Choisir jusqu’à sa mort (Odile Dhavernas)

Mettre sa vie sous le signe de la responsabilité, de l’autonomie personnelle. Du choix, donc.

C’était bien ce que nous voulions lorsque nous réclamions la liberté de la contraception et de l’avortement. Disposer de notre propre corps, donner ou non naissance à un enfant, décider d’un mode de vie faisant sa part à la famille, aux responsabilités éducatives, ou l’excluant. Bref, maîtriser et diriger notre existence, en fonction de nos préférences, de nos aptitudes, de nos désirs.

C’est encore ce que veulent les personnes qui refusent d’accepter, pour elles-mêmes, la perspective d’une fin de vie qui serait marquée par des souffrances intolérables, le sentiment d’une déchéance liée à l’infirmité, à la dépendance, et qui revendiquent l’instauration du droit à l’euthanasie volontaire. Elles pourraient ainsi, le jour venu, si elles le demandent expressément et lucidement, obtenir l’aide à mourir de façon douce et paisible qu’aucun médecin, aujourd’hui, n’est en droit de leur procurer.

Je veux pouvoir refuser une agonie abominable, interminable, subie dans l’horreur, pour moi et pour mes proches. Je veux pouvoir dire : stop, on arrête tout, si mon existence n’est plus pour moi qu’un fardeau. Et pourquoi me l’interdit-on? Là encore, c’est mon corps, c’est mon choix. Libre aux autres de penser et de mourir autrement, sous assistance respiratoire, perfusions en tout genre ou au terme d’un long coma; mais si comme le dit la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, voilà une grande liberté qui mérite d’être reconnue et conquise. Avec l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), c’est ce que des milliers d’hommes et de femmes demandent, et obtiendront car tous les sondages montrent que la grande majorité des Français le souhaite. Alors, pourquoi la timidité à ce sujet, de la classe politique?

Une proposition de loi est déposée au Sénat : faisons-la voter.

Odile Dhavernas, Membre de l’ADMD,

103 rue Lafayette, 75010 Paris

mercredi 12 novembre 1997

Contre l’ordre moral… tout l’ordre moral (Nicole Sirejean)

Tous les défenseurs des droits de la personne savent que le Front national est un parti raciste, antisémite et xénophobe. Sur ces terrains, la frontière est assez bien tracée entre lui et les autres forces politiques du pays. Mais combien sont-ils, ceux qui prennent aussi en compte dans leur lutte contre l’extrême droite son sexisme, avec la remise en cause de droits si difficilement acquis par les femmes, ou son homophobie?

Seulement voilà ! Prenons l’homosexualité, par exemple! Pourchassée par les lois du régime nazi dès 1935, elle est encore aujourd’hui l’exclusion la mieux partagée par l’ensemble de la société car elle est victime de rejets ou de blocages à débusquer y compris chez d’authentiques démocrates. Le FN le sait et en profite. C’est en quelque sorte le maillon faible de la résistance à la remontée de l’ordre moral. Or, il devient urgent que les mentalités changent.

La sauvegarde de la démocratie dépend d’une forte solidarité entre tous les exclus désignés par le FN sans exception. Alors, n’excluons pas à notre tour et ne choisissons pas parmi les victimes potentielles du fascisme de n’en défendre que certaines. Toutes les personnes discriminées et pourchassées par le fascisme doivent jouir du même respect de leurs droits, de leur identité, de leur choix de vie. L’extrême droite sait exploiter la peur de chacun face à la différence de l’autre. C’est donc d’abord sur nos esprits qu’il ne faut pas lui laisser prendre le pouvoir, même si cela doit remettre en question certains fonctionnements de notre société patriarcale ou certains héritages de notre culture judéo-chrétienne. Une urgence de solidarité s’impose tout particulièrement dans notre belle Provence où les attaques contre l’homosexualité se multiplient. Trois exemples récents :

• En 1996, Colette Charlier, professeure de philosophie, diffamée par une lettre sur son lieu de travail, gagne un premier procès contre son auteur, un parent d’élève, militant du FN. Elle reçoit alors une seconde lettre, anonyme, au texte ordurier et menaçant, violemment sexiste, homophobe et antisémite, revendiquée par des amis du condamné. Elle a déposé une deuxième plainte et nous sommes huit associations marseillaises à nous être portées partie civile à ses côtés (Centre évolutif Lilith, Codi, Ldh, Licra, Mrap, Planning familial, Sos Racisme, Snes 13).

