Un mot de Djemila Benhabib

Cher(e)s ami(e)s

À l’été 2012, j’étais en pleine rédaction de mon troisième ouvrage Des femmes au Printemps en hommage aux femmes tunisiennes et égyptiennes paru au Québec en novembre 2012 ainsi qu’en France et en Algérie, quelques mois plus tard, sous le titre de L’Automne des femmes arabes lorsque j’appris qu’une école musulmane avait eu recours aux services d’un avocat pour m’intenter une poursuite en diffamation en raison de propos que j’avais tenus, en février 2012, à l’émission radiophonique de Benoît Dutrizac au 98,5 fm.

La journée s’annonçait chaude. Elle l’a été, en effet. Mais certainement pas pour les raisons que j’avais anticipées. Je ne sais si c’est l’atmosphère du Caire ou de Tunis qui rendait mes doigts moites. Deux villes époustouflantes que je venais de quitter après un séjour de quelques semaines. Mon cœur brûlait d’espoir. Ma tête tremblait d’inquiétude. Une brèche venait de s’ouvrir. Les murs du temple étaient désormais ébranlés! Je me mettais à rêver, encore une fois, exactement comme en 1988 à la naissance du multipartisme en Algérie. C’était, bien entendu, avant l’apparition du Front islamique du salut (FIS) et de ses armées sanguinaires. Comment rester indifférent à la brûlure des autres quand au moins une fois dans sa vie on a frôlé l’enfer?

De retour au Québec, j’étais surtout hantée par les visages lumineux de ces résistantes et résistants qui manifestaient nombreux, les mains nues, contre les escadrons de la mort salafistes et de leurs acolytes les Frères musulmans. Ici, j’étais loin de ces prêches haineux appelant à l’assassinat des démocrates jugés « trop libres » et des « maudites femmes occidentalisées », de ces mains d’hommes agrippant des bouts de chair et de cette déferlante de voiles noires déambulant dans les rues. Ici, j’étais redevenue une femme libre.

Je m’étonnais à peine d’une telle « contrariété ». Sans doute, à cet instant-là, je n’ai pas pris la mesure réelle de cette cabale juridique qui s’orchestrait contre moi. Elle me paraissait si dérisoire comparativement à ce souffle de liberté qui embrasait le monde arabe. Je crus que le temps de l’immobilisme, de la vie sèche et des âmes mortes étaient désormais dépassé. « Je veux écrire», dis-je au téléphone à un ami volant à mon secours pour me prodiguer quelques judicieux conseils. «Tu comprends? Il faut que je finisse ce livre, impérativement», insistais-je.

Poursuivre mon travail d’écriture et m’y consacrer entièrement était une promesse à laquelle je m’accrochais grâce notamment à quelques soutiens inattendus qui m’ont permis de réagir efficacement, étouffant ainsi ce sentiment d’injustice qui m’envahissait.

Car moi aussi il m’arrive quelquefois de désespérer de la démission d’une bonne partie de nos élites, de leurs omissions calculées, de leur aveuglement obstiné, de leurs silences trop nombreux, de leur lâcheté décomplexée et de leur grande complaisance face à l’islam politique. Un monde endormi dans son confort et bluffé par son indifférence est-il en meilleure posture qu’un monde rongé par la barbarie?

Mon cœur s’est remis à battre de joie. Et il battait de plus en plus fort au fur et à mesure que ma plume s’abandonnait. Les mots faisaient tant de bruit en moi. Mais ils étaient en même temps si peu de choses. Et puis Des femmes au Printemps a remporté le Prix Gérald Godin décerné par la Ville de Trois-Rivières! C’était en mai dernier. Mon nom désormais lié à celui d’un géant, quel ravissement! Quelques mois auparavant, une autre ville m’accueillait, celle de Paris, pour me décerner une autre distinction, le Prix international de la laïcité. C’était le nirvâna…version laïque, bien entendu!

Qu’ajouterais-je à tous ces événements? Sinon que je ne cherche à convaincre personne de la justesse de mes propos pour lesquels on me poursuit. Chacun est en mesure de se faire une idée sur le bien-fondé de cette cause. Une chose est sûre, jamais je n’accepterai de faire silence sur une terreur dont je connais les moindres contours, les ambitions liberticides et les stratégies diaboliques.

Cela fait plus d’un an que ça dure et ça peut durer pendant longtemps encore. Je le sais. J’avoue, certains jours ont été plus difficiles que d’autres, certaines nuits trop brèves. Quelques projets ont malheureusement été renvoyés aux calendes grecques. D’autres, par ailleurs, ont abouti parmi lesquels un séjour en Afghanistan l’été dernier qui se conclura par un récit dans ce coin du monde des ombres bleues grillagées.

Dans cette épreuve, j’ai toujours été soutenue et accompagnée d’une façon formidable par mon compagnon, Gilles Toupin, mes parents, Kety et Fewzi, ma famille, mes avocats, mes éditeurs, mes nombreux amis et tant de personnes anonymes qui me témoignent leur soutien. J’ai des raisons d’espérer! Car mon engagement me lie à chacun d’entre vous et puise ses racines dans une même communauté de destins. Celle d’une humanité en mouvement débarrassée des carcans ethniques et religieux. Ma communauté, c’est l’humanité toute entière. Ma religion, ce sont Les lumières. C’est grâce à vous toutes et tous que j’ai pu garder la tête hors de l’eau, avancer dignement, continuer coûte que coûte sur ce si long chemin.

À vous toutes et tous je dis merci du plus profond de mon être. À vous toutes et tous qui, inlassablement, jour après jour, continuer de me gratifier de votre solidarité, une solidarité qui prend mille et un visages, je dis merci encore et toujours! Surtout, soyez les témoins bruyants de votre époque!

Quant à moi, rien ni personne ne me fera taire. Je ne connais ni la peur ni la fuite. Je reste convaincue qu’il n’est pas moins urgent, aujourd’hui qu’il y a trois siècles, de lutter contre les tentations obscurantistes, la bigoterie, la censure et le fanatisme. Les défis de ce début de siècle nous imposent une lucidité et un engagement encore plus grands que par le passé. Merci encore !

À très bientôt!

Djemila B.

http://jesoutiensdjemila.org/index.php/un-mot-de-djemila-benhabib/

mercredi 6 novembre 2013

Campagne de soutien à Djemila Benhabib

L’écrivaine et journaliste Djemila Benhabib, Prix international de la laïcité 2012 et finaliste du Prix Simone de Beauvoir en 2013, est actuellement poursuivie en justice par un établissement scolaire privé portant le nom Écoles musulmanes de Montréal (EMMS) pour avoir tenu publiquement des propos soi-disant « anti-coraniques » et « diffamatoires » (comme l’atteste la poursuite) lors d’une entrevue radiophonique au 98,5 FM à l’émission de Benoit Dutrizac, le 8 février 2012, qui donnait suite à un article publié sur son blogue du Journal de Montréal mettant en cause la dite école. Comme cette école religieuse créée en 1985 offre des services en maternelle, au primaire et au secondaire, est subventionnée en partie par des deniers publics à raison de plus de 400 000 $ par année, nous considérons qu’il est de notre devoir de nous questionner sur ses agissements ainsi que sur ses méthodes d’enseignements et le contenu de ses programmes.

Étant donné les moyens disproportionnés dont dispose cette institution scolaire affiliée à La Mosquée de Montréal et au réseau Muslim community of Montreal (MCQ) au ramification internationale, il nous apparaît que l’un des objectifs visés par cette poursuite est de plonger madame Benhabib dans une situation inextricable pour l’intimider, lui faire peur, contrarier son engagement et finalement la condamner au silence. Car force est de constater que ni la station radiophonique 98,5FM, ni Le Journal de Montréal n’ont été visés par la même poursuite.

Face à cette situation que nous jugeons très préoccupante, nous nous sommes organisés en Comité de soutien à Djemila Benhabib et nous avons désigné comme porte-parole, Louise Mailloux, professeur de philosophie, auteure et militante laïque, féministe et indépendantiste bien connue. A travers cette action, nous voulons apporter à Djemila Benhabib notre soutien et lui exprimer aussi l’admiration que nous vouons à son engagement constant en faveur de la société québécoise. Nous agirons désormais en qualité de Comité de soutien de Djemila et nous nous engageons à recueillir les fonds nécessaires pour défrayer ses frais juridiques. Par ailleurs, l’organisme à but non lucratif, Génération nationale, se chargera de coordonner les dons. A préciser que les noms des donateurs ne seront pas rendu publics.

L’auteure de Ma vie à contre-Coran, vous le savez, milite depuis des années contre l’intégrisme musulman et dénonce ses stratégies d’entrisme et ses ambitions hégémoniques aussi bien dans les pays musulmans qu’en Occident. La réduire au silence serait une perte considérable pour la liberté d’expression.

