. Pour nous amuser, nous le testions. On ressentait un petit choc, parce que le voltage était mis en position faible. Les personnes avec moi n’ont jamais revendiqué d’avoir tué quelqu’un, mais les UMI disent que c’est un bon moyen pour faire évanouir quelques secondes une personne au cours d’une manifestation afin de la mettre dehors. J’ignore les voltages utilisés. Ces objets ne portent aucune marque de fabrique, mais ils ne semblent pas faits artisanalement. J’ignore où on peut se les procurer – en France du moins. J’en ai trouvé aux Etats-Unis et au Liban ; les voltages étaient assez forts. Mais il s’agissait de réelles armes de combat trouvées dans des armureries. Ce n’était pas celles que j’ai vues en France.
L’aspect le plus intéressant ne réside pas dans la façon dont sont recrutés les participants au DPS ni la façon dont on les forme, parce que l’essentiel relève de la simple sociabilité. Aller faire du close-combat dans un club de quartier ou pratiquer du karaté près de chez soi ressemble beaucoup à de la sociabilité. En revanche, il est intéressant de connaître l’origine des participants au DPS. Ils ont la grande illusion d’être issus du SAC. Or, aucun de ceux que j’ai vus.
Il s’agissait d’un petit groupe de la région parisienne – n’en avait fait partie. Mais tous se remémoraient le SAC comme le moment merveilleux auquel ils avaient participé alors que quasiment personne n’en provenait. En revanche, beaucoup avaient participé au groupe de vigiles auquel M. Valéry Giscard d’Estaing avait eu recours dans les années 70, pour ses meetings. Quels groupes, quels meetings ‘ Aucune idée, pas de détails. Tout cela s’inscrit dans une formulation et une rhétorique très  » je me vante de… « ,  » j’ai fait cela dans les années 70… « . La participation à l’OAS métropole existe dans les structures hiérarchiques. Je n’ai pas rencontré de personnes qui y avaient milité mais j’ai vu des personnes dont je sais qu’elles y ont milité. L’OAS métropole a été l’organisation un peu plus radicale et un peu plus française de l’OAS qui s’est permis des coups de poing dans les années 60. Avoir fait partie de l’OAS  » métro  » est un gage de respectabilité musclée pour une partie de l’extrême-droite. Par exemple, quand, en 1986, les nouveaux députés du FN sont arrivés à l’Assemblée, les attachés parlementaires n’étaient recrutés qu’à la condition d’avoir au moins fréquenté l’OAS métropole. C’est très bien vu. Cela confère une légitimité quasiment historique.
Autre élément intéressant : la plupart des participants appartiennent à des sociétés de sécurité et de gardiennage et participent également à des services d’ordre demandés à l’occasion, par des partis, toutes tendances confondues. Cela étant, je n’ai aucune preuve sur ce que j’avance lorsque je précise  » toutes tendances confondues « , dans la mesure où j’ai un témoignage partial. Je souligne également que parmi les gens que j’ai rencontrés, il n’y avait aucun skinhead homme, ce qui s’explique par le fait que les skinheads ont été très fortement réprimés dans les années 90 en France ; la plupart ont donc un casier judiciaire. Les rapports sociaux des skinheads permettent aux filles d’échapper à la prison, dans la mesure où elles ne servent que d’alibi aux hommes pour justifier que leur petit ami n’a jamais agressé un arabe. L’une d’elle racontait :  » Lorsqu’un garçon de la bande agresse un arabe, je témoigne en disant : pas du tout, c’est ce garçon-là qui m’a agressé ; ce monsieur que je ne connaissais pas m’a aidée et secourue.  » Il n’y a donc pas de garçons  » skin « , mais quelques filles, totalement désocialisées suite à l’éclatement des bandes. Les garçons, après avoir fait de la prison, se sont réinsérés socialement. Dans le petit groupe que j’ai étudié, certains sont restés en prison, deux ou trois ont été réinsérés : ils sont boulanger, pâtissier, peut-être votant Front National, mais non intégrés dans le militantisme, contrairement aux filles totalement sorties du militantisme et de la sociabilité des garçons. Elles se sont retrouvées seules assez jeunes. Les jeunes filles appartenant au groupe étudié avaient entre 15 et 17 ans en 1990, les garçons plutôt entre 17 et 20 ans.
On retrouve ces jeunes filles, qui ont pratiqué des arts martiaux dès leur plus jeune âge. Elles sont assez performantes. C’est là que l’on voit que le DPS féminin existe et n’existe pas : pour simplifier, les filles bourgeoises du XVIème arrondissement sont dans la diplomatie et les anciennes skinheads des banlieues appartiennent au DPS mixte. Au sein du DPS, on parle beaucoup de surplus militaires. Il est possible qu’en demandant, en achetant ou en étant très sage, on obtienne des insignes de CRS ou de militaires. Aucun des insignes, si ce n’est ceux des CRS, n’est très convaincant parmi ceux que j’ai vus.
En revanche, mes hypothèses ont été confirmées sur l’intérêt de groupes policiers annexes : l’OEuvre française utilise la DPS ou la DPS se sert de l’OEuvre française pour savoir qui est fréquentable, qui est dangereux à l’entrée d’une BBR ou d’une grande manifestation, qui il n’y faut pas voir…
Je trouve intéressante la piste de la FPIP, qui a viré à droite du Front National lorsque celui-ci a créé le Front National de la Police, organisation qui existe depuis maintenant dix ans et dont certains membres ont créé une section spéciale – en abrégé SS -, impliquée dans plusieurs attentats à la bombe contre des foyers Sonacotra dans le sud de la France. Je dis  » impliqués « , il n’y a pas eu jugement. Car si l’on se réfère au jugement et aux délibérés, on ne comprend pas grand-chose. Le responsable de la section SS est innocenté sans suite. Je peux vous fournir les noms.
J’ai publié un livre sur les sponsors du Front National. J’ai remarqué que les membres de la FPIP tiennent un discours extrêmement violent. Ils appellent au meurtre à quasiment toutes les pages en papier glacé d’un journal qui s’appelle Police et sécurité magazine. On y trouve énormément de publicités pour EDF-GDF, Air France et la plupart des grandes entreprises publiques françaises, peut-être inconscientes de la façon dont elles ont géré leur budget de communication. Là n’est pas la question qui nous intéresse, mais chaque publicité est payée 48 000 francs, le budget d’un numéro s’élevait de 400 000 à 500 000 francs, c’était un bimensuel, cela a duré dix ans et cet argent n’est jamais arrivé dans les caisses de la FPIP. A plusieurs reprises la revue a été poursuivie, interdite, parce qu’insultant le ministre de l’Intérieur. Mais l’on n’a jamais pu conclure à l’enrichissement personnel des syndicalistes.
L’argent a bien existé. Où est-il allé ‘ A quoi a-t-il servi ‘
Les DPS ont beaucoup d’argent. Lorsque l’on connaît le Front National de l’intérieur, l’on sait qu’il est peu enclin à donner de l’argent à ses adhérents et à ses militants. C’est un parti qui attend beaucoup de ses militants qu’ils subviennent à leurs besoins. Pourtant, la DPS a beaucoup d’argent, peut trouver une salle assez facilement, des salles d’entraînement alors que cela n’est pas si aisé en banlieue parisienne. J’ignore d’où vient l’argent. Mes enquêtes ne sont pas parvenues à le déterminer. Tel n’était d’ailleurs pas leur but.
J’ai poursuivi mon enquête en décembre-janvier. En février 1997, j’ai interviewé une personne qui avait été suivie par un journaliste du sud de la France et qui déclarait être un transfuge du Front National. Je vais vous faire part de son témoignage, en vous indiquant à quel moment il ne me semble pas véridique, dans la mesure où je pense qu’il essaye de se dédouaner d’un certain nombre de choses.
J’ai pris rendez-vous avec lui et ses amis dans une gare à Grenoble en février 1997. Son témoignage a été enregistré au début, mais le magnétophone a été détruit par les quatre personnes de l’ex-DPS. Je ne dispose donc pas des cassettes de cet entretien.
Le principal intéressé, parmi les quatre personnes présentes, s’appelait Bob. Il m’a paru nettement moins politique que les DPS parisiens que j’ai rencontrés, véritables militants politiques d’extrême-droite. Il avait à l’époque trente-quatre ans, mesurait un mètre quatre-vingt dix. Il avait un casier judiciaire, puisqu’il avait jeté une personne du troisième étage après s’être fâché avec elle. Il n’avait aucune connaissance du close-combat, ce qui est assez surprenant, mais vu son gabarit l’on peut supposer que ce n’était pas un handicap. C’est une personne physiquement impressionnante, j’ai rarement vu quelqu’un de ce gabarit. Dans le civil, il est employé dans une société de gardiennage. En 1997, il m’a raconté de façon assez détaillée la manière dont le couple Le Chevallier était arrivé au pouvoir à Toulon, distribuant assez généreusement des postes aux militants qui le souhaitaient : gardien de cimetière, agent de la circulation… Il a confirmé mes doutes sur le port des uniformes. Il prétend que ceux-ci sont strictement similaires ; je n’ai pas trouvé qu’ils l’étaient lorsque j’en ai vu dans la région parisienne.
Il explique être arrivé au Front National en 1995, où il a très vite été remarqué, et indique qu’on leur a prêté une salle de gymnastique pour rapatriés de l’Algérie. Il affirme qu’en août 1995, la veille du jour où M. Jean-Claude Poulet-Dachary a été assassiné, plusieurs militants DPS plus âgés et plus gradés que lui sont venus inspecter chez lui pour vérifier qu’il n’avait pas d’armes. J’essaye d’enquêter sur le meurtre de M. Jean-Claude Poulet-Dachary, ce qui est extrêmement difficile, dans la mesure où l’enquête policière piétine lamentablement. Bob participe en mai 1995 au DPS à Paris. C’est à ce moment qu’il fonde les UMI de Toulon, mais je pense que c’était deux ans avant, sinon il n’aurait pas eu le poste qu’il semble avoir obtenu à la mairie de Toulon.
Les UMI, unités mobiles d’intervention, seraient la face cachée du DPS, que je n’avais pas vue à Paris. Je pense, en effet, qu’il existe trois DPS : un premier diplomatique et assez présentable ; un deuxième, dans le cadre duquel on peut participer à des opérations un peu plus coups de poing – collages d’affiches ou règlements de comptes individuels – et de sociabilité ; le troisième, les UMI. Dans ce cadre, l’utilisation des matraques électriques est très utile, car, on se demande bien à quoi peuvent servir des matraques électriques si le but consiste simplement à orienter les journalistes. Cela dit, les matraques électriques existent déjà au sein du deuxième DPS, celui des filles-garçons. Bob dit s’être chargé des UMI à Carpentras et indique qu’une matraque est très utile, car elle permet d’immobiliser un adversaire pendant quelques secondes en le matraquant à la cuisse. Il tombe et on peut alors l’expulser de la manifestation. Cela ne nécessite pas la constitution de fichiers ; on repère rapidement dans une manifestation les membres plus ou moins désirables ou plus ou moins connus. L’OEuvre française doit pouvoir les aider, mais ils connaissent par photos les personnes indésirables.
Les membres des UMI auraient, selon lui, un sigle UMI et un numéro reconnaissable par les DPS à l’intérieur du blouson.
Lorsque j’ai été formée par les DPS, personne ne m’a parlé des UMI, mais je n’y suis restée qu’un mois et demi. Les réseaux de sociabilité étaient ce qui m’intéressait et je ne pense pas que l’on m’aurait proposé dans un temps aussi court de participer à une unité mobile, d’autant que je ne crois pas que les filles y soient bienvenues, même si elles font du close-combat.
M. le Président : Vous vous êtes donc intéressée au DPS pendant trois mois ‘
Mme Fiammetta VENNER : J’ai commencé le 5 ou 6 décembre et terminé vers le 20 janvier.
M. le Président : Comment s’est passé votre  » recrutement  » ‘
Mme Fiammetta VENNER : Je me suis présentée. On m’a demandé mon nom ; j’ai donné un faux nom. On m’a ensuite réclamé un extrait de casier judiciaire. Heureusement, le nom que j’avais utilisé était assez commun ; je l’ai fourni quelque temps après. Je m’étais teint les cheveux. Je pense qu’il était très facile de s’engager au DPS en décembre 1996 ; on ne subissait pas d’examen de passage, on ne vous demandait pas ce que vous aviez fait avant. Je pense que le fait d’être une fille facilitait les choses.
M. le Président : Quelle fut votre formation ‘
Mme Fiammetta VENNER : Une formation militante, à moitié idéologique. Par exemple, on me demandait :  » Il y a trop d’étrangers ici ; comment répondrais-tu à une telle affirmation ‘… Non, tu ne devrais pas répondre de telle manière. Au lieu de dire « Il y a trop d’étrangers », il faudrait plutôt dire : « Chacun est différent et les gens sont bien chez eux. » « . C’est-à-dire un discours assez policé et assez agréable, mais qui ne change rien sur ce que l’on sait déjà du Front National. Tous les militants sont incités à ce type de discours, ce qui ne les empêche pas de craquer dès qu’il y a une occasion publique. L’entraînement physique était absent les premiers jours. Il s’organise par réseaux de sociabilité. Des gens connus au DPS lancent :  » Ce soir, justement je vais faire ceci ou cela, veux-tu venir avec moi ‘  » C’est à travers ces réseaux de sociabilité que l’on m’a proposé de participer à des collages d’affiches.
M. le Président : Vous faisiez donc des entraînements physiques ‘
Mme Fiammetta VENNER : Oui, mais l’on ne peut dire réellement que c’était à l’intérieur des DPS ; c’était avec les DPS mais l’organisation relevait simplement de réseaux de sociabilité. Tel est l’intérêt principal des DPS, c’est-à-dire que, d’une certaine façon, tout DPS peut être lâché. Officiellement, personne n’a demandé à un DPS d’utiliser une matraque électrique ; en revanche, tout l’y incite. M. le Président : Comment en êtes-vous sortie ‘
Mme Fiammetta VENNER : Je n’ai donné ni mon adresse ni mon numéro de téléphone et, au bout de quelques semaines, je suis partie. J’étais à un endroit de l’Ile-de-France assez éloigné de Paris.
M. le Président : Avez-vous été inquiétée depuis ‘
Mme Fiammetta VENNER : Pas directement par les DPS, mais la DPS est un groupe qui a recruté beaucoup de gens. Considérez-vous que Holeindre fait partie des DPS ‘ Il a fait partie de la structure qui a créé le DPS.
Oui, j’ai été inquiétée par des membres du Front National, mais sur d’autres enquêtes que j’ai pu mener ou publier, soit dans mon journal, soit dans d’autres. On ne sait jamais pourquoi les gens peuvent vous inquiéter.
M. le Rapporteur : Si l’on vous montrait des matraques électriques destinées au gros bétail, seriez-vous en mesure de les reconnaître ‘
Mme Fiammetta VENNER : Je ne savais même pas que l’on pouvait utiliser des matraques électriques pour gros bétail !
M. le Rapporteur : C’est en général un petit instrument tenu au bout d’une perche.
Mme Fiammetta VENNER : C’est un peu plus grand qu’une cassette audiovisuelle, moins large, cela tient dans une main.
M. le Rapporteur : Vous évoquez les relations entre le DPS et l’OEuvre française, qui regroupe tous les avatars de l’extrême-droite fasciste.
Mme Fiammetta VENNER : Ils ne sont pas fascistes, plutôt néo-nazis.
M. le Rapporteur : Effectivement, avec la famille Sidos et ses différents avatars.
Quelles sont ces relations ‘ Organiques ‘
Mme Fiammetta VENNER : Non, en revanche, j’ai vu des militants de l’OEuvre française dans des réunions régionales des DPS. En outre, j’ai noté les mêmes assurances d’impunité de certains lieux de la part de la police, impunité aussi si l’on agissait entre telle et telle heure, parce que tel policier ne ferait rien. J’avais déjà entendu de telles phrases au sein de l’OEuvre française, dont j’avais essayé d’interviewer les membres quatre ans auparavant.
M. le Président : Qu’entendez-vous par  » tel policier ne ferait rien  » ‘
Mme Fiammetta VENNER : Il en va de même des commandos anti-avortement : vous ne pouvez savoir s’il s’agit de sentiments ou d’une réalité. Pour les commandos anti-avortement, Xavier Dor déclare :  » Dans tel commissariat, je suis très bien reçu, dans tel autre très mal. « . C’est là le sentiment d’une personne suite à la façon dont ses interlocuteurs la reçoivent.