• Au printemps 1997, Olivier V., un jeune enseignant homosexuel d’un lycée de Marignane est menacé dans sa carrière par des dénonciations écrites auprès du Rectorat signées : « des parents d’élève de Marignane »… Une campagne de pétitions de soutien a été lancée. • En juillet 1997, Régine Juin, directrice du cinéma « Les Etoiles » à Vitrolles, est licenciée pour avoir refusé de déprogrammer une série de films sur le sida et sur l’homosexualité. Raison : refus d’obéissance ! Elle a assigné son employeur, la mairie, devant le tribunal des Prud’hommes. L’affaire a été reportée au mois de mars 1998. Elle aura aussi besoin d’un large soutien.

Alors, sachant que ce qui n’est pas nommé n’existe pas, la mention de l’homophobie ne doit plus être omise quand nous dénonçons les atteintes aux libertés et aux droits fondamentaux de l’être humain par le FN. Un mouvement prochoix n’est possible qu’à ce prix.

Nicole Sirejean, Centre Evolutif Lilith,

18 cours Pierre Puget 13006 Marseille Tel : 04 91 55 08 61

Paru dans ProChoix n°1 (décembre 1997)

Choix et Morale (Christian Terras)

Entrer dans une perspective prochoix suppose de remettre en en mouvement la «morale», pour qu’elle réponde à sa finalité, celle d’une fraternité sans jugement. Tant de conduites morales, véhiculées par nos sociétés dites chrétiennes, en matière de sexualité mais aussi en bien d’autres domaines, sont des conduites toutes faites, prêtes à porter, et insuffisamment inventoriées et critiquées dans une expérience exigeante de foi et d’amour.

Extrapolons, pour sortir du seul domaine de la sexualité : la nourriture, la conception de la santé, l’usage de l’argent, la consommation, la relation en circuit social plus ou moins fermé etc., combien de domaines où nous nous contentons souvent de comportements traditionnels, sans trop d’inventaire, alors que l’urgence d’une fraternité sans frontières frappe à nos portes, pour un grand réaménagement amoureux. En écrivant ces mots, j’ai dans le collimateur mon propre mode de vie, non celui de quelque lecteur. À chacun sa lumière, et à chacun son courage et son amour, ni plus ni moins.

Ce que je voudrais seulement indiquer ici est une évidence : pas de rencontre un peu profonde et chaleureuse avec « l’étranger » (par le mode de vie, la classe sociale, etc.) qui ne passe par le bouleversement de quelques-uns de nos « acquis socioculturels » dont la validité apparente doit plus à leur pétrification par l’habitude et le qu’en dira-t’on, qu’à l’amour de la vie et des autres qui est censé les nourrir. Ainsi en va-t-il de la sexualité. La vivre le plus amoureusement possible (nul n’est complètement maître de son destin), est sans doute la condition première pour accepter que l’amour, chez autrui, prenne des chemins un peu différents.

Du point de vue chrétien qui est le mien à Golias, quelle Église vivante, aujourd’hui, pourrait se dispenser de ce discernement jamais arrêté, toujours à poursuivre? Entre «sagesse nouvelle » et « sagesse ancienne».

Christian Terras, rédacteur en chef de Golias,

BP 3045, Villeurbanne Cedex. Tel : 04 78 03 87 47.

Paru dans ProChoix n°1

mercredi 12 novembre 1997

Un mouvement « prochoix » ? Pourquoi et sur quelles bases ? (Claudie Lesselier)

Les mouvements anti-IVG qui s’auto-désignent « pour la vie » animent en fait un combat pour le maintien ou la restauration d’un ordre naturel et divin qui est à l’opposé de tout projet d’émancipation et de libération. Pourtant les mouvements provie ainsi que le FN ou la droite extrême ne prétendent-ils pas défendre une liberté de choix : « choix » de rester au foyer pour les femmes, « choix » de l’école privée pour les parents etc… Ils combinent dans un discours à géométrie variable « libéralisme » (au sens du libéralisme économique) et encadrée dans les structures dites « naturelles », comme la famille, et les appartenances, dites aussi naturelles (ethniques, nationales…), repliée sur elle même contre la menace du « mondialisme », nourrie de l’héritage du corporatisme et poursuivant la recherche de cette fameuse « troisième voie » nationale et sociale qui fût celle du fascisme. Le néo-libéralisme, doctrine et pratique du tout-marché, du tout marchandise, du « laisser faire-laisser passer » et de la dérégulation peut quand à lui mettre en avant le thème du choix, de la liberté, de l’individu et de ses droits. Mais est-ce dans le même sens que nous ?