Puisque le précédent crée le droit, une victoire des accusateurs aurait des conséquences très graves pour l’avenir de notre société, en particulier en ce qui concerne la liberté de critiquer les religions. Ces enjeux qui touchent aux libertés fondamentales, au système éducatif ou encore à l’égalité entre les femmes et les hommes ou au droit du public à être informé, concernent tout le monde. Ils doivent retenir notre attention, plus encore, être débattus sur la place publique sans crainte de représailles de qui que ce soit.

Il est à souligner, dans cette affaire que les adversaires de madame Benhabib organisent des rallyes à travers des réseaux islamiques afin de financer leur cause et ce depuis 2012.

Nous devons faire preuve de solidarité envers madame Benhabib car cette affaire dépasse sa simple personne. Ce procès est d’abord et avant tout politique et idéologique. C’est une femme courageuse, une intellectuelle engagée en faveur de la laïcité et des droits des femmes ainsi qu’une farouche opposante à l’islam politique que l’on cherche à atteindre. C’est pourquoi nous vous invitons à soutenir cette campagne en faisant parvenir un don par l’entremise du lien suivant.

Pour faire un don par carte de crédit, cliquez sur le bouton en haut de la page.

Par comptant ou par chèque: jesoutiensdjemila.org 701 rue Thibeau CP 33023 Trois-Rivières, QC G8T 9T8

Par ailleurs, en parcourant l’ensemble des rubriques de ce site Internet, vous pourriez en apprendre davantage sur la poursuite en question.

Merci pour votre solidarité !

Le Comité de soutien de Djemila

dimanche 27 octobre 2013

Baby-Loup et la protection européenne des droits fondamentaux. (Anne Demetz)

Dans l’affaire « Baby Loup » (crèche privée), plaidée le 17 octobre 2013 (délibéré au 27.11.2013), devant la Cour d’appel de Paris, le procureur général, François Falletti, s’est opposé à la Cour de cassation, qui avait jugé illicite la clause du règlement intérieur de l’employeur, instaurant une obligation de respect des principes de laïcité et de neutralité, et, discriminatoire, le licenciement d’une salariée portant le voile . La position du Parquet peut se justifier au regard des normes européennes de protection des droits fondamentaux (2).

Le droit interne français.
S’il existe des garderies et des services d’assistant(e)s maternel(le)s municipaux, obéissant aux règles du service public, dont la neutralité de leurs agents (3), il n’existe pas de service public de la petite enfance, à l’échelle nationale, l’Etat n’ayant pas l’obligation d’accueillir tous les enfants dans ces structures. Et, pour le moment, aucun texte législatif ou réglementaire n’impose une obligation de neutralité aux professionnels de la jeunesse, ne travaillant pas pour le service public (4). Qui plus est, l’article L 1121-1 du Code du travail pré-voit que : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but re-cherché.» et l’article L 1321- 3 alinéa 2 que : « Le règlement intérieur ne peut contenir : ….2° Des disposi-tions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » Ces articles s’appliquent au personnel des crèches privées.
A l’occasion de l’affaire « Baby Loup », la Cour d’appel de Versailles avait rendu un arrêt, le 27.10.2011, confirmant la décision du Conseil des prud’hommes de Mantes la Jolie, du 13.12.2010, disant licite le règlement intérieur d’une crèche privée soumettant ses employés à une obligation de neutralité. Mais, par arrêt du 19.03.2013 (n° de pourvoi: 11-28.845, publié au Bulletin et sur Légifrance), la chambre sociale de la Cour de cassation, sans tenir compte des conclusions, tendant au rejet du pourvoi de la salariée, soutenues par l’avocat général (pourtant bien motivées, particulièrement sur les obligations de la France au regard de la CEDH (5)), a cassé dans toutes ses dispositions, l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles et a renvoyé les parties devant la cour d’appel de Paris. Pour ce faire il est retenu ;
D’une part que : « le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ; qu’il ne peut dès lors être invo-qué pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail ; ». Ce motif est sans surprise au regard du droit positif français même si les financements dont dispose la crèche Baby-Loup sont pour leur majeure partie constitués de subventions publiques (6). D’autre part que : « la clause du règlement intérieur, instaurant une restriction générale et imprécise, ne ré-pondait pas aux exigences de l’article L. 1321-3 du code du travail ». Ce, sans considération de la jurispru-dence de la Cour européenne de Strasbourg.
Non conformité du droit interne français et du droit international.

Exposé
• Droit conventionnel. Pour l’exercice du droit de manifester sa religion, consacré par l’article 9 alinéa 2 (liberté de pensée et de conscience) de la CEDH (7), la Cour européenne de Strasbourg n’indique pas qu’une ingérence dans l’exercice de ce droit, procédant d’une décision d’un employeur public soit, de ce seul fait, plus justifiée que celle procédant d’une décision d’un employeur privé (8) et n’exclut pas, pour ces derniers, y compris ceux qui ont à prendre en charge des jeunes enfants et les entreprises dites « de tendance » (9), que puisse être intégré dans leur règlement intérieur et/ou dans leurs contrats de travail, une stipulation qui restreint la possibilité de manifester sa religion. En effet, à partir du moment ou cette clause est rédigée avec précision, qu’il apparaît qu’elle peut être appliquée sans discrimination et qu’elle est motivée elle doit pouvoir être considérée comme constitutive d’une ingérence légitime, s’il y a lieu.
Il faut donc en conclure que les dispositions des articles L 1121-1 et L. 1321-3 du code du travail fran-çais, sont trop restrictives. En effet la « nature de la tâche à accomplir » n’est pas la seule circonstance que la Cour européenne retient, pour apprécier la légitimité d’une ingérence (10). Ceci posé, dans le cas de la crêche « Baby Loup», si on l’on se réfère à la jurisprudence de la Cour, applicable désormais aux entre-prise privées, la « nature de la tâche à accomplir » justifiait, à elle seule, l’ingérence (11).
• Droit communautaire. L’article 4, § 2, de la directive européenne n° 2000/78 CE, du Conseil de l’Union Européenne, du 27.11.2000 « portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en ma-tière d’emploi et de travail» , prévoit des dispositions particulières pour les entreprises de tendance leur per-mettant de restreindre le droit de manifester sa religion ou sa conviction (12). Cependant, cette directive n’ayant pas été transposée en droit français, la Cour de cassation ne tient pas systématiquement compte : « du caractère spécifique de l’objet de nombreuses entreprises, institutions ou associations pour admettre qu’elles puissent exiger de leurs salariés une obligation particulière de loyauté » (13).

Solutions envisageables.
Elles sont au moins deux. Leur mise en oeuvre permettrait à toute entreprise privée d’exiger de ses salariés de ne pas manifester ostensiblement leur appartenance religieuse dans l’exercice de leurs fonctions, à partir du moment ou les critères établis pour ce faire par la Cour européenne ou l’article 4, § 2, de la Directive eu-ropéenne n° 2000/78 CE, sur les entreprises de tendance sont réunis.
• La modification du code du travail. Il faut faire en sorte que les articles L 1121-1 et L. 1321-3 soit rédi-gés conformément à ce que la CEDH et la jurisprudence de la Cour européenne prévoient pour justifier une ingérence dans l’exercice des droits fondamentaux. Cette justification repose sur trois critères : l’ingérence doit être prévue par la loi, reposer sur un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique. L’ article L 1121-1 du Code du travail pourrait ainsi disposer que : « Nul ne peut apporter aux droits des per-sonnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas prévues par la loi, jus-tifiées,un but légitime et nécessaires dans une société démocratique ni proportionnées au but recher-ché.» et l’article L 1321-3 du Code du travail : « Le règlement intérieur ne peut contenir : …2° Des disposi-tions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas prévues par la loi, justifiées, un but légitime et nécessaires dans une société démocratique ni proportionnées au but recherché » (14).
• La reconnaissance des entreprises de tendance. Il est désormais nécessaire de transposer en droit interne la Directive européenne n° 2000/78 précitée, afin que celle ci puisse être impérativement applicable (15).
__
En attendant que le droit interne français s’adapte aux normes européennes de protection des droits fonda-mentaux, la Cour d’appel de Paris peut choisir d’appliquer directement l’article 9 alinéa 2 de la CEDH, dont la France est signataire (16). Pour autant , après la décision à venir de la Cour d’appel et celle de la Cour de cassation, qui peut encore avoir à connaître de l’arrêt d’appel, la Cour européenne de Strasbourg pourra tou-jours être saisie. Tout risque de condamnation de la France par cette dernière n’est donc pas écarté.
Anne Demetz
Avocate au Barreau de Paris