Dans le cas précis, il semblait que c’était des alliés à l’intérieur de la police ou au sein de rondes de policiers. Mais l’on sait que la présence de l’extrême-droite chez les policiers, si elle n’est pas totale, est importante. Je suppose donc qu’ils ne font pas que voter. En tout cas l’OEuvre française, au moment où j’y suis allée, en 1991 ou 1992, revendiquait parmi ses membres environ 65 % de policiers et jamais l’OEuvre française n’a eu la prétention de représenter les policiers d’extrême-droite. Ce n’est pas la FPIP ni le Front National de la Police, qui est complètement minoritaire et n’existe qu’électoralement. Il ne comprend que vingt ou trente personnes ; ce sont juste les déçus de la FPIP, qui n’ont pas eu le pouvoir qu’ils estimaient leur être dû au sein d’un syndicat de police.
M. le Président : Pendant que vous étiez au DPS, avez-vous participé à des actions ‘
Mme Fiammetta VENNER : Oui, des actions de protection dans le cadre de collages d’affiches, mais rien de semblable en violence avec ce que l’on pouvait connaître à Marseille, par exemple.
On associe assez fréquemment la DPS à l’assassinat de Ibrahim Ali à Marseille. Il semble que ce ne soit pas le cas, dans la mesure où les DPS ont vraiment essayé d’éviter la présence d’armes, mais il aurait pu y avoir des matraques, des instruments plus contondants, tout le matériel de camping dont je vous ai parlé tout à l’heure.
M. le Président : Vous dites  » la DPS « .
Mme Fiammetta VENNER : Ce sont là des initiales qui peuvent se traduire par le  » Département police et sécurité  » ou la  » Division protection, sécurité « . Ce qui amuse les personnes de la ou du DPS consiste à changer les noms suivant ce qu’elles ont envie d’en faire.
M. le Président : Vous disiez que le DPS disposait de moyens importants. Vous avez cité la possibilité de louer des salles d’entraînement.
Mme Fiammetta VENNER : Le témoignage de Bob montre qu’à Toulon, c’est la mairie qui leur prête la salle. Là où je suis allée mener mon enquête, le DPS louait des salles d’entraînement à des entreprises du genre  » gymnase club  » pour la soirée ou pour la nuit.
M. le Président : Pour l’entraînement des membres du DPS ‘
Mme Fiammetta VENNER : Pour l’entraînement. Je ne pense pas que les personnes qui louaient les salles d’entraînement connaissaient l’utilisation qui allait en être faite. La location était réglée en liquide.
M. le Président : C’est ce que vous appelez de la sociabilité ‘
Mme Fiammetta VENNER : En effet.
M. le Rapporteur : Vous avez parlé du journal Police et sécurité magazine. Avez-vous eu connaissance d’une société de publicité collectant la publicité pour ce journal ‘
Mme Fiammetta VENNER : Officiellement, la société avait une société de presse qui ramassait les pourcentages qu’elle gardait pour elle ; c’est ce que prétendent les dirigeants. Or, quand on regarde les comptes de la société de presse, on s’aperçoit que 90 % des sommes reçues sont renvoyés en frais divers. Je ne crois donc pas une seconde que Police et sécurité magazine ait offert sur un plateau à une société de presse indépendante la possibilité de s’enrichir, d’autant que si l’on se réfère aux chiffres que l’on peut trouver sur le serveur 3617Verif, cette société a rendu l’argent.
Tout le monde s’est trompé sur la loi portant financement des journaux syndicaux de police. Police et sécurité représentait à l’époque environ 7 % d’électeurs, ce qui n’est pas négligeable. Il prétend distribuer le journal à 40 000 exemplaires, ce qui est totalement exagéré ; il est publié à 1 000 ou à 2 000 exemplaires.
A l’époque, tous les syndicats vivaient de la publicité. Lorsqu’ils sont nterviewés, les syndicalistes de droite et de gauche éclatent de rire et déclarent :  » Un syndicat policier ne peut céder la totalité de ses bénéfices à une société de presse indépendante. C’est de la pure fiction !  »
On s’aperçoit – c’est pourquoi ils ont été condamnés – que les membres de la société de presse bénéficiaient de cartes de police. Peut-être étaient-ils commerciaux, mais plusieurs ont été interpellés avec des cartes de policiers prêtées par les membres de la FPIP. Peut-être faudrait-il interroger ces derniers sur la question. Je pense qu’il serait intéressant de les entendre au sujet des prêts de matériels policiers auxquels ils procèdent.
M. le Rapporteur : A quelle époque cela se situait-il ‘
Mme Fiammetta VENNER : La FPIP a arrêté son journal polycopié en 1989. Le premier exemplaire de Police et Sécurité Magazine est paru le 1er janvier ou mars 1991. Quoi qu’il en soit, fin 1990-début 1991. C’est à partir de ce moment que les publicités paraissent et cela jusqu’en 1995-1996 et que la FPIP est interdite. Aujourd’hui, seules paraissent quelques publicités, tout à fait légales. Il s’agissait d’une pratique courante dans ces années-là, mais ce qui est plus étonnant est qu’EDF n’a jamais financé la CUP, Alliance ou un syndicat de droite. La FPIP était le syndicat qui recevait le plus de publicités. Or, quand on lit Police et Sécurité Magazine, on est impressionné par le nombre de pages incitant à la haine.
M. Jacky DARNE : Etiez-vous au sein du DPS lorsque vous avez interviewé celui que vous appelez Bob ‘ En quelle qualité l’avez-vous interrogé ‘
Mme Fiammetta VENNER : Non, je n’étais plus au DPS ; je l’ai interviewé en tant que journaliste.
M. Jacky DARNE : C’était donc postérieur à votre participation au DPS. Lui-même était-il alors au DPS ‘
Mme Fiammetta VENNER : Non, c’était un transfuge, il avait été renvoyé du DPS après avoir postulé auprès de M. Jean-Marie Le Chevallier du fait que des personnes armées faisaient partie des DPS. C’est pourquoi je pense que les dates qu’il livre sur son appartenance à l’UMI sont fausses.
M. Jacky DARNE : A quel moment a eu lieu cet entretien ‘
Mme Fiammetta VENNER : En février 1997.
M. Jacky DARNE : Le matériel d’enregistrement a été cassé. Pourquoi ‘ Parce que l’entretien s’est mal passé ‘ Est-il tombé en panne ‘ Quelles ont été les circonstances ‘
Mme Fiammetta VENNER : Le matériel a été cassé par un membre du DPS, autre que Bob, qui s’est énervé à un moment sur mon magnétophone.
M. Jacky DARNE : A cause de vos questions ‘
Mme Fiammetta VENNER : Non, à cause des réponses. L’entretien a duré quasiment cinq heures. C’est pourquoi je ne puis en parler précisément si ce n’est évoquer les grands thèmes. M. Jacky DARNE : Vous avez indiqué qu’il avait été recruté par la municipalité de Toulon. A quel moment ‘
Mme Fiammetta VENNER : Son témoignage n’est pas clair sur le sujet. Il déclare avoir été recruté à l’arrivée de M. Le Chevallier. Il ajoute :  » A partir du moment où l’on est arrivé au pouvoir, on a donné des postes à qui on voulait.  » Il était donc forcément là avant.
M. Jacky DARNE : Que fait-il actuellement ‘
Mme Fiammetta VENNER : Je l’ai interviewé en 1997. J’ai vérifié son témoignage en 1998 au moment où Libération a publié un article, afin de mieux comprendre les questions soulevées par les journalistes. Il travaillait toujours dans une société de gardiennage pour des entreprises, à l’autre bout de la France. Je l’avais rencontré à Grenoble la première fois.
M. Jacky DARNE : Vous êtes restée peu de temps au DPS. Vous avez indiqué que vous aviez créé un centre d’études et d’observations. Le DPS est-il resté dans votre champ d’observation ou avez-vous abandonné, après parution de l’article dans Charlie Hebdo, le suivi de l’activité DPS ‘
Mme Fiammetta VENNER : A priori, je ne sais pas grand-chose de l’activité de la DPS aujourd’hui. Je m’y intéresse en tant que citoyen un peu plus informé que les autres, certes, mais je n’ai pas mené d’autres enquêtes. La mienne s’est achevée en mars lors du Congrès de Strasbourg.
Ce qui me paraissait dangereux était le port d’uniformes permettant aux DPS d’interroger des gens dans la rue, d’intervenir face à des personnes qui ne leur paraissaient pas françaises. Cela s’est avéré exact au mois de mars, puisque quatre personnes ont été arrêtées, dont trois DPS. A ce moment-là, mon enquête était, d’une certaine façon, terminée. Mon hypothèse s’est révélée juste et vraie.
Je ne suis pas informée des buts de votre Commission, mais c’est en mars 1997 que la DPS aurait dû être dissoute. Aujourd’hui, où est la DPS ‘ M. Bernard Courcelle a démissionné. A l’heure actuelle, la DPS qui me semble dangereuse est celle de M. Bruno Mégret. On a d’ailleurs pu le constater à la télévision il y a quelques jours, s’agissant des personnes qui protègent M. Bruno Mégret en province. Mais ce n’est pas le résultat de l’enquête, plutôt une impression.
Il sera difficile de parler du DPS aujourd’hui, dans la mesure où les principaux commanditaires ne sont plus là où ils devraient.
M. le Président : Lors de votre passage au DPS, des règles disciplinaires présidaient-elles au fonctionnement du groupe ‘
Mme Fiammetta VENNER : Concernant le langage essentiellement, mais là encore, sans doute est-ce dû au fait qu’il s’agissait du DPS féminin. Il convenait de dire certaines choses et pas d’autres, d’apprendre à être cohérents dans le discours à tenir face aux médias. Quant à la hiérarchie, je l’ai perçue dans les souvenirs évoqués par les garçons. Les plus jeunes expliquaient qu’ils étaient directement redevables à M. Bernard Courcelle, les plus vieux à M. Jean-Marie Le Pen. C’est plutôt de l’extérieur que j’ai perçu la hiérarchie du DPS, c’est-à-dire la répartition en zones, à l’instar d’une petite armée, la hiérarchie entre chefs départementaux, régionaux et nationaux. Au niveau local et à celui d’une petite cellule, ce n’était pas aussi net, mais je ne suis pas restée suffisamment longtemps. Ce type de définition hiérarchique doit transparaître davantage au moment des grandes manifestations, des grands meetings, des BBR ou à l’arrivée de M. Jean-Marie Le Pen dans une ville et doit être davantage perceptible quand on est un garçon.
M. Robert GAÏA : Disposez-vous d’un organigramme du DPS féminin ‘
Mme Fiammetta VENNER : Non.
M. Robert GAÏA : Connaissez-vous Mme Itoiz ‘
Mme Fiammetta VENNER : Non. Mon premier contact est plutôt  » mixte « . Je ne suis pas restée suffisamment longtemps pour percevoir toutes les réalités du DPS. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas un organigramme et une hiérarchie.
M. Robert GAÏA : A votre entrée au DPS, vous a-t-on fourni un vade-mecum du DPS ‘
Mme Fiammetta VENNER : Non, on m’en a parlé, mais de l’extérieur.
M. Robert GAÏA : Vous n’avez rien vu d’écrit.
Mme Fiammetta VENNER : Non, excepté un organigramme où le DPS apparaît directement responsable auprès du Président et non auprès du bureau.
Quant au recrutement des personnes du DPS, l’utilisation d’écrits me semble fort peu répandue.
M. le Président : La dimension raciste et xénophobe du Front National se percevait-elle au sein de votre groupe ‘
Mme Fiammetta VENNER : Oui, tout à fait, de la même façon que dans les groupes de skinheads. Ce n’était pas un racisme construit comme il peut l’être dans les réunions de militants mais d’un racisme plus ancré et plus radicalisé par la présence des skins filles.
M. André VAUCHEZ : Sans doute n’avez-vous pas vu de papiers, parce qu’ils craignaient quelque chose de vous.
Mme Fiammetta VENNER : C’est possible.
M. André VAUCHEZ : Il ne doit pas être facile de vivre une telle situation. Vous avez dû totalement changer de personnalité.
Mme Fiammetta VENNER : C’est vrai. Je ne mène plus ce type d’enquête.
M. André VAUCHEZ : Vous avez précisé que l’on aurait pu avoir une action contre le DPS en 1997. C’est pourquoi nous nous interrogeons.
Selon vous, quelles sont les facettes du DPS qui tombent sous le coup de la loi de 1936 ‘
Mme Fiammetta VENNER : Essentiellement le port de l’uniforme appartenant à la fonction publique.
J’ai étudié en détail la loi de 1936. Je ne suis ni législateur ni spécialiste en droit. Il me semble toutefois que l’utilisation par un certain nombre d’individus d’uniformes et d’instruments relevant officiellement de la force publique est répréhensible.
S’agit-il de la milice privée d’un parti ‘ Oui, mais comment le prouver, hormis sur la base de témoignages privés ‘ J’ignore qui vous avez auditionné. Je suppose que vous avez entendu les trois personnes arrêtées à Strasbourg.
Le sentiment d’appartenance à un groupe organisé me paraît un élément à approfondir. On relève dans les entretiens avec les membres du DPS qu’ils ont le sentiment d’appartenir à une classe plus armée, plus organisée et plus apte au  » coup de poing « , ce qui constitue la preuve qu’il existe une milice.
Y a-t-il des armes ‘ Non.
M. André VAUCHEZ : Le sentiment d’appartenance ‘
Mme Fiammetta VENNER : En cela, je pense que des entretiens avec des anciens du DPS peuvent se révéler utiles.
La définition d’une milice au sens de la loi de 1936 est, en effet, compliquée. Dès lors qu’est organisé un service d’ordre, qu’il est musclé, il tombe quasiment sous le coup de la loi – en tout cas, vous pouvez l’utiliser. Que vous ayez envie de le faire ou non est une autre question. On l’utilise quand on veut dissoudre Ordre nouveau ou la LCR. Il n’est guère difficile de prouver que c’est un service d’ordre, qu’il est musclé. Mais vous pouvez aussi utiliser la loi à l’encontre de services d’ordre autres que ceux situés à l’extrême-droite. Après, la décision de dissoudre ou non ce service d’ordre est politique. Quant à considérer qu’il s’agit d’une milice… J’ai été élevée au Liban pendant la guerre. Il est vrai que cela ne ressemble pas à une milice de 1975, armée jusqu’aux dents, au Liban. Mais mon critère de référence n’est pas forcément un critère démocratique. Il n’en reste pas moins que c’est plus impressionnant qu’un service d’ordre normal d’un parti conventionnel, habilité à aller jusqu’à l’Assemblée nationale. Il vous appartient en tant que pouvoir politique de le déterminer. En 1997, l’Etat disposait de suffisamment d’éléments pour faire ce qu’il voulait du DPS.
M. André VAUCHEZ : Vous paraît-il dangereux pour la société ‘ Vous avez dit que ses membres avaient conscience de se défendre, que les armes étaient prohibées, y compris dans le troisième groupe. Imaginez que les armes soient distribuées ; pourraient-ils devenir très dangereux ‘
Mme Fiammetta VENNER : Evidemment. Il faudrait y ajouter les membres du Parti nationaliste français européen et les résidus de L’OEuvre française. En revanche, je n’y intègre pas les skinheads.
M. Robert GAÏA : Et le GUD ‘
Mme Fiammetta VENNER : C’est assez compliqué. Le GUD est davantage porté aux actions  » coups de poing « . Le recrutement étant annuel, cela dépend, mais ce sont davantage des gamins-adultes révoltés qui font le coup de poing ; dans vingt ans, ils seront avocats ou ministres !
Il est tout à fait différent d’être éduqué au Parti nationaliste français européen et d’être au GUD. Les membres du GUD sont étudiants ; ils sont dans une université, non dans un château, en province, en train de tirer sur des pigeons toute la journée !
Pour répondre clairement à votre question : oui, ils sont dangereux, même sans armes, d’où l’intérêt pour eux du close-combat.
M. le Président : Vous disiez que l’on pourrait dissoudre d’autres services d’ordre de partis. Avez-vous eu des contacts avec eux ‘
Mme Fiammetta VENNER : Quand on sait que certains membres de la DPS sont momentanément engagés par d’autres services d’ordre de syndicats ou de partis, on se doute qu’ils n’oublient pas leurs matraques, leurs gants plombés, ou leurs coups de poing américains au placard !
Si vous suiviez un service d’ordre d’un parti quelconque sur un an et que vous procédiez à un contrôle de  » dopage aux armes « , vous finiriez par trouver des éléments qui ressemblent au DPS, puisqu’il s’agit des mêmes personnes, certes pas toujours ; mais c’est le cas de certaines, pour lesquelles, être engagées, à un moment donné, pour assurer la sécurité d’un lieu, est un moyen de gagner leur vie.
M. le Rapporteur : Les chaînes de vélo sont-elles toujours en usage au DPS ‘
Mme Fiammetta VENNER : Je n’en ai pas entendu parler lorsque j’ai fait récapituler à Bob les accessoires de matériel de camping. Les seules armes me paraissant étrangères à du matériel de camping étaient la matraque électrique et la batte de base-ball – quoique l’on puisse faire du base-ball au camping !
M. le Président : Madame, je vous remercie. Nous sommes preneurs de tous documents que vous pourriez nous laisser aujourd’hui ou nous faire parvenir plus tard.
M. le Président : Madame, nous vous remercions.