Pour les libéraux, la liberté et le choix s’inscrivent dans le cadre d’une société inégalitaire fondée sur la recherche du profit et le pouvoir du plus fort et du plus riche, et le droit de l’individu s’exerce contre la solidarité et l’intérêt collectif. Cette rhétorique, de plus, ne va pas jusqu’au bout de sa logique (que font-ils contre la norme hétérosexuelle ? Que font-ils pour combattre les rapports de dépendance dans la sphère dite privée ?), en tous cas en Europe où n’existe guère un courant semblable à celui des « libertariens » américains. Et même si c’était le cas, cela ne changerait rien à la question de fond. Pour nous la liberté de choix implique l’égalité des droits et des chances, l’autonomie de l’individu, et cela dans une égale participation à la construction et à l’évolution de la société. La liberté est une aspiration revivifiée après les dérives du courant autoritaire du socialisme : le libéralisme n’est pas la liberté, tout au plus celle de la minorité privilégiée, celle des maîtres. Autour du combat pour le choix, dans tous les domaines et avec les moyens de choisir, dans l’égalité, contre les prétendues contraintes « naturelles » (qui sont en fait la construction sociale et culturelle de la domination). Il est possible, mais à condition de bien se démarquer du libéralisme, de contribuer à construire une alternative à la société oppressive, inégalitaire, injuste que nous connaissons.

Claudie Lesselier, co-éditrice avec Fiammetta Venner de L’extrême droite et les femmes (Golias).

mercredi 12 novembre 1997

Etre « prochoix » face aux « provie » (Caroline Fourest)

Au croisement de deux conceptions radicalement différentes de la vie, le droit à l’IVG a mis en présence deux mondes qui s’observent et s’affrontent. Ceux que nous considérons aujourd’hui encore comme des anti-IVG, revendiquent le terme de provie. Refusant à juste titre de passer à l’inverse pour des pro-mort, nous leur avons refusé cette appellation pourtant très révélatrice des leurs véritables ambitions… Farouchement attachés à l’idée d’un ordre naturel, divin et/ou biologique, l’avortement apparaît avant tout aux yeux des provie comme un sacrilège, une profanation de cet ordre intangible et sacré. Un ordre naturel qui ne peut bien évidemment se faire qu’au détriment des femmes appropriées en vue de la reproduction et où la maîtrise de la fécondité, pilier majeur de la libération des femmes, déconstruit l’image de LA femme naturellement soumise et destinée à subir son horlogerie biologique ! Enfin, l’IVG est une façon révolutionnaire de penser la nature au service de l’humain et non pas le contraire.

La nature copyrightée par le Vatican ?

Cette conception naturaliste où les femmes sont obligatoirement complémentaires des hommes en vue de la reproduction n’est pas nouvelle… Ce que l’on sait moins c’est que poussée à son terme, la doctrine provie tend à considérer que tout ce qui peut être un obstacle à la complémentarité mâle-femelle et à la procréation est un « attentat à la Vie ». La contraception et l’avortement bien sûr, mais aussi le simple flirt, l’usage du préservatif, la relation hétérosexuelle non procréatrice ou pire la relation homosexuelle ! Une liste de « crimes » auxquels il faut ajouter tout ce qui remet en cause l’ordre naturel du « tu enfanteras » à « tu mourras » dans la douleur : de la péridurale au droit de mourir dans la dignité en passant par les procréations médicalement assistées… Bien sûr, comme dans tous les camps, plusieurs profils se croisent au sein du camp provie : certains ne sont pas forcément hostiles à toutes les évolutions de la Science, d’autres ? attachés à la pureté de la race ? n’ont même rien contre l’avortement des noires ! Certains, en revanche, ne sont pas fondamentalement racistes mais profondément natalistes et donc favorables à une appropriation de toutes les femmes, noires ou blanches, en vue du repeuplement de la planète ! d’autres comme le Pr Joyeux à Paris sont connus pour aimer la Vie au point de la prolonger en dehors de toute raison… enlevant un à un les organes d’un corps maintenu artificiellement en vie jusqu’à faire de lui un cadavre vivant! Mais tous ont en commun ce double attachement à l’ordre et à la nature qui les inscrivent de plein pied à droite et, en fonction de leur ferveur, à droite de la droite.