(1) Arrêt du 19.03.2013 (n° de pourvoi: 11-28845, publié au Bulletin et sur Légifrance).
(2) Ces conclusions sont d’ailleurs très complètes au regard de la CEDH (cf. note 7) et de la jurisprudence de la Cour européenne de Strasbourg.
(3) CAA Versailles, 8e Ch. jugement n° 0504207 du 07/03/2007 (Monique L / commune d’Evry).
(4) Cf. article « Petite enfance, aides publiques et neutralité » sur le site de l’association Egale.
(5) Bernard Aldigé, Avocat général, « Le champ d’application de la laïcité : la laïcité doit-elle s’arrêter à la porte des crèches.» Recueil Dalloz n° 14/7551 du 18.04.2013. (6) Cf. article « Choix parentaux et neutralité religieuse (le cas Baby-Loup) » sur le site de l’association Egale. L’obligation de neutralité a été étendue par un arrêt de la Cour de cassation du 19.03.2013 : caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis et autres , n° de pourvoi: 12-11.690, publié au Bulletin et sur Légifrance) aux entreprises privées gérant un service public. Mais ce n’est pas le cas de la crèche « Baby Loup», qui n’a qu’une mission d’intérêt général.
(7) Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.
(8) Cf Arrêt Eweida et autres c. Royaume-Uni, du 15.01.2013 (requêtes n°48420/10, 59842/10, 51671/10 et 36516/10.) La Cour y précise que lorsqu’un salarié travaillant pour un employeur privé se prévaut d’une ingérence dans un de ses droits garanti par la Convention, celle ci n’étant pas directement imputable à l’Etat, il convient de rechercher si le droit de l’intéressé de manifester librement sa religion était suffisamment protégé par l’ordre juridique interne. Mais rien d’autre, en dehors de cette considération. En termes de ports de signes religieux, cet arrêt est original car il concerne la croix chrétienne, y compris dans le secteur privé, et non le foulard islamique, comme c’est le cas de nombreux arrêts de la Cour, qui, de surcroît, ne portent que sur le secteur public.
(9) CEDH 23.09.2010, n°1620/03, Schüth c/ Allemagne, D. 2011. 1637, chron.J.-P. Marguénaud et J. Mouly, et 2012. 904, obs. J. Porta ; RDT 2011. 45, obs.J. Couard. La CEDH reconnaît qu ‘« au regard de la Convention, un employeur dont l’éthique est fondée sur la religion ou sur une croyance philosophique peut imposer à ses employés des obligations de loyauté spécifiques. »
(10) Selon la Cour européenne, les droits et libertés protégés par la Convention peuvent être limités lorsqu’ils empiètent sur les droits d’autrui ou contreviennent à un impératif de sécurité. Ce qui permet à un employeur de se prévaloir, sous le contrôle du Juge, de motifs de limitation des libertés plus larges que ceux tirés uniquement de la « nature de la tâche à accomplir ».
(11) CEDH Dahlab c. Suisse, arrêt d’irrecevabilité du 15.02.2001 (requête n° 42393/98), cité par le Procureur général Falletti, cette décision précise que le port du foulard : « dès lors qu’il semble être imposé aux femmes par une prescription coranique (…) est diffici-lement conciliable avec le principe d’égalité des sexes » et « Aussi, semble-t-il difficile de concilier le port du foulard islamique avec le message de tolérance, de respect d’autrui et surtout d’égalité et de non-discrimination que dans une démocratie tout enseignant doit transmettre à ses élèves » s’agissant, en l’espèce « de jeunes enfants particulièrement influençables ».
(12) « Les États membres peuvent maintenir dans leur législation nationale en vigueur à la date d’adoption de la présente directive ou prévoir dans une législation future reprenant des pratiques nationales existant à la date d’adoption de la présente directive des disposi-tions en vertu desquelles, dans le cas des activités professionnelles d’églises et d’autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, une différence de traitement fondée sur la religion ou les convictions d’une personne ne constitue pas une discrimination lorsque, par la nature de ces activités ou par le contexte dans lequel elles sont exercées, la reli-gion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’organisa-tion. Cette différence de traitement doit s’exercer dans le respect des dispositions et principes constitutionnels des États membres, ainsi que des principes généraux du droit communautaire, et ne saurait justifier une discrimination fondée sur un autre motif. Pourvu que ses dispositions soient par ailleurs respectées, la présente directive est donc sans préjudice du droit des églises et des autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, agissant en conformité avec les dispositions constitution-nelles et législatives nationales, de requérir des personnes travaillant pour elles une attitude de bonne foi et de loyauté envers l’éthique de l’organisation.»
(13) Voir les conclusions de Bernard Aldigé, Avocat général : note 45
(14) Selon l’avis de l’Observatoire de la laïcité ( « sur la définition et l’encadrement du fait religieux dans les structures qui assurent une mission d’accueil des enfants. »), publié le 15.10.2013, pp. 8 et 9 , qui valide la position prise par la Cour de cassation dans l’affaire « Baby Loup», l’article L 1121-1 du Code du travail, permettant déjà, dans sa rédaction actuelle, des restrictions aux libertés individuelles, dont celle de manifester sa religion ou sa conviction, il n’est pas nécessaire de le modifier, d’autant que cela risque de déboucher sur un texte contrevenant à un droit fondamental, notamment aux articles 9 et 14 (non discrimination) de la CEDH, et permettre un traitement du « fait religieux » différent de tout autre problème interne à l’entreprise ou créer plus d’insécurité juridique du fait d’un texte se prêtant à de larges marges d’interprétation.
Mais si une modification des articles L 1121-1 et L 1321-3 reprend mot pour mot la jurisprudence Strasbourgeoise, sur les critères de légi-timité d’une ingérence, un risque d’atteinte à un droit fondamental ne peut procéder de cette modification, à moins de considérer que les décisions de la Cour européenne vont à l’encontre des droits fondamentaux dont elle est la gardienne.
De plus, intégrer, aux articles susvisés, les critères de légitimité d’une ingérence à l’exercice d’un droit reconnu par la CEDH, dégagés par la Cour européenne, ne peut, en soi, entraîner un traitement différencié, au sein de l’entreprise, de l’exercice du droit de manifester sa religion ou sa conviction par rapport à l’exercice d’autres droits fondamentaux. Au contraire, dans l’arrêt Eweida (§ 83), la Cour retient que, dans le cadre des relations de travail, la liberté de religion doit être appréhendée de manière similaire aux autres droits garan-tis par la Convention (respect de la vie privé, liberté d’expression, droit d’adhérer ou ne pas adhérer à un syndicat..) : « la Commis-sion a conclu dans plusieurs décisions à l’absence d’ingérence dans l’exercice de la liberté de religion du requérant au motif que celui-ci pouvait démissionner de ses fonctions et trouver un autre travail (…). Toutefois, la Cour n’a pas tenu le même raisonnement en ce qui concerne les sanctions professionnelles infligées à des employés parce qu’ils avaient exercé d’autres droits protégés par la Convention, par exemple le droit au respect de la vie privée énoncé à l’article 8, le droit à la liberté d’expression énoncé à l’article 10 ou le droit négatif de ne pas s’affilier à un syndicat, découlant de l’article 11 (…). Vu l’importance que revêt la liberté de religion dans une société démocratique, la Cour considère que, dès lors qu’il est tiré grief d’une restriction à cette liberté sur le lieu de travail, plutôt que de dire que la possibilité de changer d’emploi exclurait toute ingérence dans l’exercice du droit en question, il vaut mieux apprécier cette possi-bilité parmi toutes les circonstances mises en balance lorsqu’est examiné le caractère proportionné de la restriction. »
Enfin concernant l’insécurité juridique, ce risque est déjà constitué si les articles L 1121-1 et L1321-3 du Code du travail, ne sont pas modi-fiés, puisqu’une décision des juridictions françaises, rendue en fonction de ces articles, pourrait être désavouée par la Cour européenne.
(15) Pour écarter la transposition de la directive, l’avis précité de l’Observatoire de la laïcité indique que : « Sur le plan juridique, cette notion, d’inspiration allemande, ne semble admise par la jurisprudence que sous réserve que la « tendance » soit directement en lien avec l’objet social de l’entreprise. De fait, il s’agit des partis politiques, des syndicats et des organismes confessionnels.»
Mais l’article 4, § 2, de la directive européenne n° 2000/78 CE, précise que : « lorsque, par la nature de ces activités ou par le contexte dans lequel elles sont exercées, la religion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle, légi-time et justifiée eu égard à l’éthique de l’organisation. » (cf. note 12), ce qui exclut qu’une «tendance» puisse être revendiquée pour n’importe quelle activité de vente de biens ou de prestation de service.
L’avis affirme encore que : « La laïcité n’est pas une opinion ni une croyance mais une valeur commune ». Toutefois, comme le note pertinemment M. le Procureur général Falletti : la « tendance » peut aussi être une éthique et dés lors il peut effectivement exister des entreprises de « tendance laïque ». Il précise « ce qualificatif étant compris au sens d’indifférence active à l’égard des religions et non au sens d’obligation constitutionnelle de neutralité pesant sur le seul Etat » et cite le cas de certaines organisations maçon-niques et de certains clubs de réflexion : « Ces entreprises sont naturellement conduites à mettre en place une organisation et des modes de fonctionnement internes en conformité avec leurs engagements et leurs actions ».
(16) Elle peut exercer un contrôle de conventionalité. Il permet à tout juge de vérifier la conformité de la loi française aux engagements inter-nationaux de la France. En effet, d’après l’article 55 de la Constitution de 1958, les traités internationaux ont une valeur supérieure à la loi.

jeudi 24 octobre 2013

Les perles du strass

Quelques perles de la part de ceux qui attaquent toute personne qui ose tenir tête au proxénétisme ou à l’intégrisme… De si belles causes à défendre…

« Nous réclamons la disparition du Code pénal des dispositions sanctionnant spécifiquement le ‘proxénétisme' »

Pour lire la suite http://perlespaillettes.tumblr.com

Manifeste des douze contre le nouveau totalitarisme

Puisqu’il est toujours valable, voici le « manifeste contre le nouveau totalitarisme » co-rédigé par Caroline Fourest et Mehdi Mozaffari après l’affaire des caricatures, signé par Salman Rushdie ou Taslima Nasreen, et publié dans Charlie Hebdo en 2006.