mardi 16 mars 1999

Rapport officieux sur l’Algérie. A l’intention du Cedaw

Introduction

Les femmes algériennes sont confrontées à de nombreux obstacles qui freinent la réalisation des objectifs de la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination, c’est-à-dire le plein exercice et la jouissance de l’ensemble des droits humains par les femmes, sur la base de l’égalité. Ce rapport officieux se concentre sur l’un des obstacles majeurs à l’égalité et à l’avancement de la femme: la montée et la menace actuelles d’un fondamentalisme religieux, violent et politisé et son projet d’imposer sa vision particulière de l’Islam par la ‘théocratisation’ de l’État et/ou par la violence et la terreur. Depuis presque trois décennies, les femmes ont été une cible privilégiée de la violence et de l’oppression fondamentaliste; depuis quelques années, les attaques fondamentalistes sont assimilables à des crimes de guerre et à des crimes contre l’humanité dirigés contre les femmes et la population civile.

Les deux organisation suivantes: International Women’s Human Rights Law Clinic (IWHR) et Women Living Under Muslim Laws (WLUML) se sont rapprochées pour soumettre ce rapport officieux. IWHR a préparé ce rapport en se fondant d’une part sur son expérience du conseil juridique pour neuf plaignantes et pour une organisation des droits de la femme, le Rassemblement Algérien des Femmes Démocrates, impliquée dans des poursuites ‘contre un dirigeant du Front Islamique du Salut (FIS)’ pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et esclavage sexuel. IWHR se fonde également sur les études qu’elle a effectuées et la défense des droits de la femme dans le cadre de cette convention et d’autres forums relatifs aux droits de l’homme. WLUML a contribué à la préparation de ce rapport en se fondant d’une part sur son expérience de réseau international de soutien et de solidarité reliant les femmes qui luttent contre les forces fondamentalistes en Algérie et dans de nombreuses autres sociétés, qu’elles soient musulmanes ou non, et d’autre part sur les études qu’elle a réalisées et sur la défense des droits de la femme dans différentes communautés musulmanes du monde.

Reconnaissant que l’objectif des rapports des Etats officiels dans le cadre de la Convention concerne la cohérence des lois et politiques publiques par rapport à la Convention, il est néanmoins essentiel que le Comité examine soigneusement les éléments qui représentent actuellement un obstacle ou une difficulté significative à laquelle il faut répondre pour tenir la promesse de la Convention. La Convention des Femmes, et en particulier les articles 1, 2(e) (f) et (g), 3 et 5(a), est la seule à porter minutieusement attention aux sources privées ou non officielles de discrimination. De plus, selon l’article 18, les rapports ‘peuvent indiquer les facteurs et difficultés affectant la manière dont les obligations prévues par la présente Convention sont remplies.’ Dans le cas de l’Algérie, l’insurrection fondamentaliste, qui vise à la mise en oeuvre et à l’institutionnalisation d’une discrimination extrême à l’égard les femmes, pour mettre en place une forme d’apartheid des sexes, représente l’une des plus grandes ‘difficultés affectant la manière dont les obligations’ de l’égalité des sexes sont remplies.

Étant donné sa mission particulière de protection et d’avancement des droits de la femme, il est particulièrement urgent que ce Comité examine l’impact de l’insurrection fondamentaliste. Du fait de l’approche traditionnelle de la communauté internationale des droits de l’homme, qui se caractérise par sa résistance au changement et sa concentration sur l’État et de sa tendance (au moins jusqu’à ce que les Talibans prennent le pouvoir en Afghanistan) à considérer les violations des droits des femmes comme un domaine purement ‘privé’ ou ‘culturel’, la communauté internationale a largement ignoré la campagne de violences et d’atrocités menée par les fondamentalistes. Ainsi, même s’il est largement admis que les rebelles fondamentalistes ont commis l’écrasante majorité des atrocités contre la population civile, en particulier contre les femmes, l’attention s’est portée presque exclusivement sur le nombre plus limité de violations, tout aussi graves, commises par l’État contre les insurgés fondamentalistes. Malheureusement, ce manque d’équilibre a affaibli les forces féministes et démocratiques de la société algérienne et a relégué les attaques contre les femmes au second plan. Comme le reconnaît le rapport du Secrétaire général sur les normes humanitaires minimales soumis le 5 janvier 1998 en vertu de la résolution 1997/21 de la Commission sur les Droits de l’Homme, ‘ce sont souvent les situations de violence interne qui posent la plus grande menace à la dignité humaine et à la liberté’ et ‘en cas de violence interne, il est également important de s’intéresser au comportement des groupes armés non étatiques’ E/CN.4/1998/87, paragraphe 8,9.

Ce rapport officieux rappellera l’histoire de la montée du mouvement fondamentaliste, son idéologie et l’escalade de ses attaques contre les femmes. Il identifiera également la manière dont l’État s’est accommodé de ce programme, l’a intégré et y a réagi et examinera son impact sur l’égalité des femmes. De plus, le Rapport établira des recommandations à l’attention du Comité dans ce propos.

Résumé

Le mouvement fondamentaliste en Algérie est actif depuis au moins les années 70. Durant les années 70 et 80, les fondamentalistes se sont organisés politiquement, tout en recourant à la violence pour imposer leur programme. Ils se sont en particulier attaqués aux activistes féministes, aux étudiantes, aux femmes ouvrières dans les usines d’Etat et aux célibataires vivant sans membre de sexe masculin de leur famille qualifié par la loi de gardien (Wali). À la fin des années 80, les attaques incendiaires contre les femmes célibataires ont causé la mort d’un enfant. En 1984, les fondamentalistes ont marqué un point politique substantiel en forçant l’État à adopter un code de la famille extrêmement réactionnaire, qui pour l’essentiel traite les femmes comme des mineures.2 En 1989, à la suite des grandes manifestations populaires contre le gouvernement de parti unique soutenu par les militaires, ils ont obtenu un amendement de la Constitution permettant la formation de partis politiques. Les fondamentalistes se sont unifiés alors pour former le parti du Front Islamique du Salut (FIS). Le FIS disposait d’une branche armée connue sous le nom d’AIS. Les meneurs du FIS ont, dès le départ, déclaré leur opposition à la démocratie et affirmé leur idéologie de ségrégation sexuelle. La violence politique fondamentaliste contre les femmes s’est poursuivie et s’est amplifiée après la formation du FIS.

Aux élections municipales de juin 1990, le FIS a remporté un grand nombre de municipalités. Pendant son exercice officiel du pouvoir jusqu’au début 1992, le FIS a cherché à imposer une discrimination assimilable à un apartheid des sexes tant par des moyens légaux que par la menace de la force. Le parti a notamment décrété la séparation des garçons et des filles à l’école, des hommes et des femmes dans les bus et sur certains lieux de travail. Après l’annulation du second tour des élections législatives de décembre 1991,3 la violence à l’égard des femmes et d’autres civils s’est gravement exacerbée. L’État a interdit le FIS et les fondamentalistes ont formé de nouveaux groupes armés, dont le Groupe Islamique Armé (GIA), qui s’est attaqué systématiquement aux civils dans une logique de guerre, et en particulier aux femmes s’écartant des rôles qui leur sont imposés.

Le premier groupe de civils assassinés, violés et torturés par les groupes armés furent les parentes des membres des forces de la sécurité, de la police et du gouvernement. En 1993, les fondamentalistes ont commencé à assassiner et à menacer les féministes, les journalistes, les artistes, les étrangers, les intellectuels et autres professions libérales, ainsi que tout membre en vue de la société civile qui représentait une vision ne correspondant pas à l’idéologie du FIS. La grande majorité de ces victimes n’avait aucun lien avec le gouvernement et de fait, nombres d’entre elles étant en réalité des opposants connus de l’État. Les dirigeantes féministes furent personnellement menacées; l’une d’elles fut tuée et les autres furent forcées de vivre cachées ou en exil. Les groupes armés enlevaient régulièrement des jeunes femmes dans la rue, dans les quartiers ou même chez elles pour les enfermer dans des camps comme esclaves sexuelles et domestiques (sous le nom de mariages mutaa). Les fondamentalistes publiaient des communiqués promettant la mort aux femmes n’obéissant pas à leurs ordres, autrement dit les femmes non voilées, les coiffeuses, les femmes actives et les célibataires. Dans un certain nombre de cas, ils ont mis ces menaces à exécution. En 1994-1995, les attaques contre les civils ont pris encore plus d’ampleur. Les groupes armés ont placé des bombes dans les lieux publics, provoquant un nombre sans précédent de victimes. En 1997, surtout au moment du Ramadan, ils ont massacré des villages entiers, un nombre disproportionné de femmes et d’enfants comptant parmi les nombreuses victimes. Si ces années de terreur et de subordination sexuelle imposée ont influé négativement sur la culture et l’égalité des sexes, de nombreux segments de la société civile résistent vigoureusement au programme fondamentaliste. Les femmes sont à la tête de ce mouvement. Les activistes féministes et les organisations de femmes, les journalistes et bien d’autres continuent de manifester contre les fondamentalistes et de documenter les violations commises, malgré le risque encouru. De plus, les femmes et les hommes ordinaires continuent, malgré la terreur, à travailler et à maintenir les institutions sociales comme les écoles. Les enseignantes, les coiffeuses et les couturières (des femmes dont le métier est d’embellir d’autres femmes), les femmes non voilées ainsi que les femmes portant le voile avec une touche de rouge à lèvres, luttent toutes contre le programme totalitaire de terreur des fondamentalistes en poursuivant leur vie quotidienne. Le nombre de femmes non voilées a récemment augmenté.

Malgré l’opposition militaire violente de l’État au mouvement fondamentaliste, ce dernier a exercé une profonde influence sur les politiques publiques. La complaisance de l’État envers les pressions fondamentalistes explique ses réserves envers la Convention des Femmes et l’application d’un code de la famille réactionnaire, qui porte atteinte aux droits fondamentaux de la femme. De plus, l’État n’a pas suffisamment répondu aux besoins sociaux et, ni aux besoins économiques des victimes de la violence fondamentaliste. Il n’a en particulier apporté aucun soutien adéquat aux survivantes des viols. Enfin, si l’État a rejeté certaines des demandes fondamentalistes les plus extrêmes en vue d’un apartheid des sexes, comme la ségrégation dans l’éducation et les transports, il n’a pas pris suffisamment de mesures pour remédier aux déprédations culturelles sur l’égalité des sexes causées par le programme fondamentaliste.

Le Comité a l’autorité nécessaire et le devoir de s’occuper des obstacles extrêmes que représente la campagne fondamentaliste de violences et de terreur, ainsi que son influence sur le pouvoir de l’État, pour atteindre les objectifs d’égalité de sexes et de respect des droits de la femme. Le Comité devrait interroger l’État sur ces points et l’enjoindre de prévenir la violence et d’en protéger ses victimes, de réparer les torts commis contre les femmes par les fondamentalistes, d’adhérer à la Convention et de la mettre activement en ‘uvre. Nous recommandons en particulier que le Comité:

Demande instamment à l’État et obtienne de celui-ci qu’il s’engage à retirer ses réserves à la Convention, réserves qui légitiment et perpétuent l’inégalité des femmes (en particulier dans la vie familiale) et qui violent l’objet et le but de la Convention.