Le Choix de vies face à la Vie à tout prix La prise en compte de cette donne politique faisant des provie des représentants extrémistes d’un ordre naturel, biologique et divin, comporte un intérêt stratégique majeur pour nous qui prétendons leur faire barrage. Car dans le cas d’une opposition aux provie qui sommes nous ? Non pas les représentants du « désordre moral », comme ils voudraient le faire croire, mais peut-être l’incarnation d’une culture du Choix, basée sur une primauté des liens consentis sur les liens naturels, tendant plus vers l’égalité que vers la hiérarchie ordonnée et où l’indifférenciation des sexes, la transgression des genres est une étape fondamentale vers l’égalité. Plus qu’un débat en soi, les passions autour du droit à l’IVG révèlent une tension existant entre deux mondes, deux mouvements aux dynamiques opposées, deux pelotons partis courir, l’un à contre-courant et l’autre en avant de l’Histoire, avec pour objectif d’imposer son projet de société : la Vie à tout prix et par-dessus tout ou le Choix de vie et si possible celui d’une vie meilleure…

L’affrontement anti/pro-IVG n’est d’ores et déjà plus !

Dans le rapport de force qui nous oppose aux provie toutes catégories, il serait illusoire de croire qu’un simple mouvement pro-IVG fera durablement le poids. Au risque d’être dépassés par les événements, il est urgent que nous réalisions que l’affrontement anti/pro-IVG n’est d’ores et déjà plus ! Les provie attaquent… reste à savoir quels prochoix ils trouveront en face ? Pour tirer de toutes nos forces à l’autre bout de la corde, il faudra bien opposer à ces provie, un mouvement pro-choix à la hauteur, tout aussi progressiste qu’ils sont réactionnaires ! Et peut-être est-ce là le plus difficile. Au-delà de notre combat contre les provie, nous devons apprendre à considérer nos luttes ? qu’elles soient antiracistes, antisexistes, antihomopho-bes, pour l’environnement, pour les sans-papiers ? non plus comme devant primer les unes sur les autres, mais comme étant parties prenantes d’un même élan vers le Choix d’une vie meilleure. Un Choix qui s’étend à tous les choix de toutes les vies : le choix de l’avortement et de la contraception bien sûr, mais aussi le choix de sa sexualité, le choix de vivre dans un environnement agréable, le choix de son pays, le choix sa mort…

c’est dire si, au-delà d’une simple défense de nos acquis, l’affrontement qui nous oppose aux provie nous donne l’occasion d’inventer un mouvement prochoix passionnant et qui plus est, peut-être à la source d’une nouvelle gauche : ambitieuse, écologiste, égalitaire, féministe, antiraciste, antisexiste, antihomophobe… Une gauche qui n’empiète pas sur les idées de droite pour rassurer l’électorat lepéniste, une gauche à gauche, antidote à tous les provie, à toutes les extrêmes droites. Enfin !

Caroline Fourest

mercredi 12 novembre 1997

PROCHOIX n° 1 – décembre 1997

Le Premier EDITO de ProChoix ! par Caroline Fourest

« Prochoix ! Le droit de choisir, le choix de tous les choix… Depuis dix ans que l’arrière-garde provie s’est remis en tête de menacer nos droits, ce mot désigne plus que la défense de l’avortement et de contraception. Au delà d’un simple bras de fer avec des anti-IVG, nous défendons chaque jour (parfois sans le savoir), le droit de choisir sa vie, ses vies, face à ceux qui ne rêvent que de LA Vie au singulier… »

Enquête sur les provie (Fiammetta Venner)

Au cours d’une enquête menée en janvier 1995, près de 1000 questionnaires ont été soumis au mouvement provie : soit directement lors de commandos et sittings devant les cliniques, soit en étant envoyés à des adhérents provie via leurs associations. Fin janvier 1996, 220 questionnaires étaient réceptionnés dont 203 utilisables. l’article qui suit se propose d’analyser pour la première fois dans une publication les résultats de ce travail…

Etre pro-choix face aux pro-vie (Caroline Fourest)

En France, depuis dix ans que les commandos et les groupes anti-IVG ont lancé leur offensive contre l’avortement, tout se passe comme si le bras de fer ne devait se dérouler qu’entre pro et anti-IVG. Mais sommes nous bien toujours en face d’anti-IVG ? Et si nous étions en face de provie, ne faudrait-il pas songer à constituer un mouvement prochoix à la hauteur ?…

ProChoix : à nous d’inventer la vie qui va avec !

Sans souci de représentativité, nous avons demandé à quelques prochoix d’ouvrir avec nous le débat sur la diversité, la richesse et l’élan à donner à ce mouvement en France.

  • Claudie Lesselier : « Un mouvement ‘prochoix’ : pourquoi ? Et sur quelles bases ? »
  • Christian Terras : « Choix et morale »
  • Nicole Sirejean : « Contre l’ordre moral, tout l’ordre moral »
  • Odile Dhavernas : « Choisir… jusqu’à sa mort ! »

mercredi 12 novembre 1997