19896012

Après avoir vaincu le fascisme, le nazisme, et le stalinisme, le monde fait face à une nouvelle menace globale de type totalitaire : l’islamisme.

Nous, écrivains, journalistes, intellectuels, appelons à la résistance au totalitarisme religieux et à la promotion de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité pour tous.

Les évènements récents, survenus suite à la publication de dessins sur Mahomet dans des journaux européens, ont mis en évidence la nécessité de la lutte pour ces valeurs universelles. Cette lutte ne se gagnera pas par les armes, mais sur le terrain des idées. Il ne s’agit pas d’un choc des civilisations ou d’un antagonisme Occident – Orient, mais d’une lutte globale qui oppose les démocrates aux théocrates.

Comme tous les totalitarismes, l’islamisme se nourrit de la peur et de la frustration. Les prédicateurs de haine misent sur ces sentiments pour former les bataillons grâce auxquels ils imposeront un monde liberticide et inégalitaire. Mais nous le disons haut et fort : rien, pas même le désespoir, ne justifie de choisir l’obscurantisme, le totalitarisme et la haine.

L’islamisme est une idéologie réactionnaire qui tue l’égalité, la liberté et la laïcité partout où il passe. Son succès ne peut aboutir qu’à un monde d’injustices et de domination : celle des hommes sur les femmes et celles des intégristes sur les autres. Nous devons au contraire assurer l’accès aux droits universels aux populations opprimées ou discriminées.

Nous refusons le « relativisme culturel » consistant à accepter que les hommes et les femmes de culture musulmane soient privés du droit à l’égalité, à la liberté et à la laïcité au nom du respect des cultures et des traditions.

Nous refusons de renoncer à l’esprit critique par peur d’encourager l’ « islamophobie », concept malheureux qui confond critique de l’islam en tant que religion et stigmatisation des croyants.

Nous plaidons pour l’universalisation de la liberté d’expression, afin que l’esprit critique puisse s’exercer sur tous les continents, envers tous les abus et tous les dogmes.

Nous lançons un appel aux démocrates et aux esprits libres de tous les pays pour que notre siècle soit celui de la lumière et non de l’obscurantisme.

Signatures

Ayaan Hirsi Ali

Chahla Chafiq

Caroline Fourest

Bernard-Henri Lévy

Irshad Manji

Mehdi Mozaffari

Maryam Namazie

Taslima Nasreen

Salman Rushdie

Antoine Sfeir

Philippe Val

Ibn Warraq

Date : 2006

L’ordre et le sexe. Discours de gauche, discours de droite

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S’il y a une visée commune aux extrêmes droites et aux divers intégrismes religieux, c’est la soumission des femmes. Leur projet d’un monde en ordre, intègre et conforme à la Loi, repose sur la domination et la libre disposition des femmes. D’abord et avant toute autre chose, dans un monde qui serait ce qu’il doit être, elles sont destinées à assurer la reproduction selon les normes définies par les hommes, à servir l’ensemble du corps social et cela dans la dépendance, la limitation de leur mobilité et la contrainte. Le racisme départage clairement les options de la gauche et de la droite. Ce n’est pas le cas du sexisme. En fait, il n’est pas perçu. La définition du sexisme comme délit, acquise au niveau législatif, n’est rien moins qu’évidente dans le quotidien. Attirer l’attention sur lui fait grincer les dents, à gauche tout comme à droite. Prononcer même le mot c’est soulever la violence ou la dérision.

La droite, l’idéologie et l’ordre.

On dit qu’il n’y a pas (qu’il n’y a plus) de droite ni de gauche. Ou du moins il a été très à la mode de le dire au début de la décennie quatre-vingt. Ce n’est pas exact, bien sûr. Mais « la droite » est plus cohérente, plus identifiable que « la gauche ». La gauche est davantage une tendance alors que la droite est un état. On pourrait dire que la gauche est une critique de l’état des choses alors que la droite est la recherche de la perfection de l’état des choses.

La droite vit dans l’obsession de la dégradation, de la dégénérescence, de la décomposition. Son but est de restaurer, de ramener au jour un ordre profond (celui de la Vie), immémorial (celui de nos Anciens). Cet ordre que la quotidienneté comme le cours de l’histoire rongent sans cesse, que le temps érode, que les hommes détruisent ou corrompent (« le malheur de l’homme est qu’il est infidèle à ses instincts » dit à peu près Conrad Lorenz), elle veut lui redonner sa force réelle. Et aussi elle veut le servir, empêcher qu’il soit détruit ou perturbé. La droite c’est le choix de l’ordre, divin ou naturel, immémorial et sacré. Les hommes et la société doivent le maintenir et non le subvertir. L’attachement de la droite aux Valeurs transmises : la Vie, la Tradition, la Famille, la Race, la Patrie, la Volonté, le Service, l’Armée, la Hiérarchie, définit ce goût de l’ordre.

L’ordre des choses ne satisfait pas la gauche. Comme elle ne le trouve pas forcément respectable, elle est plus sensible à ses contraintes, ses abus, qu’à son caractère « sacré ». La pauvreté, la domination politique, l’exploitation sont les manifestations concrètes de cet ordre, des réalités que la gauche conteste. Là où la droite voit l’harmonie des contraires, la complémentarité, agrémentées de la fidélité aux « supérieurs », le bon usage des capacités, la force d’âme dans les épreuves de la vie (qui ne saurait être une partie de plaisir), la gauche voit l’injustice.

En un certain sens la gauche ne se définit pas, elle est une attitude critique envers un factuel dont elle conteste, non la dégradation (anathémisée par la droite) mais la violence contraignante. Par exemple : la hiérarchie n’est pas encore assez marquée pour la droite (ou bien elle est corrompue ou dégradée) mais c’est bien la hiérarchie elle-même qu’elle considère comme légitime, qu’elle programme. Pour la gauche, la hiérarchie est d’abord une forme sociale imparfaite et qui ne peut pas être justifiée ni justifiable en soi, même si, relativement, et dans des circonstances et des moments précis (et non pas toutes les circonstances ni tous les moments) elle y souscrit : la hiérarchie n’est ni une valeur, ni un but pour elle.

Option politique qui se démarque clairement d’autres opinions moins bardées de certitudes, la droite obéit à l’idée d’un univers qui la précède, la légitime, et qu’elle doit soutenir. La gauche est plus un projet (de vie moins dure, de plus grande justice, de recherche d’égalité) qu’une certitude qui s’appuierait sur un « ordre » préexistant ou sacré. Si la droite soutient le monde, la gauche le construit. Si la droite légitime l’ordre des choses, la gauche le conteste.

L’idée de frontières infranchissables, de clôture des groupes sur eux-mêmes est, à droite, étroitement associée à l’horreur du métissage, à l’effroi devant l’incertitude du sexe (est-ce une femme, est-ce un homme ?), au mépris de « l’efféminement » qui menace hommes et nations… C’est qu’il faut bien que le monde soit en ordre. Et que soient clairement distincts et séparés les sexes, les races et les peuples. Tous ceux qui fréquentent les frontières ou qui eux-mêmes participent de plusieurs groupes sont non seulement méprisés (et ils le sont infiniment) mais également coupables. La « trahison » obsède la droite comme le complot. L’obsession de la race et de sa fantasmatique intégrité conduit à nier qu’il puisse même exister des personnes qui appartiennent à deux ou plusieurs. L’homosexualité est une horreur qui inspire le dégoût et il faut entendre par homosexualité toute conduite, apparence, revendication – de mœurs ou politique – qui n’est pas strictement attendue du sexe auquel on appartient. Notons que tout homme « vrai » (viril) qui a des relations physiques (dominantes) avec un autre homme ne tombe en rien sous l’accusation d’homosexualité. Selon la morale du voyou un type qui en baise un autre fait de lui un pédé (la pire des choses), ce que lui-même n’est jamais.