Demande instamment à l’État et obtienne de celui-ci qu’il s’engage à accepter et à soutenir une législation permettant d’adopter une série complète d’amendements au code de la famille, formulée et acceptée en consultation avec les femmes des ONG, ainsi qu’à soutenir l’adoption et la mise en ‘uvre d’autres mesures nécessaires à l’élimination des discriminations et enfin à assurer l’égalité.

Demande instamment à l’État et obtienne de celui-ci qu’il s’engage à prendre des mesures immédiates pour que les victimes des violences fondamentalistes, parmi lesquelles les femmes qui ont été violées et soumises à l’esclavage sexuel, bénéficient de services sociaux adéquats, y compris des services médicaux pour l’avortement et d’assistance psychologique, leur permettant de regagner leur confiance en elles et de reconstruire leurs vies.

Demande instamment à l’État et obtienne de celui-ci qu’il s’engage à prendre des mesures immédiates pour garantir que toutes les femmes bénéficient de manière égale d’une préparation, d’un accès et de l’exercice des droits à l’emploi, à l’éducation et aux soins de santé conformément à la Convention, et que les femmes victimes de la violence, tant fondamentaliste que d’État, reçoivent une aide économique et toutes autres formes d’assistance nécessaires leur permettant de reconstruire leur vie et de subvenir à leurs familles et à elles-mêmes. Demande instamment à l’État et obtienne de celui-ci qu’il s’engage à prendre des mesures dirigées tant vers les hommes que vers les femmes, par le soutien des médias, de l’éducation et des arts, pour dépasser les stéréotypes discriminatoires et les peurs entretenues dans la culture par la terreur fondamentaliste.

Demande instamment à l’État et obtienne de celui-ci qu’il s’engage à fournir les ressources nécessaires pour protéger et assurer le développement d’une communauté d’ONG indépendantes de l’État, en particulier des ONG assurant la reconnaissance et la protection des droits de la femme, de manière à faciliter l’établissement d’une société civile et le respect des droits de l’Homme.

I – Le fondamentalisme en Algérie

A. Les premières attaques fondamentalistes contre les femmes

Depuis la guerre d’indépendance contre l’occupation coloniale de la France, qui s’est achevée en 1962, l’État algérien a été dominé par le Front de Libération Nationale (FLN) dans un système de parti unique soutenu par les militaires. Si le rôle significatif des femmes dans la guerre pour la libération a semblé jeter les fondations d’une égalité des sexes en Algérie, peu après l’indépendance, les forces fondamentalistes ont commencé à se faire sentir en Algérie, en particulier dans leurs attaques contre l’égalité des sexes. Dans les années 70, dans les universités, les islamistes4 se sont attaqués aux étudiants qui soutenaient un programme non islamiste, en particulier les femmes qui refusaient de se plier à l’idée islamiste de leur rôle et de leur comportement. Les étudiantes furent attaquées pour leur activisme politique et leur façon de s’habiller, parmi ces attaques, des agressions à l’acide sur des étudiantes.5

Les fondamentalistes continuèrent de s’organiser dans les années 70 et 80, et en 1984, ils remportèrent une importante victoire politique grâce à l’adoption du code de la famille qui a privé les femmes de bon nombre de droits fondamentaux et les a réduites à un statut de minorité. Tout au long de l’histoire du mouvement fondamentaliste en Algérie, nombreux segments de la société civile, en particulier dans la communauté féministe, s’y sont opposé. De 1980 à 1984, à chaque fois que le code de la famille était proposé, les femmes activistes organisaient de grandes manifestations. Le code, adopté en 1984 sans que ses dispositions n’aient fait l’objet d’un examen ou d’un débat public, est devenu une cible permanente de protestations et d’opposition pour les groupes de femmes.6

Les attaques contre les femmes reçurent une plus grande attention lorsque, fin 1989, les islamistes organisèrent des campagnes et incendièrent les maisons de femmes vivant sans parent masculin. Dans un cas particulier, le 5 juin 1989, l’autorité locale de la ville a reçu une pétition signée par 197 personnes demandant que leur quartier soit débarrassé de la présence de trois femmes dont le mode de vie était considéré comme inapproprié. La municipalité a donc menacé ces femmes et mobilisé des groupes de jeunes garçons pour les harceler quotidiennement. Comme ces ‘indésirables’ ne quittaient pas la communauté, un groupe de dix hommes a décidé de passer à l’action. Le 21 juin 1989, pendant la nuit, ils se sont réunis, ont délibéré et finalement décidé que le seul moyen de ‘purifier’ le quartier était par le feu’. ‘Oum Ali’ est une femme de 34 ans, récemment divorcée, qui vit seule avec sept enfants. Abandonnée par son mari avant le divorce, illettrée et sans emploi, elle est la plus pauvre parmi les pauvres, car en vertu de l’article 52 du code de la famille de la loi islamique, ni elle ni ses enfants ne sont protégés, en effet ils ne reçoivent aucune assistance financière’ Les fondamentalistes l’accusaient de prostitution, ils l’accusaient de rendre le quartier impur, de gâter la moralité, la piété des Musulmans et le bienêtre spirituel de la ville’ Au milieu de la nuit du 22 juin 1989, les fondamentalistes ont incendié sa maison et son enfant handicapé de trois ans a péri dans l’incendie. Treize hommes ont été arrêtés et les fondamentalistes ont manifesté en leur faveur. Ils n’ont pas nié leur crime, mais ils l’ont trouvé justifié.7

B. L’émergence et l’idéologie du FIS et des groupes armés

En 1988-89, en réponse à l’opposition populaire au manque de démocratie et de libertés civiles, à la profonde corruption, au manque d’éducation, d’emplois, de logements et à la paupérisation de la population, la Constitution algérienne a été modifiée pour mettre en place un système parlementaire pluripartite. Dans cette opposition, se retrouvait une large marge représentative de la société, dont les laïques, les démocrates indépendants, les étudiants, les travailleurs, les villageois et d’autres personnes, ainsi que les extrémistes islamistes qui allaient plus tard former le parti politique du Front Islamique du Salut (FIS) et ses groupes armés. Mettant à profit cette ouverture pour tenter de s’emparer du pouvoir étatique, les fondamentalistes fondèrent le FIS en 1989 comme organisation regroupant tous les groupes islamistes.8 À l’inverse d’autres segments de la société civile favorables au changement constitutionnel, l’objectif déclaré du FIS depuis sa création était de faire de l’Algérie un Etat islamiste non démocratique, totalitaire, que ce soit par des élections ou par la violence.

Le FIS avait toujours considéré la violence comme un moyen d’imposer son programme. La devise suivante du FIS compte parmi les plus populaires: ‘Pour lui, nous mourrons et pour lui, nous resterons en vie. Pour lui nous rencontrerons Dieu. Pour lui nous faisons la guerre. Pour l’État Islamique.’ Au siège de campagne du FIS, les panneaux d’affichage proclamaient: ‘L’État Islamique doit répandre la foi à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, que ce soit par la persuasion ou par la terreur.’9 Les propos antidémocratiques des fondateurs du FIS Abassi Madani et Ali Belhadj sont encore plus révélateurs. En décembre 1989, Abassi Madani, président du FIS, a déclaré:

‘Nous n’acceptons pas cette démocratie qui permet à un mandataire élu d’être en contradiction avec l’Islam, la charia, sa doctrine et ses valeurs.’10

En février 1989, le vice-président du FIS Ali Belhadj a affirmé: ‘Il n’y a pas de démocratie, car la seule source de pouvoir est Allah par le Coran, et non le peuple. Si le peuple vote contre la loi de Dieu, ce n’est rien d’autre qu’un blasphème. Dans ce cas, il faut tuer les incroyants pour la bonne raison qu’ils veulent substituer leur autorité à celle de Dieu.’11

L’un des piliers du programme fondamentaliste consiste à imposer un apartheid des sexes en prenant pour cible les femmes qui s’écartent de quelque manière que se soit de leur rôle très restreint prescrit dans le cadre fondamentaliste. Après la légalisation du FIS et avant les élections, Ali Belhadj a déclaré ‘que la femme était là pour produire des hommes, elle ne produit aucun bien matériel autre que cette chose essentielle, le Musulman.’12 Abassi Mandani a également déclaré: ‘Les manifestions récentes de femmes contre la violence et l’intolérance comptent parmi les plus grands dangers qui menacent le destin de l’Algérie’elles défient la conscience du peuple et répudient les valeurs nationales.’13

Pendant la période où le FIS contrôlait légalement un nombre non négligeable de municipalités, l’un de ses imams, Abdelkhader Moghni a affirmé:

‘Les femmes devraient rentrer à la maison et laisser leurs emplois aux milliers de jeunes hommes au chômage. Elles perdent leur temps, en gaspillant leurs salaires en maquillage et en robes. ‘14

Cette rhétorique était soutenue par l’action politique des mandataires élus du FIS et par la menace de la force.

La violence fondamentaliste à l’encontre les femmes s’est poursuivie entre la légalisation du FIS et l’annulation des élections. En décembre 1989, une athlète de judo a été agressée pour avoir contrevenu aux diktats fondamentalistes.15 De février à avril 1990, les fondamentalistes ont lancé une série d’attaques contre les étudiantes de différentes résidences universitaires. Dans l’un de ces cas, une jeune femme a été fouettée alors qu’elle se rendait à un cours.16 À de nombreuses occasions étalées sur plusieurs mois, et sans aucune intervention de la police, des étudiantes furent ramenées dans les résidences universitaires par des fondamentalistes armés de hachettes voulant imposer un ‘couvre-feu’ aux étudiantes.17

Le projet fondamentaliste visant à institutionnaliser une discrimination extrême à l’égard des femmes, constituant par là même les éléments constitutifs d’un véritable apartheid des sexes, est devenu encore plus clair entre 1991 et 1992 alors que le FIS exerçait officiellement le pouvoir dans un certain nombre de municipalités. Si le FIS adopte souvent le langage des droits de l’homme, même concernant les femmes, les programmes qu’ils ont mis en ‘uvre cette année-là, tant par décrets que par les menaces de violence à l’encontre des résistants, démontrent clairement le contraire: la ségrégation sexuelle dans les écoles et dans les bus, l’exclusion des filles dans le domaine sportif, l’obligation du port du voile, les pratiques religieuses forcées et l’interdiction de certains emplois.18

C. La montée en flèche de la violence contre les femmes et la population civile

Après l’annulation des élections de 1991, la stratégie consistant à atteindre les objectifs fondamentalistes par la violence contre la population civile s’intensifia. Le vice-président du FIS, Ali Belhadj, déclara en octobre 1994: ‘les chefs visionnaires doivent mettre tout leur potentiel au service du djihad et coordonner toutes les formes de djihad, notamment le djihad armé qui en est la forme la plus noble et la plus élevée.’19 Le FIS et les groupes armés ont alors mené une guerre contre l’État en utilisant les attaques contre les civils, en particulier les femmes, comme méthode de combat.

Leurs cibles ont changé au fil du temps. Dès 1992, les fondamentalistes ont attaqué les forces de sécurité étatiques et la police qui n’étaient cependant pas les seules cibles. Les groupes armés ont choisi les parentes des membres de la police, des forces de sécurité ou du gouvernement comme premières cibles civiles de viol, de torture et d’assassinat. Entre 1992 et 1995, les assassinats, tortures, enlèvements et autres atrocités du FIS et ses groupes armés se sont tournés vers les civils qui résistaient ouvertement ou dirigeaient les mouvements offrant une alternative à la vision du FIS. Les groupes armés ont assassiné et menacé d’assassiner par la publication de communiqués et de listes et par des attaques directes ainsi que par le harcèlement de journalistes, de féministes, d’intellectuels, d’enseignants, d’étrangers et d’artistes, tous membres de la société civile sans aucun lien avec le gouvernement et même, pour un grand nombre d’entre eux, opposants publics de longue date au gouvernement.20

Les femmes qui n’obéissaient pas aux ordres islamistes sont devenues et sont restées, le symbole visible de l’opposition au FIS et ainsi des cibles pour la violence. Nabila Djahnine, une féministe en vue, fut assassinée par les groupes armés fondamentalistes. D’autres dirigeantes et féministes confirmées comme Zazi Sadou et Khalida Messaoudi vivent sous des menaces de mort depuis plusieurs années. Ces féministes algériennes représentent ainsi le défi ultime aux dirigeants fondamentalistes.21

Il n’y a pas que les femmes en vue qui soient et aient été attaquées. Le FIS et ses groupes armés répandent la terreur en publiant ou en envoyant des communiqués qui ordonnent aux femmes de se plier à leurs diktats, les menaçant de violence ou d’assassinat. L’un de ces communiqués exigeait des femmes qu’elles portent le voile, sous peine d’être tuées. Un mois après la publication de ce communiqué, en mars 1994, deux jeunes femmes furent tuées par balles à un arrêt de bus parce qu’elles ne portaient pas le voile (NY Times, 31 mars 1994). Katia Bengana, dix-sept ans, avait été abattue le mois précédent pour le même motif.22 Toutes les femmes perçues comme n’obéissant pas étaient et restent des cibles. Les groupes armés menacent et attaquent divers groupes de femmes, dont les athlètes, les enseignantes, les ouvrières ainsi que les femmes qui ne portent pas le voile. Ils ont également menacé et attaqué celles qui travaillent à embellir les femmes, coiffeuses, couturières et commerçantes ainsi que les femmes qui, courageusement, sortent de chez elles maquillées ou affichant tout autre signe de résistance.23

Initiées en 1995, les attaques contre les civils ont pris encore plus d’ampleur. En 1995, par exemple, à la veille du Ramadan, une bombe, qui selon le leader du FIS, Anouar Haddam, avait été amenée au poste de police par les moudjahidin, a explosé sur le boulevard Amirouche, l’une des artères les plus animées d’Alger au moment le plus fréquenté de l’année. Le boulevard était empli de femmes et d’enfants, qui venaient de sortir de l’école. 38 personnes furent tuées et 256 blessées, la plupart des victimes étant des femmes et des enfants. Cet attentat n’a pas été interprété comme de ‘la malchance’, selon les mots du leader du FIS, mais comme une attaque délibérée et minutieusement préparée.24

Si la violence aveugle actuelle ne parvient pas à attirer l’attention de la presse internationale, la brutale campagne de massacres menée dans les villages par les groupes armés, et qui a également coïncidé avec le Ramadan, a fait couler davantage d’encre. Des centaines de villageois, hommes, femmes et enfants, ont été massacrés. De plus, dans le cadre de ces massacres, les groupes armés ont isolé les filles et les jeunes femmes de 11 à 35 ans pour les mener dans des camps où ils les ont violées à maintes reprises avant de les tuer. L’esclavage sexuel et la torture qu’elles ont subis étaient accompagnés d’autres formes de tortures: brûlures, passages à tabac et mutilation des seins et des parties génitales.25

Un communiqué de l’émir local du GIA (l’autorité théologique, administrative et militaire des fondamentalistes) illustre sinistrement la nature systématique de ces pratiques. Ce communiqué affirme l’autorité de l’émir qui lui octroie le droit de donner des femmes à violer aux moudjahidin ou ‘combattants de la foi.’ Le communiqué commence ainsi: ‘C’est l’Émir qui donne les femmes.’ Il se poursuit avec des instructions sur les ‘règles’ du viol: qui peut être violée, quand, et par qui. Par exemple, il interdit à un moudjahidin de violer à la fois une mère et sa fille; à un père et son fils de violer la même femme. Il apprend également aux ‘combattants’ qu’ils ne peuvent pas battre les femmes attribuées à d’autres (étant entendu bien sûr qu’ils peuvent battre celles qui leur sont assignées).26 Le fondamentalisme en Algérie reste aujourd’hui une menace très présente et les violences se poursuivent.27 Si les extrémistes semblent avoir récemment perdu du terrain, militairement, culturellement et politiquement, les dégâts causés par ce règne de la terreur sur l’égalité des sexes sont profonds et leurs effets potentiellement de longue durée, à moins que l’État ne prenne des mesures anti-discriminatoires pour en dépasser les conséquences culturelles.