Ainsi la droite croit en des frontières rigides balisant la vie sociale. Elle veut que chacun soit à sa place, que l’homme soit homme et la femme femme, que le serviteur soit le serviteur et le maître le maître, que le nègre soit le nègre et le blanc blanc, que les enfants soient les enfants et les parents les parents, etc. Elle croit en des frontières qui sont à la fois factuelles (c’est-à-dire qu’il existe bien des groupes) mais également prescriptives (c’est-à-dire que ces frontières doivent exister).

Et du même coup, elle éprouve la fascination et l’horreur de la précarité des frontières. La crainte des transfuges, la méfiance envers les « étrangers », le dégoût des « mélanges » (ou de ce que l’on appelle ainsi à droite car un composé n’est jamais un mélange, de quoi le serait-il ? l’idée même de mélange implique en effet l’existence en soi de chacun des groupes) atteignent de plein fouet les individus sans étiquettes, particulièrement ceux qui sont sexuellement non classables : androgynes ou transsexuels.

Catégories de sexe et sexualité

Et c’est bien le sexe qui est le domaine clef. Par sexe on entend deux choses. D’abord le système social des sexes : on vous fixe à la naissance un sexe, femelle ou mâle (et pas un autre) et quelle que soit votre anatomie, vous serez ou mâle ou femelle. Cette inscription légale, obligatoire, sera lentement mais avec un mécanisme de fer construite en appartenance de groupe : de femelle ou mâle vous deviendrez femme ou homme. Et il ne sera pas question que vous soyez l’un et l’autre, ou autre chose. L’autre acception désigne l’activité dite « sexualité », sous toutes ses formes, de la pratique coïtale reproductive aux sophistications sado-masochistes en passant par les divers safer sex et les relations douceur-tendresse. Bref, le sexe c’est à la fois la désignation de deux groupes sociaux et la désignation de l’activité qu’ils sont supposés exercer entre eux (obligatoirement, et uniquement entre eux).

Il y a là quelque chose de déroutant : l’obligation du mélange et du passage de frontière dans un domaine déterminé alors qu’il est honni et interdit dans tous les autres. Les Blancs et les Noirs, les patrons et les ouvriers, les juifs et les chrétiens, les Asiatiques et les Américains, les voyous et les princes, les gens de bonne éducation et les grossiers personnages ne doivent en aucun cas se mêler. Et ils le font pourtant et justement où ? Au plumard. Car en effet, les femmes et les hommes doivent se mêler. Et se mêler au plus près, physiquement en quelque sorte. C’est le seul cas où les frontières doivent être franchies.

Mais si les frontières doivent être franchies – ce qui est un scandale -, ce scandale doit être traité socialement. « Traiter » c’est-à-dire mettre de l’ordre dans le désordre, rétablir celui qui veut que les hommes dominent les femmes (de fait : les possèdent). Ce sont donc les hommes qui feront usage des femmes, et selon leur bon plaisir. Plus, les dominants feront également usage des femmes que possèdent les hommes qui leur sont « inférieurs » : les maîtres de celles de leurs serviteurs ou des esclaves, les possédants de celles des pauvres, les Blancs de celles des Noirs. Ces hommes montrent ainsi aux autres hommes qu’ils les dominent et les empêchent de leur rendre à eux-mêmes la pareille, en interdisant l’accès à leurs propres femmes et en les punissant gravement de tenter de le faire. Et ainsi le monde va.

Et les femmes, là-dedans ? Eh bien, elles sont aux hommes. Et en tout cas, pas à elles-mêmes. Et « l’ordre » c’est de le leur faire savoir. La contrainte sexuelle est un moyen de transmission de cette information, ce que les hommes de droite ont toujours parfaitement su, dont le système sophistiqué d’application de l’ordre sexuel implique : 1) la distinction soigneuse de la reproduction d’une part et de la débauche de l’autre, le « respect » de l’épouse-otage et l’ « honneur » qui lui est rendu, comme la complicité avec et la « libéralité » envers celles qui vendent du sexe. 2) l’usage pratique de l’activité sexuelle, a) comme manifestation du droit physique sur les femmes, b) comme outil de menace – y compris par son non-exercice éventuellement, ne l’oublions pas, c) effectivement ou potentiellement comme moyen d’humiliation, en contraignant à des actes non souhaités. 3) enfin la mainmise sur la capacité reproductive des femmes selon une forme planifiée ou désordonnée.

Un fonds commun à la gauche et à la droite : la notion de « nature ».

L’idée que le sexe c’est du biologique et rien que du biologique, que le sexe est un donné de la « nature » (en conséquence que la sexualité serait « naturelle »), cette idée informe, structure la pensée et les conduites. Cette croyance, car c’en est une, déborde le clivage gauche/droite, elle gouverne pratiques et institutions, des plus immédiates aux plus formalisées. Tout se passe comme si la notion de sexe se trouvait hors d’atteinte de la pensée critique, préalable inquestionné de l’activité concrète et symbolique. Postuler ou faire simplement l’hypothèse que le sexe pourrait être le paramètre construit de l’inégalité sociale et politique, c’est provoquer le scandale – ou l’incompréhension, une hypothèse cependant que des recherches engagées dans différents domaines des sciences humaines ou exactes depuis quelque vingt ans tendent à corroborer. En linguistique, en anthropologie, sociologie, paléontologie (des recherches sur l’incidence du concept de la différence des sexes dans la formalisation scientifique sont aussi engagées en mathématiques), l’approche critique de la notion de sexe, du caractère donné pour évident ou naturel du sexe, qui aboutit à des conclusions convergentes, pose un certain nombre de questions. Dans la mesure où ces recherches tendent en effet à établir que le sexe, la sexuation, fait biologique, serait l’objet d’une manipulation visant, non comme on l’admet généralement à codifier socialement une « différence », une inégalité première, mais à des marquer la différence qui doit exister entre les sexes par une différenciation d’ordre social, elles appellent, semble-t-il, à des remises en question nécessaires. Celle de la valeur heuristique de la « science », telle qu’elle est définie et produite, est l’une d’elles.

Le point nodal de ce « fonds commun » à la droite et à la gauche, il faut le chercher peut-être dans une idée de la nature qui prend forme au cours du XVIIIe siècle à l’occasion du débat sur le droit naturel qui occupe le siècle. On admet généralement que la théorie du droit naturel a jeté les bases d’une vocation à l’universalité des droits pour tout individu, une vocation à l’universalité rien moins que problématique. Car aucun théoricien du droit naturel n’a jamais prétendu que ce droit naturel incluait les femmes. Bien au contraire. Le droit naturel s’énonce à partir d’un postulat initial qui est que les femmes ne font pas partie du social. Le droit naturel énonce des principes bons pour la seule partie signataire du « pacte social ». les femmes n’y sont ni conviées ni prévues. II faut donc lever une ambiguïté sur le mot et la chose et, plutôt que d’évoquer une théorie du droit naturel, parler d’une idéologie de la nature, d’une idéologie naturaliste qui se formule alors. L’idée de nature oriente la théorie du droit naturel où elle joue le rôle d’une catégorie politique instrumentale qui appuie, à la fin du siècle, l’élaboration d’un système légal de classification par appartenance et par exclusion, une mise en forme légale qui a pour visée, ou pour effet, l’instrumentalisation des femmes. La construction du droit positif concerne la seule classe de sexe des hommes. La rentabilisation des femelles est la face cachée (et refoulée aujourd’hui) du « contrat social ». Elle suppose contraintes, coercition et répression, façonnage des individus sexués femelles pour en faire des femmes. Rousseau, Sade, ces deux figures considérées comme antinomiques, sont les porte-parole d’une norme, tacitement admise, qui est encore la nôtre. L’idée que les femmes sont dans la « nature » (et l’homme dans la « culture »), cette idée certes ne date pas du XVIIIe siècle. Mais le XVIIIe siècle la reprend et ce qu’il en fait continue d’investir le champ de la conscience moderne. Or cette idée est contingente, arbitraire, c’est-à-dire qu’elle peut (qu’elle doit) être problématisée, comme on a tenté de le faire à la fin du XVIe siècle, lequel a finalement préféré rejeter le débat. Aujourd’hui l’idée que les femmes font partie de la nature, qu’il y a d’un côté le privé (les femmes), de l’autre le politique (les hommes), cette idée est communément partagée à gauche comme à droite, elle traverse tous les « partis », toutes les obédiences, qu’elles soient de gauche ou de droite, conservatrices ou révolutionnaires.

Reproduction forcée, absence de droits, bas salaires, réclusion, menaces, coups, meurtres : ce serait là le « privé ». Ces réalités et les méthodes de façonnage d’individus pour en faire des femmes par dressage, domestication, mutilations ne seraient surtout pas du « politique ». Penser cet « ordre des choses » c’est repenser, redéfinir, le politique. Ce qui fait la « différence » entre la « gauche » et la « droite » serait alors de stratégie, le bastion servant d’administration de la preuve pour la droite, alors qu’à « gauche » et précisément depuis la fin du XVIIIe siècle, il y a débat sur la définition du sujet politique, problématisation possible du statut du sexe dans la définition du politique.