D. La résistance des Algériennes et l’établissement de la démocratie et de l’égalité

Les femmes algériennes occupent la première ligne de la société civile, s’organisant au nom de la paix, de la démocratie, des droits de l’Homme, de la liberté du culte et de l’égalité dans des conditions très dangereuses. Les journalistes féministes recueillent les témoignages, prennent des photographies et travaillent héroïquement pour briser le silence et l’invisibilité dans lesquels vivent les victimes civiles en Algérie. Malgré les menaces contre leur vie, elles ont organisé d’importantes manifestations annuelles pour commémorer la Journée Internationale de la Femme et s’opposer aux efforts des fondamentalistes pour s’immiscer au pouvoir. Ces activistes démocrates et féministes ont défié les barrages routiers gouvernementaux pour se rendre dans les villages après les massacres, y recueillir des témoignages et apporter leur soutien. Elles ont organisé des projets d’aide aux femmes et enfants victimes tant des atrocités que de la corruption et de l’inaction du gouvernement.

Elles ont écrit et parlé contre le programme fondamentaliste et la violence. Elles se sont élevées contre les violations, la censure, la négligence, la corruption et la discrimination attribuables au gouvernement, et elles parlent d’une voix puissante, qui ne sera pas étouffée, en faveur de l’égalité des sexes et de la démocratie.28 Leurs actions incluent des protestations contre les abus de l’État à l’encontre de femmes qui n’ont aucune responsabilité dans les violences mais sont visées ou affectées à cause de leurs relations familiales avec des terroristes ou des terroristes suspectés.

Et pourtant, la forme la plus puissante de résistance et le plus grand espoir pour les objectifs d’égalité et de démocratie sont faits de petits événements et de formes de résistance quotidienne et ordinaire. Le nombre élevé de civils, là encore souvent menés par des femmes, qui continuent de bâtir leur vie quotidienne malgré la violence inqualifiable, représente une base solide pour l’égalité et la paix. On y retrouve des mères défiant l’ordre des fondamentalistes armés de ne pas envoyer leurs enfants à l’école et qui continuent de les y envoyer et les y accompagnent, malgré les attaques terroristes. On y retrouve les enseignants, les professeurs d’université, les coiffeuses et autres travailleuses ainsi que les mères, les s’urs et parentes qui ont refusé à leur manière apparemment insignifiante mais profondément courageuse de céder aux diktats fondamentalistes: celles qui ont continué d’aller travailler, de sortir dans la rue, de se faire belles comme symbole de leur résistance et de faire le travail qui maintient la cohésion de la société civile malgré les grands risques qu’elles courent.29

F. par exemple, une enseignante de Hai Rais, a assisté, impuissante, au meurtre de son mari et de son fils de trois ans, brûlés vifs dans leur maison en 1997. Quelques jours plus tard, elle retournait à son travail, ‘parce que je ne peux pas laisser ces enfants sans éducation.’ Le directeur d’une école primaire a expliqué comment durant toute l’année 1994, les cours se déroulaient avec les portes ouvertes et comment il patrouillait l’école, guettant l’apparition d’une bombe ou d’une attaque. Le personnel n’a pas fermé l’école, ne serait-ce que pendant une journée. Maintenant, raconte-t-il, ‘avant de commencer les cours, nous écoutons les enfants nous raconter le drame qu’ils vivent. Puisqu’il n’y a pas de psychologues disponibles, nous devons nous occuper de cela. Nous ne sommes pas formés à ce rôle, nous sommes nous-mêmes traumatisés, mais il s’agit de faire passer les enfants en premier.’30 Le simple fait de continuer à vivre est devenu ainsi une forme de résistance. Ces secteurs de la société civile ont besoin d’aide pour continuer à bâtir une société libérée de la violence et capable de mettre en ‘uvre une démocratie durable. Leurs efforts pour maintenir et continuer à faire fonctionner les institutions sociales comptent parmi les plus grands espoirs de l’Algérie.

E. L’impact du fondamentalisme sur l’État

L’État algérien a réagi aux pressions et aux violences fondamentalistes par la répression mais aussi par des compromis avec le programme fondamentaliste. Lorsque l’État a pris en considération les demandes des fondamentalistes, cette démarche a toujours été adoptée au détriment des droits fondamentaux et de l’égalité des femmes. L’égalité dans la vie familiale en a été le sacrifice principal. Cédant à la pression fondamentaliste, l’État a adopté le code de la famille actuel en 1984, qui bafoue un grand nombre des droits les plus fondamentaux des femmes.31 La loi a été adoptée sans aucun débat public et en dépit de la vive opposition historique de la communauté des femmes. Malgré les efforts phénoménaux de la communauté des femmes pour obtenir le rejet de ces dispositions très dangereuses, dont une campagne de pétitions qui a recueilli un million de signatures, le code de la famille est resté en vigueur. L’État a récemment rejeté une recommandation commune de plusieurs ONG demandant l’amendement progressif du code.

Dans sa réaction aux violences fondamentalistes à l’encontre des femmes, l’État n’a également pas réussi à apporter suffisamment de soutien aux victimes. Même si, à la suite de l’impact épouvantable des massacres et des protestations publiques, l’État a commencé à fournir certains services sociaux aux victimes, ceux-ci restent inadéquats et doivent être renforcés. En ce qui concerne l’avortement, s’il est vrai que le gouvernement a décrété, apparemment sur la base d’une décision du haut conseil islamique, que les femmes enceintes à la suite d’un viol pouvaient se faire avorter, des rapports plus récents indiquent que le conseil a retiré ou répudié son autorisation pour les avortements et il n’est pas évident que le décret gouvernemental tienne toujours et/ou que les victimes aient été en mesure d’accéder à ce service médical. Les femmes qui survivent, en particulier les veuves avec des enfants, n’ont pas non plus bénéficié de l’assistance économique nécessaire. Étant donné le taux d’illettrisme extrêmement élevé et la modestie du taux officiel d’emploi des femmes en Algérie, ces femmes n’ont que peu d’options. De plus, si certains services, dont le suivi psychologique, sont proposés aux femmes qui ont été violées, stigmatisées et rejetées par leurs communautés, ces efforts sont également insuffisants.

Même si après 1992 l’État s’est refusé à mettre en oeuvre de manière légale certaines des pires exigences fondamentalistes visant à l’apartheid sexuel: ségrégation dans les bus et les écoles, prohibition des femmes dans l’athlétisme, il faudra beaucoup plus pour contrecarrer l’impact culturel de la menace fondamentaliste sur la société. Comme l’exprime un jeune homme du village de Hai Rais, lieu d’un des massacres de 1997 et région abandonnée aux fondamentalistes: ‘Nous devons réapprendre à être humains, à serrer la main d’une femme, à la regarder d’un oeil fraternel même si elle ne se couvre pas la tête ou les bras. Cela fait maintenant 5 ou 6 ans que nous avons oublié ces gestes plutôt normaux.’32

II – Le rôle de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW)

Nous demandons à ce Comité, dans le cadre de son mandat, de reconnaître clairement que le programme et la violence des fondamentalistes constituent l’un des obstacles les plus significatifs à la réalisation de l’égalité des femmes et à l’exercice de leurs droits fondamentaux. De fait, leur campagne de terreur, constituant des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, est une violation directe du droit international de la pire forme. Nous pressons le Comité de demander à l’État de prendre ses responsabilités conformément aux articles 2, 3, 4 et 5 de la Convention, de prendre des mesures immédiates et effectives pour protéger contre, réparer et contrecarrer ces violations et leurs conséquences politiques, économiques et sociales dévastatrices sur la condition et les droits des femmes en Algérie. Le Comité pourrait en particulier interroger l’État sur les initiatives anti-discriminatoires qu’il prend pour combattre l’aggravation de la discrimination et de la subordination des femmes, qui sont les conséquences de la terreur fondamentaliste dirigée contre les femmes et les hommes. Il devrait également examiner d’une part les mesures prises pour remédier aux inégalités sociales et économiques et alléger le désespoir des femmes qui doivent trouver un emploi et un moyen de subsistance au lendemain de la terreur et d’autre part les effets d’une discrimination plus générale à l’encontre les femmes. Il faudrait pousser l’État à éliminer toutes les formes de discrimination et à empêcher la ré-institutionnalisation de la discrimination, par exemple dans la menace de voir à nouveau les femmes privées de leur droit de vote.

La montée du fondamentalisme en Algérie et le manquement de l’État à y répondre adéquatement, de manière politique, a provoqué une myriade de violations à la Convention des Femmes. Les femmes ont été privées, entre autres droits, du droit à une même éducation, art. 10, du droit de vote et de participation à la vie publique, art. 7, du droit à échapper aux stéréotypes sociaux et culturels, art. 5, 10, du droit au libre choix de leur profession, art. 11, du droit aux soins de santé, art. 12, du droit de participer à des activités de loisirs et sportives et à l’ensemble des aspects de la vie culturelle, art. 13, du droit à l’égalité devant la loi, art. 15, du droit à l’égalité dans le mariage, art. 15, et du droit à la sécurité et à une vie libre de violence, rec. 19.

Conformément à la Convention CEDAW: ‘Les rapports peuvent indiquer les facteurs et les difficultés affectant la manière dont sont remplies les obligations prévues par la présente Convention’ art 18. Dans le cas de l’Algérie, le Comité doit identifier ces ‘difficultés’ posées par le fondamentalisme et demander à l’État d’y répondre. Ces ‘difficultés’ incluent non seulement la violence et la terreur imposées par les fondamentalistes, mais aussi leur programme visant à établir un Etat théocratique correspondant à leur vision conservatrice de l’Islam et à affirmer la suprématie de la charia. Cette autorité permet au Comité d’interroger l’État sur l’influence accordée aux fondamentalistes au sein du gouvernement et de la société, sur sa capitulation incarnée par le code de la famille de 1984, sur l’obligation d’abroger cette loi et sur son devoir de retirer ses réserves à l’encontre de la Convention des Femmes. Il est également vital que le Comité insiste rigoureusement sur l’égalité et les droits des femmes. Les femmes réagissent avec horreur lorsque l’État, de temps à autre, décide de négocier avec le FIS, craignant qu’il ne cède encore davantage sur le plan des droits fondamentaux des femmes contre l’apparence et l’illusion de la paix. Nous recommandons en particulier que le Comité: Demande instamment à l’État et obtienne de celui-ci qu’il s’engage à retirer ses réserves à la Convention, réserves qui légitiment et perpétuent l’inégalité des femmes (en particulier dans la vie familiale) et qui violent l’objet et le but de la Convention.

Demande à instamment l’État et obtienne de celui-ci qu’il s’engage à accepter et à soutenir une législation permettant d’adopter une série complète d’amendements au code de la famille, formulée et acceptée en consultation avec les femmes des ONG.

Demande instamment à l’État et obtienne de celui-ci qu’il s’engage à prendre des mesures immédiates pour que les victimes des violences fondamentalistes bénéficient de services sociaux adéquats, y compris des services médicaux pour l’avortement et d’assistance psychologique, leur permettant de regagner leur confiance en elles et de reconstruire leurs vies.

Demande instamment à l’État et obtienne de celui-ci qu’il s’engage à prendre des mesures immédiates pour garantir que toutes les femmes bénéficient de manière égale d’une préparation, d’un accès et de l’exercice des droits à l’emploi, à l’éducation et aux soins de santé conformément à la Convention, et que les femmes victimes de la violence, tant fondamentaliste que d’Etat, reçoivent une aide économique et toutes autres formes d’assistance nécessaires leur permettant de reconstruire leur vie et de subvenir à leurs familles et à elles-mêmes.

Demande instamment à l’État et obtienne de celui-ci qu’il s’engage à prendre des mesures dirigées tant vers les hommes que vers les femmes, par le soutien des médias, de l’éducation et des arts, pour dépasser les stéréotypes discriminatoires et les peurs entretenues dans la culture par la terreur fondamentaliste.

Demande à instamment l’État et obtienne de celui-ci qu’il s’engage à fournir les ressources nécessaires pour protéger et pour assurer le développement d’une communauté d’ONG indépendantes de l’État, en particulier des ONG assurant la reconnaissance et la protection des droits de la femme, de manière à faciliter l’établissement d’une société civile et le respect des droits de l’Homme.

IWHR et WLUML remercient le Comité d’avoir prêté attention à ces propos.

Le 20 janvier 1999 IWHR & WLUML

Publié par Women Living Under Muslim Laws en février 2000 © International Women’s Human Rights Law Clinic et Women Living Under Muslim Laws ISBN 2-912606-05-5

mercredi 20 janvier 1999

Source : http://www.wluml.org/french/pubs/rtf/misc/alg-shadow-fr.rtf Présenté par: International Women?s Human Rights Law Clinic et Women Living Under Muslim Laws

PROCHOIX n° 8 – décembre 1998

Les féministes et la question juive

Ce dossier ne porte pas sur l’antisémitisme, encore moins sur les antisémites mais sur la vigilance. Où en est la vigilance par rapport à la menace d’antisémitisme ? Comment traite-t-on de la question juive dans les milieux féministes.. Le bilan n’est pas brillant.