Si une question comme celle de la laïcité a perturbé récemment les clivages entre la gauche et la droite, elle n’a pas perturbé celui des sexes. La question du voile a bien montré, sinon l’inexistence de femmes dans le débat, du moins leur objectivation. Il se passe quelque chose de comparable avec le sida. Les femmes séropositives, celles dont la maladie est déclarée, ne sont pas pensées (pas traitées) comme des individus malades du sida, elles sont, consciemment ou inconsciemment pensées dans le discours, banal ou médical, et traitées dans l’accueil, le dépistage, la prévention ou la recherche médicale (les protocoles d’essais) comme des « vecteurs », actuels peut-être, potentiels toujours, de la maladie (comme elles l’étaient déjà de la syphilis). Même chose encore en matière de prospective scientifique ou technologique. Si on en juge par les attentes de la « collectivité » qui orientent le questionnement, l’orientation (et le financement) des sciences (cf. les débats sur les NTR, les travaux ou conclusions des Comités d’éthique), le présent le plus actuel accuse cette instrumentalisation des femmes. Qu’il s’agisse de politiques de développement ou de croissance (dont les politiques natalistes sont à la fois et un enjeu et l’une des stratégies), ou de toute autre prospective « à l’horizon de l’an 2000″, les femmes sont et restent instrumentalisées : moyens de la croissance (dans le tiers monde, la pauvreté des femmes s’accroît en fonction du développement), moyens des politiques natalistes, objet de transaction et/ou de compromis.

Dans son acception banale, le « politique » c’est la question d’un ordre qui n’intègre pas comme connaissance, critique, analyse, projet, la manipulation sociale du sexe. C’est au contraire son intégration comme fait naturel. Sur ce point aveugle commun à la gauche et à la droite s’édifient les pratiques mentales, concrètes, d’une société.

L’hétérosocialité est le vecteur du politique mais elle est supposée hors politique : une norme, qui prescrit la pratique et cette pratique elle-même. Les démentis auxquels elle se heurte, loin d’être déstabilisateurs, sont absorbés, phagocités par elle et la renforcent. Ce qui n’est pas « normal » (ou est autre chose), est sanctionné, ramené à la norme: annihilé ou intégré.

Colette Capitan et Colette Guillaumin

Prochoix n°20, Avril 2002

 

Un regain de racisme anti-arabe

Dans le numéro 16, nous avions décrit le regain d’antisémitisme qu’a vécu la France en octobre 2000. Il nous a paru intéressant de faire le même type d’enquête au sujet du racisme anti‐arabe qui a ressurgi avec force aux États‐Unis au lendemain des attentats du 11 septembre. Comme dans le cas de l’anti‐ sémitisme à l’occasion du conflit au Proche‐ Orient, on s’aperçoit combien les événements internationaux peuvent servir de prétexte au déferlement de haine ordinaire.

Quelques jours seulement après que les avions terroristes aient percuté la vie de plusieurs milliers d’Américains de toutes origines, alors que le Pentagone désignait Ben Laden comme le responsable probable et que les médias se lançaient sur la trace des réseaux islamistes, il ne faisait pas bon être un Américain dérogeant au portrait robot du WASP (de l’Anglo-saxon blanc protestant). Mi-octobre, la US Commission on Civil Rights (UCCR) — qui a établi un numéro d’urgence destiné à recenser les crimes envers les “Américains arabes, et ceux du sous‐continent indien” victimes de violence — disait avoir enregistré près de 200 agressions.Un défer- lement de haine raciste pouvant prendre la forme de la plus insignifiante vexation comme du meurtre, le tout contribuant à instaurer un climat de terreur dont les médias ont finale- ment peu parlé.Comme pour les agressions antisémites qui ont accompagné en France la reprise du conflit au Proche-Orient, c’est auprès des médias communautaires — quasi exclusivement — que l’on trouve la trace de centaines de faits divers qui ont transformé la vie quotidienne de citoyens supposés, à tort ou à raison, arabes, en calvaire.

200 agressions aussi aveugles que racistes
À tort ou à raison puisque l’on peut faire confiance aux racistes pour ne pas vraiment distinguer un Indien d’un Pakistanais ni un Syrien d’un Libanais. Logique puisqu’ils ne distinguent déjà pas un intégriste islamique conduisant un avion d’un Arabe ou d’un musulman tout court ! Résultat, sur les 200 agressions, la plupart des victimes sont souvent des Sikhs ou des émigrés ayant fui l’inté- grisme islamiste dans leur pays pour trouver la mort au nom de l’intégrisme raciste les soupçonnant d’islamisme en Amérique.

C’est ainsi qu’à Houston, un Hindou s’est vu assaillir par un groupe d’hommes l’accusant d’être Arabe, qu’en Arizona un pompiste indien de 49 ans a même été abattu. Ailleurs en Amérique, c’est un Américain d’origine égyptienne qui est mort de ses blessures suite à l’attaque de son magasin à San Gabriel, en Californie. Copte, il avait fui l’égypte et les islamistes qui le harcelaient…

Ali Baba et les 40 agresseurs

Pour ceux qui auraient du mal à compren-dre comment ces brutes primaires peuvent confondre à ce point des Sikhs et les Hindus avec des musulmans intégristes, il faut se rap- peler que la plupart n’imaginent le monde arabe qu’à partir des caricatures de Walt Disney, sous la forme de voleurs enturbannés planant en tapis volant… Ils devraient pourtant réaliser qu’un tapis volant s’écrasant contre le World Trade Center n’aurait pas eu tout à fait la même portée… Qu’importe, la psychose est là et 43 % des Américains ne cachent pas qu’ils seront désormais “plus soupçon‐ neux” envers les personnes d’origine arabe

Le plus grave étant sans doute le fossé qui commence à se creuser entre ces Américains blancs de chez blanc sur la défensive et ceux qui, de par leur origine, peuvent sentir le besoin de se radicaliser en voyant le nombre d’agressions injustes dont ils sont victimes et que personne, exceptés les médias commu- nautaires, ne juge vraiment utile de dénoncer. Aujourd’hui, les associations communautaires musulmanes tentent toutefois de dédrama- tiser (comme l’ont fait en octobre, du reste, les médias communautaires juifs à propos des agressions antisémites en France). Il est vrai que la violence anti-arabe (et associés) des premiers jours suivant le 11 septembre a fini par diminuer.
Notre rôle étant de rester vigilants à ce qu’aucune manifestation de haine, fut-elle ordinaire, ne passe inaperçue, et aussi parce que nous refusons de laisser croire que la lutte contre l’antisémitisme ou le racisme ne concerne que les Arabes et les juifs, nous publions dans les pages qui suivent une liste d’agressions recensées par ces médias com- munautaires, du plus minime (graffitis, mena- ces, insultes) au plus radical. •

 

Prochoix n°19, hiver 2001

 

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Audition de : Fiammetta Venner par Commission d’enquête parlementaire sur le DPS, Assemblée nationale (France)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président
Mme Fiammetta Venner est introduite.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mme Fiammetta Venner prête serment.
M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons Mme Fiammetta Venner, qui a pénétré le DPS féminin pour témoigner de ce qui s’y passe.
Madame, la Commission souhaite obtenir des témoignages précis et directs des méthodes et des agissements du DPS. C’est pourquoi nous vous avons demandé de venir devant nous.
Mme Fiammetta VENNER : Depuis 1990, j’effectue un certain nombre d’enquêtes – que certains sociologues appellent  » enquêtes participantes « , plus connues sous l’appellation de  » journalisme d’investigation  » – sur toutes les formes de l’extrême-droite contemporaine française et européenne dans certains cas.
En 1990, je me suis intéressée à des groupements proches du Front National, notamment des catholiques traditionalistes, mais aussi à un groupe de skinheads d’une dizaine de personnes sur la région parisienne.
J’ai publié trois livres sur les extrêmes-droites dans leurs apparitions contemporaines ; je dirige un réseau et un journal – ce qui rendra mon témoignage plus ou moins objectif selon la façon dont vous le considérerez – qui s’appelle Prochoix et un centre d’études, de recherches et de documentation européen. Nous avons passé des contrats avec la DG5 et disposons d’un journal qui mène des enquêtes. C’est dans ce cadre que Charlie Hebdo m’a demandé de faire le point en 1996 au sujet de rumeurs sur ce qui paraissait à l’époque ressembler à une milice ou à une organisation au sein du Front National.
Tous les ans, j’assiste à la fête  » Bleu Blanc Rouge « , fête traditionnelle du Front National. Au cours de celle organisée la première semaine de septembre 1996, j’ai remarqué que s’y développait un peu plus que de coutume une jeune garde de personnes assurant la sécurité et encadrant les journalistes. C’est une fête organisée sur le modèle de la fête de l’Humanité. En effet, la façon dont le Front National a décidé de communiquer dans ses modèles institutionnels ressemble beaucoup à celle du parti communiste. Les gens qui ont créé le Front National s’en sont inspirés, se référant aux sociologues l’ayant étudié. On retrouve des mots communs comme  » cellule « . C’est intéressant, s’agissant des modes de communication publique. C’est donc la même chose en plus petit. Ce n’est pas très international. Par exemple, le couscous est considéré comme le couscous cathare.
Mais cette fête de militants frontistes n’était plus pour les journalistes officiels un lieu où l’on pouvait obtenir des informations et engager des discussions directes avec les militants pour se forger une idée de l’état des lieux, de l’opinion frontiste. Aussi, le journalisme d’investigation est rendu obligatoire, dans la mesure où l’on n’a aucune possibilité d’interviewer les militants autrement qu’encadré par des personnes de trente centimètres de plus que vous !
Un autre fait m’avait interpellée. Au cours de l’enquête précédente que j’avais effectuée en 1990, j’avais vu au siège de l’OEuvre française, dissoute, recréée, puis redissoute, un fichier informatique listant les personnes à éliminer. Ce n’était pas formulé ainsi, je ne me souviens pas de la phrase exacte, mais étaient répertoriées les personnes posant à l’époque problème à l’OEuvre française.
Circulait également une rumeur selon laquelle les DPS établissaient des fiches sur les personnalités peu recommandables. Je voulais savoir s’il s’agissait d’une rumeur ou s’il était vraisemblable que la DPS pouvait établir ce type de fiches. Vous constaterez après mon exposé que je ne le pense pas, dans la mesure où il existe d’autres structures au sein de l’extrême-droite qui les établissent et qu’il n’est nul besoin de répéter le même travail.
En octobre 1996, l’événement de Montceau-les-Mines met en cause la DPS. A l’Assemblée, un député demande des explications. Dans un reportage de France 2, on voit des personnes, ressemblant vaguement à des policiers, qui chargent des militants. Je n’ai pas visionné la cassette, j’en ai entendu parler. Il m’a semblé que les personnes en question peuvent ressembler à des policiers lorsqu’il est tard et que tous les chats sont gris, mais qu’il ne s’agit pas exactement de tenues de policiers.
Je décide, début novembre 1996, de demander à entrer dans la DPS version féminine. Je suis reçue par Martine Staelens, responsable numéro deux à l’époque du DPS Ile-de-France.
Pour des raisons de sécurité des personnes impliquées dans l’enquête, je tairai le lieu ; il s’agit d’un groupe DPS de l’Ile-de-France, où j’ai participé aux oeuvres féminines. Dans ce cadre, on apprend la façon dont on doit diriger un journaliste lors d’une manifestation et les principes de base que l’on enseigne aux militants. Très rapidement, j’ai eu la chance, dans la mesure où je pratique des close-combats – ma mère était professeur de judo – de pratiquer du close-combat et de l’aïkido avec d’autres membres du DPS, cette fois masculins. La distinction hommes-femmes s’opère de la même façon que chez les skinheads – ce n’est pas péjoratif -, en ce sens qu’en général les femmes sont considérées plus diplomates et donc très utiles quand la DPS veut que les choses se passent bien. Il y a deux catégories de femmes : une catégorie de femmes diplomates et sympathiques ; une autre qui, dès lors qu’elle a les capacités physiques, peut participer à des opérations coups de poing à des moments donnés.
Dans l’organigramme, le Département protection et sécurité figure dès les années 1996. Le principe de base officiel, pas toujours respecté, est l’exigence d’un casier judiciaire vierge. On m’a, en effet, demandé un extrait de casier judiciaire, ce qui n’a pas été aisé, puisque je ne m’étais pas présentée sous mon nom. Cela dit, on ne m’a pas réclamé de carte d’identité.
Les armes ont toujours été proscrites officiellement par la DPS.
La première partie de l’enquête porte sur la DPS, c’est-à-dire la structure officielle du groupement. Je m’attacherai dans un second temps aux UMI.
Dans la structure officielle de la DPS, le contrôle est ferme s’agissant du casier judiciaire, sur la façon dont cela se passe, sur une bonne répartition des tâches. Tout le monde considère les armes à feu comme dangereuses et elles sont perçues négativement. En revanche,  » le matériel de camping  » peut servir d’armes en cas de besoin. On y trouve des gants plombés, assez utiles ; les poings américains sont  » limites « , mais il y en a ; les râteaux sont efficaces pour rayer des voitures ; on y trouve également des couteaux de peintre, habituellement utilisés par les militants de divers partis pour retirer les affiches qui ne leur plaisent pas. Ils peuvent aussi servir d’objets coupants. Ajoutons une arme dissuasive, dont je ne sais dans quelle mesure elle peut se révéler mortelle : les matraques électriques. Cela ressemble à un bloc en métal, avec deux émetteurs, l’électricité passant entre les deux. On accroche quelqu’un et on lui fait passer un courant électrique. Pour nous amuser, nous le testions. On ressentait un petit choc, parce que le voltage était mis en position faible. Les personnes avec moi n’ont jamais revendiqué d’avoir tué quelqu’un, mais les UMI disent que c’est un bon moyen pour faire évanouir quelques secondes une personne au cours d’une manifestation afin de la mettre dehors. J’ignore les voltages utilisés. Ces objets ne portent aucune marque de fabrique, mais ils ne semblent pas faits artisanalement. J’ignore où on peut se les procurer – en France du moins. J’en ai trouvé aux Etats-Unis et au Liban ; les voltages étaient assez forts. Mais il s’agissait de réelles armes de combat trouvées dans des armureries. Ce n’était pas celles que j’ai vues en France.
L’aspect le plus intéressant ne réside pas dans la façon dont sont recrutés les participants au DPS ni la façon dont on les forme, parce que l’essentiel relève de la simple sociabilité. Aller faire du close-combat dans un club de quartier ou pratiquer du karaté près de chez soi ressemble beaucoup à de la sociabilité. En revanche, il est intéressant de connaître l’origine des participants au DPS. Ils ont la grande illusion d’être issus du SAC. Or, aucun de ceux que j’ai vus.
Il s’agissait d’un petit groupe de la région parisienne – n’en avait fait partie. Mais tous se remémoraient le SAC comme le moment merveilleux auquel ils avaient participé alors que quasiment personne n’en provenait. En revanche, beaucoup avaient participé au groupe de vigiles auquel M. Valéry Giscard d’Estaing avait eu recours dans les années 70, pour ses meetings. Quels groupes, quels meetings ‘ Aucune idée, pas de détails. Tout cela s’inscrit dans une formulation et une rhétorique très  » je me vante de… « ,  » j’ai fait cela dans les années 70… « . La participation à l’OAS métropole existe dans les structures hiérarchiques. Je n’ai pas rencontré de personnes qui y avaient milité mais j’ai vu des personnes dont je sais qu’elles y ont milité. L’OAS métropole a été l’organisation un peu plus radicale et un peu plus française de l’OAS qui s’est permis des coups de poing dans les années 60. Avoir fait partie de l’OAS  » métro  » est un gage de respectabilité musclée pour une partie de l’extrême-droite. Par exemple, quand, en 1986, les nouveaux députés du FN sont arrivés à l’Assemblée, les attachés parlementaires n’étaient recrutés qu’à la condition d’avoir au moins fréquenté l’OAS métropole. C’est très bien vu. Cela confère une légitimité quasiment historique.