  • Exemple d’un forum de discussions tournant au pugillat contre ces ayatolahs-de-juifs-qui-rendent-antisémites sur internet.
  • Exemple aussi d’un texte d’Andréa Dworkin (parlant des femmes israëliennes comme des vicitmes d’une « nuit de christal en permanence » de la part des hommes israëliens) paru sans aucune présentation critique dans Nouvelles Questions féministes et qui aujourd’hui encore est sujet de polémiques. Retrouvez son analyse en détails.
  • Ainsi qu’un entretien avec Liliane Kandel qui vient de publier les actes du colloque Féminisme et nazisme.
Et aussi
  • Une enquête sur les anti-PACS : le résumé et les portraits des députés les plus homophobes au cours des débats à l’assemblée nationale, un portrait complet de Christine Boutin et de son palmarès « pro-vie ». Une analyse de la nouvelle stratégie de communication du mouvement « pro-vie » à travers les manifestations anti-Pacs.
  • Un article de recherche de Nadège Ragaru, politiste, sur les effets de la transition sur les droits des femmes en Bulgarie post-communiste…
  • Le récit mouvementé de la contre-manifestation organisée par Prochoix-Paris contre la Journée internationale pour la vie organisée la 17 octobre à la Mutualité de Paris par des associations « pro-vie » françaises et américaines.

samedi 12 décembre 1998

PROCHOIX n° 7 – septembre 1998

PACS : le droit de choisir son union

Comment, malgré l’approbation d’une bonne partie de la population, le gouvernement s’apprête à soutenir un Pacte civil de solidarité peu ambitieux, volontairement tenu à distance de l’égalité avec les autres couples sur tout ce qui concerne les droits succéssoraux, les délais, l’imposition, l’accès du conjoint à la nationalité française, les minimas sociaux, la filiation et le lieu d’enregistrement.

  • Caroline Fourest analyse surtout comment Elisabeth Guigou a saisi le prétexte de la pétition des maires anti-CUS de Michel Pinton pour rejeter la signature du Pacs en mairie.
  • Un article sur la «filiation intedite» revient sur ces universitaires de gauche qui, de Sylviane Agacinski à Irène Théry, ont ouvertement pris des positions naturalistes et moralisatrices contre le droit des homosexuels à la co-parentalité.
  • Dans un long entretien, Irène Théry répond à ProChoix sur ses positions en faveur d’un «ordre symbolique».
  • Retrouvez également quelques citations de maires les plus homophobes et le récit de Fiammetta Venner, en visite chez Artéa, la boîte de communication en charge de la pétition des maires de Michel Pinton.
  • Enfin, plongez dans les coulisses d’Avenir de la Culture, une association extrémiste et sectaire, spécialisée dans les campagnes d’incitation à la haine homophobe depuis dix ans et contre qui se bat le collectif FURIE !
Et aussi
  • «Notre choix de la mort est un acte de liberté» : Tristan Mendès France et Michael Prazan reviennent sur le choix de Roger et Claire Quilliot.
  • «Au nom de la vie» : Pierre-André Taguieff analyse la prise en compte de la doctine «pro-vie» par le Front national.
  • 4 pages d’infos exclusives sur la journée internationale pour la vie organisée le 17 octobre à la Mutualité de Paris par des associations «provie» françaises et américaines.

PROCHOIX n° 6 – juillet 1998

Prolife vs Prochoice aux Etats-Unis

Après un historique du bras de fer prolife v/s prochoice aux États-Unis, ProChoix raconte quelques unes des actions les plus violentes menées par les prolife ces derniers mois.

  • Présentation de Catholics for a free choice et Human life international (association « pro-vie » organisatrice d’un colloque à Paris le 17 octobre).
  • Plongeon dans une semaine d’actualité pro-life.
  • Un article sur le militantisme homosexuel new-yorkais: les 15 ans du Centre gay et lesbien de New-York.
Et aussi
  • Edito : un article complet sur le saccage dont a été victime le Planning familial de Villeurbanne dans la nuit du 11 au 12 mai 98.
  • Une enquête sur Droit de naître, cette association de lobby « pro-vie » qui abreuve l’Assemblée nationale de livres contre l’avortement.
  • Le procès des meurtriers d’Ibrahim Ali au jour le jour : retrouvez les résumés et des extraits détaillés des plaidoiries de ce jeune musicien assassiné d’une balle dans le dos par des colleurs d’affiche du FN.
  • Le Mondial vu de droite ou comment la presse de droite radicale a couvert le mondial du football…

PROCHOIX n° 5 – avril 1998

Les sponsors de l’extrême droite

A partir du Guide des sponsors du Front national et de ses amis, de Caroline Fourest et Fiammetta Venner, ProChoix revient sur ces entreprises qui financent et cautionnent l’extrême droite. En exclusivité, découvrez la liste des financiers du parti de Philippe de Villiers, les sponsors de renom du IX congrès international « pro-vie »…

Et aussi
  • Edito : les régionales de 1998 et le droit de choisir
  • Enquête sur la pétition des maires anti-CUS de Michel Pinton
  • La « 8e journée mondiale pour la vie »
  • Coup de gueule contre Persona.
  • La Clinique Ordener a fermé ses portes
  • Une réflexion sur la « déportation pour fait d’homosexualité »
  • « Qui aime bien chatie bien », un article de Brigitte Rollet sur le sexisme dans les films de Bertrand Blier
  • Marie-Jo Bonnet et Françoise d’Eaubonne nous font revivre le 5 mars 1971, jour où le presque-né Front d’action Homosexuel révolutionnaire attaquait le premier congrès de Laissez-les-Vivre.
  • Retrouvez également un schéma complet, réalisé en collaboration avec l’Événement du Jeudi, illustrant la nébuleuse des associations « pro-vie ».

jeudi 2 avril 1998

PROCHOIX n° 4 – mars 1998

Spécial Elections régionales 98

Au moment où, à l’exemple de Charles Millon, plusieurs hommes politiques de droite passaient des alliances avec le Front national, ProChoix revient en détail sur le programme et le travail de sappe menée depuis des années par les troupes de Bruno Gollnish au sein du conseil régional Rhône-Alpes. A garder dans ses tiroirs, la liste des candidats FN élus aux régionales 1998 et, en exclusivité, une liste générale des élus «provie» en activité.Enfin, Michel Delebarre (PS), Marie-Christine Blandin (Verts) et Antoine Ruffenach (RPR-UDF-MPF) répondent à un questionnaire de ProChoix leur demandant de se positionner sur droit de choisir et leur application régionale.

Et aussi
  • Un article sur le syndrôme de la Fausse mémoire ou comment les provie français reprennent les arguments des Pro-life américains soupçonnant les victimes d’inceste qui portent plainte d’hallucination rétrospective.
  • Un coup de gueule contre le chemin de Croix organisé à Auschwitz en mémoire des victimes de l’avortement par des associations anti-IVG françaises et polonaises…
  • Des comptes-rendus d’actions prochoix menées à Toulouse contre les Rosaires pour la Vie et à Lille contre un rassemblement de Xavier Dor.
  • La suite de la polémique sur Jacques Testart à partir de sa réponse.

PROCHOIX n° 3 – février 1998

Le Révisionisme « provie »

par Fiammetta VENNER

Partant du principe que les foetus sont des personnes et donc que l’avortement est un assassinat, les « provie » ont mis en place toute une rhétorique tendant à prouver que les foetus avortés connaissent le même sort que les juifs sous le nazisme. Lancés dans une course aux chiffres indécente faisant rivaliser le nombre de victime du nazisme avec celui de l’avortement, ils en viennent à penser l’avortement comme le « plus grand génocide de tous les temps ». En vertu de quoi, les défenseurs des foetus seraient les nouveaux « justes », des résistants et, à contrario, les avorteurs de nouveaux « nazis ». Pire, certains « provie » vont ensuite jusqu’à relever qu’il y a beaucoup de juifs parmi les avorteurs, ce qui, à leur yeux, laisse à penser qu’il n’ont jamais été exterminés…

Affiche du MFPF détournée par les provie pour faire apparaître Marx et Hitler aux côté des féministes…

Le « Nuremberg de la vie » : un site provie effrayant ! (Caroline Fourest)

ProChoix a débusqué un site internet du nom de « Nuremberg pour la vie » et dans lequel des pro-life jugent on line les partisans de l’avortement, dossiers et photos à l’appui, en prévision du jour où ils pourront les attaquer dans un « vrai » tribunal pour « crime contre l’humanité » ! Terrifiant…!

Les provie en campagne contre l’Ecole des Loisirs (Fiammetta Venner)

Retrouvez aussi un article sur la campagne de boycott menée par les Relais pour la vie contre l’Ecole des loisirs (une maison d’édition pour enfants qu’il accuse de faire la promotion de l’homosexualité !)

Et aussi
  • Inédit : Michel Delebarre épinglé. ProChoix raconte comment le candidat P.S., aujourd’hui président de la région Nord-Pas-de-Calais, avait accepté d’être membre d’honneur d’un congrés sur la famille provie en 1990…
  • Si l’Amérique n’existait pas, il faudrait l’inventer !
  • Vive les entreprises politiquement correctes !
  • L’âge ingrat des ‘Survivants’
  • Edito: Cendrine Lechevallier : attention, les couloirs du temps ne se sont pas refermés !

La bio ‘none’ autorisée de Mère Térésa (Moruni Turlot)

l arrive parfois de lire des livres qui vous touchent. C’est le cas de celui ci. Anne Sebba nous relate la biographie « interdite » de Mère Térésa dans un style percutant, mêlant de nombreux témoignages-souvent bouleversants- à des faits historiques. Décédée en Août 1997, Mère Térésa laisse-t-elle vraiment un grand vide ? Elevée au rang de Sainte, elle restera en tout cas la personne ecclésiastique la plus médiatique et la plus contrastée de cette fin de siècle.

Sa carrière débute en 1928 lorsqu’elle s’engage auprès des soeurs de la charité et part en Inde avec le soutien inconditionnel du Vatican. Le temps de se familiariser, de découvrir les us et coutumes de ces sauvages même pas chrétiens, elle ouvre son premier dispensaire à Calcutta. Pourquoi avoir choisi cette ville alors qu’il existe une petite communauté de chrétiens dans le sud du pays ? La raison est simple : cette métropole se trouve à la frontière du Bangladesh et du Pakistan. Les deux pays sont en conflits depuis des années et des flots de réfugiés quittent le Bangladesh pour l’Inde. Une manne pour Mère Térésa qui recueille femmes, enfants et invalides. Tous profondément traumatisés et maléables à souhait. Car l’aide qu’elle leur apporte n’est pas matérielle, elle est spirituelle. Mère Térésa leur offre un Dieu sur un plateau. Intermédiaire entre les pauvres et la mort, elle empêche les femmes victimes de viol systématique d’avorter, envoie les enfants à l’étranger dans des familles catholiques pour être adoptés. Quant aux autres, ils attendent la mort dans la prière et des conditions d’hygiène plus que lamentables. Les infirmières, soeurs de la charité, ne sont pas qualifiées et pourtant Mère Térésa se charge d’élimer tous ses concurrents. Comme ces médecins anglais qui avaient le très net inconvénient de proposer des traitements contre la douleur !

Catholique avant tout, Mère Térésa sait que le billet pour le paradis ne se gagne pas aussi facilement. Qu’il faut souffrir pour avoir la Rédemption !

Qu’importe, elle continue de fasciner, enroulée dans son sari blanc et bleu. Elle côtoie la misère. Et ça, en occident, on ne l’avait pas vu depuis longtemps. En 1980 elle est à l’apogée de sa gloire. Fière de son prix Nobel, elle voyage aux 4 coins du monde et ouvre pas moins de 468 dispensaires. Mais bientôt la mère se prend les pieds dans le tapis. Des volontaires venues d’Angleterre témoignent sur les conditions inhumaines dans lesquelles sont traités les malades. Mais ces voix ont bien du mal à se faire entendre. À l’exception du film « l’Ange de l’enfer » diffusé sur Chanel four. où le réalisateur nous montre enfin la véritable histoire de cette femme convaincue comme « Marie » de porter toute la détresse de la terre. Bientôt on lui reproche ses prises de position contre le droit à l’avortement. D’autant qu’elle s’élève contre toutes tentatives du gouvernement Indien de planifier les naissances. Ce qui lui vaut d’être l’idole de nos chers provie !

L’enquête réalisée par Anne Sebba nous permet de révéler la vraie mère Térésa une femme pleine de contradiction. Un livre de référence à lire absolument.

LIVRE : Mère Térésa : la face cachée, Anne Sebba, Edition Golias (1997). Prix : 135 F

Paru dans ProChoix n°2 (janvier 1998) »

Les femmes sur le tapis de l’Assemblée

L’occasion est trop rare pour se priver d’un petit plaisir en réecoutant ici la séance du 12 novembre 1997, au cours de laquelle les députés de notre pays se sont entretenus quelques minutes des droits des femmes…

M. Yves Cochet (Verts). Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Dans quelques jours, à l’appel du comité national pour les droits des femmes, une manifestation aura lieu, à laquelle nous participerons peut-être, les uns et les autres. À ce propos, je rappellerai quelques enjeux et poserai une question. Un des premiers enjeux est la réduction du temps de travail . Même si le travail des femmes n’est pas une nouveauté-les femmes représentent 45% de la population active-on constate une évolution quant à leur rapport à l’emploi, qui est dorénavant marqué par plus de précarité et plus de temps partiel. S’agissant du temps partiel, je ne citerai qu’un seul chiffre : 83% des personnes qui occupent un emploi à temps partiel sont des femmes. On connaît les fluctuations du marché de l’emploi et la manière dont elles frappent davantage les femmes. Je crois profondément que les mesures de réduction du temps de travail, et donc les 35 heures maintenant, et les 32 heures à l’avenir (« bien sûr ! » sur plusieurs bancs du RPR et de l’UDF) sont des mesures authentiquement féministes, procédant d’une politique qui l’est tout autant. Autre enjeu, qui suppose un changement constitutionnel : la parité. Même si votre parti, monsieur le Premier ministre, a, aussi bien que le mien, fait des efforts lors des dernières élections pour présenter plus de candidates; notre assemblée ne compte encore que 10% de femmes. Quelle différence avec les assemblées du Nord de l’Europe ! Nous sommes les avant derniers sur les 15 pays européens ! Quand la parité sera-t-elle réalisée ?

M. Lucien Degandry. Cédez votre siège à une femme !

Yves Cochet. J’en viens à la question précise que je voulais vous poser, ne voulant pas m’attarder sur d’autres enjeux, tels que la lutte contre le proxénétisme, la lutte pour le droit à l’IVG, la lutte pour le partage du temps de travail, qu’il s’agisse du travail professionnel ou du travail domestique, car c’est à ce partage aussi que doivent aboutir les 35 heures. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du RPR) A mon grand regret, il n’y a pas, parce que vous avez voulu un gouvernement resserré, de ministre des droits des femmes.(exclamations sur plusieurs bancs du RPR) Il faudrait au moins une délégation interministérielle pour les droits des femmes. Monsieur le Premier ministre, à quand la délégation interministérielle pour les droits des femmes ! (Applaudissements sur divers bancs du groupe radical, citoyen et vert et sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

Mme Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité,. Monsieur Cochet, je suis très heureuse que M le Premier ministre m’ait chargé de m’occuper des droits des femmes. Je partage le souhait qui doit être le même sur tous ces bancs, que la déléguée interministérielle soit rapidement désignée. Les candidatures, nombreuses et brillantes, sont celles de femmes attachées à ce combat. Le 1er ministre sera incessamment amené à arrêter son choix à choisir cette déléguée, et je m’en réjouis personnellement. Monsieur le député, vous avez eu raison de commencer par évoquer le problème du travail et de l’emploi. Si, dans notre pays, nous parlons beaucoup de parité au niveau politique-à ce propos, nous savons comment la gauche a su faire des choix, tout comme le Premier ministre pour former son gouvernement-, nous ne devons pas oublier que le problème majeur auquel sont confrontées nos concitoyennes est celui du travail et de l’emploi. Rappelons que les femmes sont plus touchées par le chômage que les femmes et que, pour la même qualification, leur rémunération est inférieure de 27% à celles des hommes.

M. Jean-Paul Charié. C’est faux !

Mme Martine Aubry. Rappelons aussi qu’à diplôme égal, elles mettent trois fois plus de temps à êtres embauchées et, quand elles le sont, elles sont moins rémunérées que les hommes ! Le CERC vient d’ailleurs de rendre à ce sujet un rapport ce matin. Rappelons encore que les femmes n’ont pas accès à la formation de la même manière que les hommes ! Sur tous ces points, comme je l’ai d’ailleurs toujours fait dans ce ministère, nous allons dans la ligne de la loi qu’Yvette Roudy a fait voter, relancer les grands programmes de la parité professionnelle afin de lutter contre la plus grande des inégalités d’aujourd’hui.

M. Lucien Degauchy . L’AGED !

Mme Martine Aubry. La seconde inégalité touche à la vie quotidienne et personnelle des femmes. Nous y travaillons avec Bernard Kouchner… (« Ah ! » sur les bancs de l’UDF et du RPR) Nous allons lancer une grande campagne sur la contraception, car les jeunes filles n’y ont plus recours aujourd’hui. (exclamations sur les bancs de l’UDF et du RPR) Cela vous fait peut-être rire messieurs de l’opposition, mais c’est un problème grave et très compliqué. (même mouvement) Nous devons aussi travailler sur les violences conjugales et, ainsi que vous l’avez rappelé, faire en sorte que le droit à l’avortement soit dans notre pays un vrai droit. Sur tous ces points nous travaillons actuellement avec le ministre de la santé. S’agissant de la parité, en faveur de laquelle le premier ministre s’est engagé, les travaux juridiques sont quasiment terminés. Quand la déléguée interministérielle sera désignée, nous pourrons, après un travail qui concerne l’ensemble du gouvernement, annoncer les premières mesures. C’est donc sur le champ immense du travail, de l’emploi et de la santé, en passant par la vie quotidienne, qu’il faudra avancer pour que les femmes de notre pays soient traitées à parité avec les hommes dans tous les domaines. Nous avons d’ailleurs demandé, dans la circulaire adressée aux préfets pour les emploi-jeunes, que la parité soit un critère à respecter. (Applaudissements de la gauche)

Paru dans ProChoix n°2 (janvier 1998)

lundi 12 janvier 1998

Entretien avec le Planning familial (Moruni Turlot)

Aujourd’hui le mot contraception ne choque plus, la pilule est entrée dans la vie de beaucoup de femmes. Mais en 1956, lors de la création de l’association la «Maternité Heureuse » qui 13 ans plus tard deviendra le Mouvement Français pour le Planning Familial,. la situation politique n’était pas la même. C’est peu de dire que le climat était hostile aux féministes à l’époque. ! Malgré de nombreuses attaques- on se souvient notamment de celle du Général (celui de « je vous ai compris») qui « ne voulait pas laisser la France à la bagatelle »- 1967 marque leur première victoire : l’autorisation de maîtriser sa fécondité est enfin légalisée. Après quoi, il faudra tout de même attendre 1975 pour voir un gouvernement légifèrer sur le droit à l’avortement. 30 ans, 20 ans plus tard, j’ai eu envie de rencontrer ces féministes, celles qui avaient contribué à mettre en place des lois aussi révolutionnaires ! J’étais surtout curieuse de savoir comment une association féministe pouvait garder son caractère militant tout en étant l’interlocuteur de la classe politique… Et dans quelles mesures le MFPF se retrouvait dans le mouvement Prochoix. Catherine Béranger et Jocelyne Girault-Laurence du planning familial ont bien voulu éclairer ma lanterne. Qu’elles en soient ici remerciées.

Où en est-on? En France c’est un pas en avant trois pas en arrière. Même si des lois sont votées, l’ignorance et les tabous font que les mentalités mettent un temps considérable à intégrer les progrès faits en matière de droit de choisir. 25 ans après sa légalisation, l’avortement déchaîne toujours les passions. On assiste depuis quelques années à un insidieux retour des valeurs familiales de la part des Provie comme de celle de nos partenaires. Comme si on ne pouvait pas concevoir une « contraception heureuse » sans que l’on sous-entende que c’est pour un temps. Malgré la libération sexuelle des années 70, les devoirs des femmes n’ont guère changé. Il est plus qu’urgent de considérer l’avortement pour ce qu’il est : un acte d’insoumission à la maternité obligatoire.

L’IVG au planning On refuse de dramatiser l’avortement . On ne s’autorise à aucun moment à juger les femmes. On évite par exemple de parler de « désir d’enfant ». Les consultations se font en groupe de 10, ce qui permet de parler plus librement, sans culpabilité. Le MFPF écoute et accueille des centaines de femmes par an. Que ce soit pour des consultations médicales, des conseils sur la pilule du lendemain ou pour rencontrer des conseillères conjugales. Les femmes du planning restent vigilantes car le retour de bâton ne se fait pas attendre.

Le préservatif L’arrivée du Sida change le comportement sexuel et les pratiques des jeunes femmes. L’utilisation de la capote remplace l’indétronable pilule. Mais il est bon de le dire que ce n‘est pas un contraceptif et qu’elle ne protège pas d’une éventuelle grossesse non désirée. Souvent l’utilisation du préservatif n’est pratiquée que pour un temps. Quand on est sûr que c’est « pour toute la vie », on s’en passe.

Les jeunes Les jeunes filles reviennent à des méthodes dites naturelles (Ogino, température) et ne reprennent pas leur pilule. Ces jeunes femmes isolées ne savent pas où s’adresser . Dans les hôpitaux publics, l’attente reste très longue. La spécificité de la France fait que les délais d’autorisations à l’avortement sont plus courts. Cela crée souvent des situations précaires. L’accent est mis sur l’information des jeunes femmes. Elles organisent des discussions sur les pratiques sexuelles.

Des regrets Les militantes regrettent le manque d’audace de la part des gouvernements de droite comme de gauche. On se souvient de Bérégovoy qui en 1992 avait annulé la campagne « la contraception, pour ne penser qu’à l’amour » L’éducation nationale n’est pas en reste non plus. Depuis longtemps, elles dénoncent le programme sur la reproduction des moules dans le littoral atlantique…

Droit de choisir Le planning familial lutte pour le droit de Choisir; la maîtrise de la fécondité est l’une des avancées les plus patentes des droits des femmes . Disposer de son corps, c’est s’assurer de son indépendance. Certains refuseront cet état de fait. Mais le combat continue mes soeurs.

Moruni Turlot

Paru dans ProChoix n°2 (janvier 1998)

Xavier ‘dort’ enfin en prison ! (Caroline Fourest)

Après avoir inventé le principe des commandos anti-IVG (une idée lumineuse qu’il exporte avec le succès que l’on sait aux Etats-Unis en 1986), après avoir participé à plus de deux cent actions de ce type en France, le président de SOS-tous petits a goûté aux charmes de l’ascèse carcérale pour avoir organisé une manifestation interdite devant le centre hospitalier André Mignot au Chesnay le samedi 8 novembre. Oh ! Pas de quoi entamer une cure de repos digne de ce nom… Mais assez pour susciter l’émoi du monde provie et d’extrême droite où mister Dor a plus d’une relation. Habitué des banquets de l’Action française, membre des instances dirigeantes de l’Agrif, il est aussi, selon son propre aveu, un fidèle des infrastructures du Front national – toujours à sa disposition pour le soutenir dans sa propagande… Aussi à peine a-t-il posé le pied en cellule que son club de fans s’est mis en ébullition.

Que d’émotions ! Bruno Gollnish, secrétaire général du FN, Bernard Anthony, président de l’Agrif, Jean-Marie Le Chevallier, député-maire de Toulon FN, Christine Boutin; députée provie UDF et ambassadrice du Vatican…. Rares sont les VIP provie à avoir manqué ce concert d’indignation. Côté associations : l’ensemble du mouvement provie, de Laissez-les-vivre-SOS futures mères au Cercle Renaissance en passant par les AFC (Associations familiales catholiques), a manifesté son soutien. Seule exception notable : la soeur ennemie et concurrente de SOS tout-petits, la Trêve de Dieu de Claire Fontana. Côté médias : Présent, le journal de l’Agrif, Monde et Vie, Mondial Vie Info, Radio Courtoisie et bien d’autres relais de la propagande nationaliste se sont fait l’écho de l’émoi général. Enfin, plus concrètement, une Coordination pour la libération du docteur Dor a aussitôt été créée et prise en main par Isabelle Dor, avocate et fille de son père. Après une conférence de presse et un meeting de protestation auprès des évêques et des députés, la coordination a appelé à manifester le 15 novembre devant la prison de Bois d’Arcy où Xavier Dor était détenu. Une manifestation au cours de laquelle plusieurs élus du Front national tels que Myriam Backeroot, Jacques Lecaillon ou Olivier Pichon n’ont pas manqué d’y tenir le haut du pavé… Dans le même temps, des milliers de tracts, sortis des rotatives de l’imprimeur attitré du FN, se sont mis à recouvrir les murs de Paris. Mais la colle n’a pas eu le temps de sécher que Xavier Dor respirait à nouveau l’air libre de l’État Républicain ennemi. Après onze jours de détention, il est libéré provisoirement le 19 novembre. Juste à temps pour entendre le jugement de la cour d’appel de Rennes-qui vient d’annuler les dix mois de prison avec sursis dont il avait écopé en correctionnelle pour avoir occupé le CHR d’orthogénie de la ville- et assez tôt pour envisager de participer à une manifestation contre l’avortement et son emprisonnement prévu pour le 22 novembre. Egalement interdite, cette manifestation débouche sur l’interpellation de 97 provie réunis en fanfare devant le parvis de Notre-Dame de Paris… Manque de chance, Xavier Dor avait finalement décidé de rester chez lui ce jour-là… Qu’importe, ce n’est que partie remise. Le 9 décembre, il comparaît aux côtés de ses compagnons de route, Ludovic Eymerie et Rolande Birgy, devant la sixième chambre du tribunal de Versailles, pour un autre délit d’entrave à l’IVG survenu le 7 juin dernier devant le centre hospitalier du Chesnay. Cette fois, il n’est pas le seul à jouir de l’impunité puisque le procureur de la République décide de ne pas poursuivre Rolande Birgy en raison de son grand âge. Passons. Alors qu’il s’apprête enfin à passer son plus long séjour à l’ombre, Dr Dor nous réserve un rebondissement de dernière minute… Convoqué le 11 décembre à se présenter au centre de semi-liberté de Villejuif pour une durée d’un mois, celui que ses admirateurs ont baptisé «Docteur Courage»-mais qu’il aurait peut-être été plus juste d’appeler «Docteur Courage Fuyons» – loupe une fois de plus l’entrée de la prison pour se réfugier à la nonciature où il demande l’Asile politique au Vatican…

Le commando à la nonciature vu par Présent Journal des catholiques traditionalistes par excellence, Présent, n’a jamais perdu une occasion de soutenir le Docteur Dor (par ailleurs pigiste occasionnel) dans sa croisade. Depuis le début de ses ennuis carcéraux, il a fait la majorité des unes du quotidien d’extrême droite. Mais le meilleur moment reste le récit de son commando à la nonciature en compagnie d’une des plumes les plus affûtées du journal, Jeanne Smith. Extraits : « Discret rendez-vous devant un café de Paris, 14h 15. Le Dr Dor, à la veille de sa première incarcération en vertu de la loi Neiertz qui protège les avortements en France, a décidé de jouer son va-tout. Nous ne le saurons un journaliste d’agence et moi-même, qu’en nous engouffrant dans un taxi à ses côtés : il va demander l’asile à la nonciature (…) Mercredi donc, 14h30, le Dr Dor, fidèle à lui même, nous demande de participer à une courte prière. Puis il prend son sac-il a tout prévu, pyjama, linge, brosse à dents, une liasse de papier blanc pour travailler…-et sonne à la grille du petit hôtel particulier qui abrite la légation vaticane : « Je voudrais remettre un pli au secrétaire du Nonce… » C’est le moment crucial. La grille s’ouvre. Nous nous précipitons dans le jardinet qui déjà, bénéficie du privilège d’extra-territorialité. « C’est miraculeux, merci Notre Dame ! » s’écrie le docteur Dor. Miraculeux, en effet, car le pauvre gardien qui a fait entrer notre petit groupe sait qu’il sera bien difficile de nous faire repartir, et il craint déjà les remontrances de ses patrons : « Il faut prendre rendez-vous par téléphone. La secrétaire du Nonce ne peut pas vous recevoir comme ça. Il faut que vous alliez l’appeler, vous reviendrez après (…) » Mais le Dr Dor préfère rester dans le jardinet, appeler par portable « Je suis le dr Dor… Catholique pratiquant… Non, je ne peux pas être là demain… À neuf heures, vous savez je dois être en prison ! » (Présent du 12/12/97) En fait, il n’y sera que bien plus tard, après plusieurs heures de palabres avec le staff de la nonciature dont Mgr Fana. Nonce auprès de l’UNESCO, Mgr Fana reconnaît bien une «admiration » personnelle pour le combat du Dr Dor, mais il ne peut prendre la responsabilité de le dérober aux lois de son pays. Une nuance dont l’hypocrisie n’échappe pas à Xavier Dor : « Vous savez (…) je condamne seulement l’avortement, et je m’y oppose comme le Saint Père le demande». Car aujourd’hui comme les autres jours, le Vatican n’a pas besoin d’accorder l’Asile politique au Docteur Dor pour commettre une ingérence vis-à-vis des lois françaises et des femmes de ce pays… Mais il trouve tout de même plus sage de ne pas faire de vagues.

Pourquoi s’est-il constitué prisonnier ? Le lendemain, toujours dans Présent, et profitant de sa permission journalière, Xavier Dor nous raconte comment, devant « l’hostilité croissante des conseillers de la nonciature » il a décidé de se constituer prisonnier : « J’ai réalisé que j’étais vraiment persona non grata comme je l’étais depuis mon arrivée. La veille, on m’avait proposé une voiture pour me rendre à la prison. Puis, bizarrement, je n’ai plus vu personne. Je me suis alors senti abandonné de Dieu et des hommes. (…) Je sentais que l’on voulait me mettre dehors, mais je ne savais même pas comment sortir : le gardien était absent et, comme j’ai beaucoup de difficulté pour voir, je ne savais même pas où se trouvait le bouton pour ouvrir la porte. C’est alors que le gardien est revenu. (…) J’ai dit au gardien : « Je ne vois personne. Dites-leur que je leur pardonne ». J’ai pris un taxi. Ce dont je suis sûr aujourd’hui, c’est que l’on est mieux accueilli dans les geôles de la République que dans la nonciature». Quel mélo! De quoi arracher une larme au moindre catho pas encore intégriste ! Car ne nous y trompons pas… Sous l’apparence d’un vieux fou persécuté, le martyr le plus politicien de l’extrême droite provie a offert à l’Eglise conciliaire l’un des plus beaux cadeaux empoisonnés dont pouvaient rêver ses amis lefebvristes ! Un argument qu’ils ne manqueront pas d’exploiter pour convaincre de la lâcheté de l’Eglise non intégriste… En attendant, Xavier Dor a bien raison de se sentir bien accueilli dans les « geôles de la République », puisqu’avec des centaines d’actions commandos à son actif, il n’y séjournera qu’à temps partiel jusqu’à la fin janvier. Pas de quoi lui passer le goût de partir à l’assaut des cliniques… Dès le 10 janvier, il reprenait gaiement le chemin de la clinique Ordener…

Caroline Fourest

Paru dans ProChoix n°2 (janvier 1998)

lundi 12 janvier 1998

Le Ver provie dans le fruit de la médecine (Caroline Fourest, Fiammetta Venner)

Ils étaient officiellement 10 031 médecins sur 68 778 à être contre l’avortement au moment des débats sur la loi Veil, ils seraient aujourd’hui 17000 en France à faire partie de la Fédération mondiale des médecins pour le respect de la vie…. sur une population globale de 189 252 pratiquants. Si l’on tient compte de la formidable augmentation du nombre des medecins en France, il n’y aurait donc plus que 9% des médecins hostiles à l’IVG contre 16% il y a vingt ans. D’un côté, la mise en application de la loi Veil a convaincu une bonne partie d’indécis, aujourd’hui soulagés de ne plus récupérer des patientes pissant le sang parce que charcutées à l’aiguille à tricoter. De l’autre, il existe toujours un noyau dur de fanatiques sur qui la mort de quelques milliers de femmes n’a jamais fait ni chaud ni froid. Car ceux là ne voient en rien l’avortement comme un problème médical mais politique. Ceux là ne sont pas de simples anti-IVG, ils sont Provie. La non remise en question de l’ordre naturel guide l’ensemble de leur pratique médicale. Et il ne fait pas bon aller consulter chez eux par hasard… L’histoire du mouvement anti-IVG/provie est aussi intimement liée aux parcours militants de certains médecins que le mouvement pro-IVG/prochoix. Là où des praticiens prochoix se sont élevés contre l’hypocrisie d’une législation qui, en ouvrant la voie aux avortements clandestins, tuait alors 370 femmes par an; d’autres s’acharnaient à n’y voir que jérémiades et une tentative diabolique de remettre en cause l’ordre naturel.

1. à l’origine du mouvement anti-IVG

Dès les années 60, le Vatican cherche à s’appuyer sur des médecins pour opposer un front moralisant aux couples qui désirent planifier leurs naissances. En 1961 et à l’initiative du père jésuite Stanislas de Lestapis, une poignée de médecins catholiques- parmi lesquels Maurice Abiven, Charles Rendu et Jérôme Lejeune- créent le Centre de liaison des équipes de recherches (CLER) où ils se chargeront d’enseigner des méthodes naturelles dites contraceptives aux jeunes couples ne souhaitant pas forcément avoir un enfant tous les neuf mois. Et qu’importe si la fameuse méthode thermique est en réalité plus capable d’engrosser par accident que le contraire… Ce réseau de médecins, bâti au sein du CLER, sera la première marche décisive vers un mouvement pour la vie hostile à l’avortement. Dès 1971, la plupart de ses membres sont appelés au chevet de la toute première association officiellement anti-IVG, Laissez-les-vivre. À cette époque, les provie pensent que si des médecins refusent en bloc de ne pas pratiquer l’avortement, il sera impossible de le légaliser. La même année, de jeunes médecins se regroupent pour tenter de riposter face à la campagne de presse qui entoure le procès de Bobigny et fondent l’Association des médecins respectant la vie (AMRV). Dès l’origine, l’AMRV n’est pas une simple association anti-IVG mais provie. Dans ses statuts, l’association prend bien soin d’indiquer qu’elle s’oppose tout autant aux agressions contre l’embryon qu’à l’euthanasie. Dès lors, elle participe à plusieurs manifestations et pétitions importantes, dont la plupart sont initiées par le professeur Jérôme Lejeune. Le 3 février 1973, quand il s’agit de porter plainte contre les 331 médecins qui ont signé un Manifeste reconnaissant qu’ils ont eux-mêmes pratiqué des avortements, c’est encore un médecin, un rhumatologue de Charleville-Mézières, qui porte plainte contre X pour provocation publique à l’avortement. Enfin, en juin 1974, 10 031 médecins signent une Déclaration des médecins de France destinée à soutenir que « l’avortement n’est pas l’acte d’un médecin » .

2. Aujourd’hui qui sont-ils ?

Aujourd’hui encore, vingt ans après la loi Veil, 20% des provie sont médecins. Là où les bienfaits de l’IVG légalisé ont achevé de convaincre les indécis, elle a en revanche mobilisé une arrièrre garde catholique particulièrement tenace. Faut-il croire la Fédération mondiale des médecins favorables à la vie quand elle revendique dans un courrier interne quelque 17000 membres en France ? Probablement. D’autant que cette fédération ne comprend sûrement pas l’ensemble des praticiens décidés à s’opposer d’une façon ou d’une autre à ce qu’ils considèrent contre-nature. De notre côté, en tout cas, nous avons répertorié au moins 3000 médecins ayant clairement pris position contre le droit de choisir. Si, certains, comme le docteur Xavier Dor, vont jusqu’à mener des actions commandos, d’autres s’investissent dans le lobbying provie, d’autres enfin se contentent d’abuser du pouvoir que leur confère leur profession… Mais quelque soit leur moyen d’action, il faut bien comprendre que nous ne sommes plus seulement en face de médecins réticents vis-à-vis de l’avortement mais de militants « provie ». Pour beaucoup, la Bible a plus droit de cité que le Vidal. Leur opposition à l’avortement n’est qu’un révélateur… Au-delà de la question de l’IVG, les provie (sans s) sont partisans de la Vie comme émanation sacrée, divine. Ce qu’ils refusent par-dessus tout, c’est que l’homme puisse remettre en cause l’ordre naturel, qu’il puisse maîtriser la nature, cette oeuvre de Dieu. Cette sacralisation de la vie les conduit à être hostiles non seulement à l’IVG mais à tout ce qu’ils jugent contre-nature : PMA (procréation médicalement assistée), homosexualité, euthanasie ou même péridurale. Cette arme diabolique qui empêche les femmes d’ « enfanter dans la douleur » ! C’est pourquoi, il nous semble si réducteur de les appeler anti-IVG alors même que leur adhésion à la Vie à n’importe quel prix leur fait remettre en cause bien d’autres aspects de la société et de la médecine.

3. Quels sont leurs moyens d’action ?

Ne nous y trompons pas, la plupart des médecins provie sont assez réalistes pour savoir que la loi de Veil a peu de chances d’être abrogée. En revanche, rien ne leur interdit de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour que les femmes avortent dans les plus mauvaises conditions possibles, qu’elles souffrent comme l’exige la nature…

• L’endoctrinement et le lobbying

L’idéologie provie regorge de théories fumeuses que ses militants se chargent de diffuser dans les aumôneries mais aussi et surtout dans les hôpitaux et les universités. Les étudiants en médecine constituant le premier public à convertir. À titre d’exemple, le Dr Vignes de l’association Laissez-les-vivre a fait un jour distribuer dans les écoles une Lettre à une élève-infirmière pleine de précieuses recommandations. Partant du principe que « la vie commence à la conception » ou encore que «la liberté de la femme, c’est d’assumer son devoir, de porter l’enfant », Vignes insiste sur le rôle de l’infirmière qui est de tout faire pour que l’entretien pré-IVG prévu par la loi Veil soit dissuasif. D’ailleurs, si on lui propose un poste dans un CIVG et même si cela gêne sa conscience, il faut malgré tout qu’elle l’accepte, pour ne pas laisser le terrain hospitalier devenir le « monopole des consciences laxistes ». Cela dit, si la chose lui paraît au-dessus de ses forces, elle peut toujours se déclarer objectrice de conscience et adhérer à l’Union syndicale des professions de santé respectant la vie humaine qui se chargera de lui fournir une aide syndicale et judiciaire en cas de problème avec ses employeurs ». C’est à travers ce genre de courrier que des rumeurs persistantes se propagent et sont mises en application à la faveur du premier médecin ou infirmière complice venu. L’une d’elles consiste à dire qu’il est nécessaire que les femmes souffrent au moment d’avorter pour qu’elles n’aient pas envie de récidiver. À l’inverse, toute une théorie tend à faire croire que le foetus souffre pendant l’avortement. C’est pourquoi l’on conseille aux jeunes étudiants en médecine de proposer une piqûre intrafoetale à la patiente pour éviter que Lui ne souffre. Ce qui a, vous l’imaginez, un effet des plus rassurants… Aux États-Unis, afin de se concilier les bonnes grâces des prolife, de ne pas subir leurs commandos, plusieurs cliniques ont non seulement accepté de faire cette piqûre mais elles pratiquent désormais l’IVG sans anesthésie pour les femmes. En France, déjà, certains Centres d’interruption volontaire de grossesse (CIVG) ont pris les devants. Par exemple à la Roche-sur-Yon où l’anesthésie est systématiquement refusée aux patientes. En France également, les provie soutiennent la thèse selon laquelle il y aurait un nombre croissant de dépressions chez les femmes ayant avorté. Une jolie légende de syndrome post-avortement qui n’avait rien de réel jusqu’au début des années 90. Date à laquelle l’intrusion de militants anti-IVG dans les cliniques, leurs insultes et le simple risque de tomber sur l’un d’entre eux à effectivement considérablement augmenté le stress des patientes…

• Les commandos

À l’image du célèbre docteur Dor, les médecins les plus militants n’hésitent pas à participer à des actions commandos. Parfois, ils y sont même invités par leurs confrères ou consoeurs. En février 1995 de nombreux médecins de la région lyonnaise recevaient ainsi une lettre du docteur Valérie Dubreuil-Foulquier : « L’avortement se produit par morcellement du foetus vivant dans l’utérus de sa mère. L’échographie nous permet de voir, en direct, un avortement : le foetus essaie d’éviter la sonde qui le démembre, il se réfugie au fond de l’utérus et…n’échappe pas ». Après cette délicieuse entrée en matière dont l’inspiration ne vient ni plus ni moins du Cri silencieux, un film de propagande, le lecteur est convié à s’associer aux actions commandos.

• Les pétitions

Dans un autre style, certains acceptent plus facilement de se compromettre à l’occasion d’une pétition. L’une de celles a avoir rassembler le plus de signatures s’est faite-sans surprise-au moment des débats sur la bioéthique à l’assemblée nationale. Le 20 avril 1994, une page de publicité du Monde est louée sous le nom d’ « Attestation des défenseurs de la vie ». Le texte évoquant le sort des embryons congelés, la destruction des embryons surnuméraires, dénonçant l’euthanasie et exigeant que la nation proclame «devant la loi que tout être humain est une personne, de sa conception à sa mort » recueille la signature de deux mille cinq cents praticiens dont plusieurs sont officiellement proches des anti-IVG : Lucien Israël, Jérôme Lejeune ou Emmanuel Sapin…

• La captation et l’orientation

Relais stratégique, les médecins médecins provie profitent de ce qu’une patiente lui demande conseil au moment où elle apprend sa grossesse pour l’orienter vers des associations anti-IVG. En cela, ils constituent le premier maillon d’un réseau de captation de femmes désireuses d’avorter particulièrement inquiétant. Sous couvert de rendre service, d’offrir des layettes ou une aide matérielle, des associations provies type SOS futures-mères de Laissez-les-Vivre, Grossesse secours ou Vie et liberté distillent habilement leur propagande… Pour peu qu’ils aient à faire à des femmes marginalisées, sans papiers ou à la recherche d’un logement, certaines parviennent à les convaincre de faire adopter leur enfant plutôt que d’avorter. Après quoi, ils les recommandent à des maisons d’accueil traditionalistes ou charismatiques de leur connaissance. Mère de miséricorde, Tom Pouce, Magnificat… À titre indicatif, la communauté charismatique de l’Emmanuel dit s’occuper de 10 000 accouchements sous X par an… Ce qui est sûr, c’est que beaucoup trop de femmes passent entre leurs mains…

• Les commandos de persuasion

En toute logique, les médecins ou infirmières provie profitent de leur position pour dissuader directement leurs patientes d’avorter. En cas d’échec, il leur reste la possibilité de faire poiroter leur proie à huis clos dans une salle d’attente et d’appeler en renfort des militants anti-IVG. Plusieurs femmes ont été ces dernières années, victimes de cette nouvelle forme de commando, fait avec la complicité de leur médecin et que nous appelons des commandos de persuasion. Enfermées plusieurs heures dans une salle d’attente le jour de leur IVG, elles se sont retrouvées aux prises avec un bataillon de militants provie chantant, priant et s’obstinant à la dissuader d’avorter ! Il est aujourd’hui très difficile d’obtenir le témoignage de ces victimes. Traumatisées, beaucoup d’entre elles préfèrent oublier. Mais il ne semble pas s’agir de cas isolés…

• La sadisation

Lorsqu’ils ne sont pas intervenus à temps pour dissuader leurs patientes d’avorter, les médecins provie n’ont pas encore dit leur dernier mot… Leur dernier va-tout consiste à pratiquer eux mêmes l’IVG dans les conditions les plus odieuses qu’il soit. Ainsi tel médecin est connu pour ne jamais faire d’anesthésie…telle femme se souvient d’avoir été forcée d’avorter dans la même pièce qu’une femme enceinte… telle autre en face de l’ascenseur de l’hôpital ! Enfin, il ne faudrait pas croire que ce genre d’histoire n’arrive qu’aux autres. Si l’on tient compte du simple chiffre avancé par le Fédération mondiale des médecins pour le respect de la vie, il existe tout de même 9 chances sur 100 de croiser un jour un médecin provie. Un risque considérablement accru par l’ignorance des organismes sociaux comme le Ministère de la santé qui n’hésite pas à recommander SOS Futures-mères ou le CLER dans une de ses brochures nationales ! Et ça ne risque pas de s’arranger quand on sait que Jacques Chirac fait partie du comité d’honneur des Amis du professeur Lejeune…

Caroline Fourest & Fiammetta Venner

Paru dans ProChoix n°2 (janvier 1998)12