Autre élément intéressant : la plupart des participants appartiennent à des sociétés de sécurité et de gardiennage et participent également à des services d’ordre demandés à l’occasion, par des partis, toutes tendances confondues. Cela étant, je n’ai aucune preuve sur ce que j’avance lorsque je précise  » toutes tendances confondues « , dans la mesure où j’ai un témoignage partial. Je souligne également que parmi les gens que j’ai rencontrés, il n’y avait aucun skinhead homme, ce qui s’explique par le fait que les skinheads ont été très fortement réprimés dans les années 90 en France ; la plupart ont donc un casier judiciaire. Les rapports sociaux des skinheads permettent aux filles d’échapper à la prison, dans la mesure où elles ne servent que d’alibi aux hommes pour justifier que leur petit ami n’a jamais agressé un arabe. L’une d’elle racontait :  » Lorsqu’un garçon de la bande agresse un arabe, je témoigne en disant : pas du tout, c’est ce garçon-là qui m’a agressé ; ce monsieur que je ne connaissais pas m’a aidée et secourue.  » Il n’y a donc pas de garçons  » skin « , mais quelques filles, totalement désocialisées suite à l’éclatement des bandes. Les garçons, après avoir fait de la prison, se sont réinsérés socialement. Dans le petit groupe que j’ai étudié, certains sont restés en prison, deux ou trois ont été réinsérés : ils sont boulanger, pâtissier, peut-être votant Front National, mais non intégrés dans le militantisme, contrairement aux filles totalement sorties du militantisme et de la sociabilité des garçons. Elles se sont retrouvées seules assez jeunes. Les jeunes filles appartenant au groupe étudié avaient entre 15 et 17 ans en 1990, les garçons plutôt entre 17 et 20 ans.
On retrouve ces jeunes filles, qui ont pratiqué des arts martiaux dès leur plus jeune âge. Elles sont assez performantes. C’est là que l’on voit que le DPS féminin existe et n’existe pas : pour simplifier, les filles bourgeoises du XVIème arrondissement sont dans la diplomatie et les anciennes skinheads des banlieues appartiennent au DPS mixte. Au sein du DPS, on parle beaucoup de surplus militaires. Il est possible qu’en demandant, en achetant ou en étant très sage, on obtienne des insignes de CRS ou de militaires. Aucun des insignes, si ce n’est ceux des CRS, n’est très convaincant parmi ceux que j’ai vus.
En revanche, mes hypothèses ont été confirmées sur l’intérêt de groupes policiers annexes : l’OEuvre française utilise la DPS ou la DPS se sert de l’OEuvre française pour savoir qui est fréquentable, qui est dangereux à l’entrée d’une BBR ou d’une grande manifestation, qui il n’y faut pas voir…
Je trouve intéressante la piste de la FPIP, qui a viré à droite du Front National lorsque celui-ci a créé le Front National de la Police, organisation qui existe depuis maintenant dix ans et dont certains membres ont créé une section spéciale – en abrégé SS -, impliquée dans plusieurs attentats à la bombe contre des foyers Sonacotra dans le sud de la France. Je dis  » impliqués « , il n’y a pas eu jugement. Car si l’on se réfère au jugement et aux délibérés, on ne comprend pas grand-chose. Le responsable de la section SS est innocenté sans suite. Je peux vous fournir les noms.
J’ai publié un livre sur les sponsors du Front National. J’ai remarqué que les membres de la FPIP tiennent un discours extrêmement violent. Ils appellent au meurtre à quasiment toutes les pages en papier glacé d’un journal qui s’appelle Police et sécurité magazine. On y trouve énormément de publicités pour EDF-GDF, Air France et la plupart des grandes entreprises publiques françaises, peut-être inconscientes de la façon dont elles ont géré leur budget de communication. Là n’est pas la question qui nous intéresse, mais chaque publicité est payée 48 000 francs, le budget d’un numéro s’élevait de 400 000 à 500 000 francs, c’était un bimensuel, cela a duré dix ans et cet argent n’est jamais arrivé dans les caisses de la FPIP. A plusieurs reprises la revue a été poursuivie, interdite, parce qu’insultant le ministre de l’Intérieur. Mais l’on n’a jamais pu conclure à l’enrichissement personnel des syndicalistes.
L’argent a bien existé. Où est-il allé ‘ A quoi a-t-il servi ‘
Les DPS ont beaucoup d’argent. Lorsque l’on connaît le Front National de l’intérieur, l’on sait qu’il est peu enclin à donner de l’argent à ses adhérents et à ses militants. C’est un parti qui attend beaucoup de ses militants qu’ils subviennent à leurs besoins. Pourtant, la DPS a beaucoup d’argent, peut trouver une salle assez facilement, des salles d’entraînement alors que cela n’est pas si aisé en banlieue parisienne. J’ignore d’où vient l’argent. Mes enquêtes ne sont pas parvenues à le déterminer. Tel n’était d’ailleurs pas leur but.
J’ai poursuivi mon enquête en décembre-janvier. En février 1997, j’ai interviewé une personne qui avait été suivie par un journaliste du sud de la France et qui déclarait être un transfuge du Front National. Je vais vous faire part de son témoignage, en vous indiquant à quel moment il ne me semble pas véridique, dans la mesure où je pense qu’il essaye de se dédouaner d’un certain nombre de choses.
J’ai pris rendez-vous avec lui et ses amis dans une gare à Grenoble en février 1997. Son témoignage a été enregistré au début, mais le magnétophone a été détruit par les quatre personnes de l’ex-DPS. Je ne dispose donc pas des cassettes de cet entretien.
Le principal intéressé, parmi les quatre personnes présentes, s’appelait Bob. Il m’a paru nettement moins politique que les DPS parisiens que j’ai rencontrés, véritables militants politiques d’extrême-droite. Il avait à l’époque trente-quatre ans, mesurait un mètre quatre-vingt dix. Il avait un casier judiciaire, puisqu’il avait jeté une personne du troisième étage après s’être fâché avec elle. Il n’avait aucune connaissance du close-combat, ce qui est assez surprenant, mais vu son gabarit l’on peut supposer que ce n’était pas un handicap. C’est une personne physiquement impressionnante, j’ai rarement vu quelqu’un de ce gabarit. Dans le civil, il est employé dans une société de gardiennage. En 1997, il m’a raconté de façon assez détaillée la manière dont le couple Le Chevallier était arrivé au pouvoir à Toulon, distribuant assez généreusement des postes aux militants qui le souhaitaient : gardien de cimetière, agent de la circulation… Il a confirmé mes doutes sur le port des uniformes. Il prétend que ceux-ci sont strictement similaires ; je n’ai pas trouvé qu’ils l’étaient lorsque j’en ai vu dans la région parisienne.
Il explique être arrivé au Front National en 1995, où il a très vite été remarqué, et indique qu’on leur a prêté une salle de gymnastique pour rapatriés de l’Algérie. Il affirme qu’en août 1995, la veille du jour où M. Jean-Claude Poulet-Dachary a été assassiné, plusieurs militants DPS plus âgés et plus gradés que lui sont venus inspecter chez lui pour vérifier qu’il n’avait pas d’armes. J’essaye d’enquêter sur le meurtre de M. Jean-Claude Poulet-Dachary, ce qui est extrêmement difficile, dans la mesure où l’enquête policière piétine lamentablement. Bob participe en mai 1995 au DPS à Paris. C’est à ce moment qu’il fonde les UMI de Toulon, mais je pense que c’était deux ans avant, sinon il n’aurait pas eu le poste qu’il semble avoir obtenu à la mairie de Toulon.
Les UMI, unités mobiles d’intervention, seraient la face cachée du DPS, que je n’avais pas vue à Paris. Je pense, en effet, qu’il existe trois DPS : un premier diplomatique et assez présentable ; un deuxième, dans le cadre duquel on peut participer à des opérations un peu plus coups de poing – collages d’affiches ou règlements de comptes individuels – et de sociabilité ; le troisième, les UMI. Dans ce cadre, l’utilisation des matraques électriques est très utile, car, on se demande bien à quoi peuvent servir des matraques électriques si le but consiste simplement à orienter les journalistes. Cela dit, les matraques électriques existent déjà au sein du deuxième DPS, celui des filles-garçons. Bob dit s’être chargé des UMI à Carpentras et indique qu’une matraque est très utile, car elle permet d’immobiliser un adversaire pendant quelques secondes en le matraquant à la cuisse. Il tombe et on peut alors l’expulser de la manifestation. Cela ne nécessite pas la constitution de fichiers ; on repère rapidement dans une manifestation les membres plus ou moins désirables ou plus ou moins connus. L’OEuvre française doit pouvoir les aider, mais ils connaissent par photos les personnes indésirables.
Les membres des UMI auraient, selon lui, un sigle UMI et un numéro reconnaissable par les DPS à l’intérieur du blouson.
Lorsque j’ai été formée par les DPS, personne ne m’a parlé des UMI, mais je n’y suis restée qu’un mois et demi. Les réseaux de sociabilité étaient ce qui m’intéressait et je ne pense pas que l’on m’aurait proposé dans un temps aussi court de participer à une unité mobile, d’autant que je ne crois pas que les filles y soient bienvenues, même si elles font du close-combat.
M. le Président : Vous vous êtes donc intéressée au DPS pendant trois mois ‘
Mme Fiammetta VENNER : J’ai commencé le 5 ou 6 décembre et terminé vers le 20 janvier.
M. le Président : Comment s’est passé votre  » recrutement  » ‘
Mme Fiammetta VENNER : Je me suis présentée. On m’a demandé mon nom ; j’ai donné un faux nom. On m’a ensuite réclamé un extrait de casier judiciaire. Heureusement, le nom que j’avais utilisé était assez commun ; je l’ai fourni quelque temps après. Je m’étais teint les cheveux. Je pense qu’il était très facile de s’engager au DPS en décembre 1996 ; on ne subissait pas d’examen de passage, on ne vous demandait pas ce que vous aviez fait avant. Je pense que le fait d’être une fille facilitait les choses.
M. le Président : Quelle fut votre formation ‘
Mme Fiammetta VENNER : Une formation militante, à moitié idéologique. Par exemple, on me demandait :  » Il y a trop d’étrangers ici ; comment répondrais-tu à une telle affirmation ‘… Non, tu ne devrais pas répondre de telle manière. Au lieu de dire « Il y a trop d’étrangers », il faudrait plutôt dire : « Chacun est différent et les gens sont bien chez eux. » « . C’est-à-dire un discours assez policé et assez agréable, mais qui ne change rien sur ce que l’on sait déjà du Front National. Tous les militants sont incités à ce type de discours, ce qui ne les empêche pas de craquer dès qu’il y a une occasion publique. L’entraînement physique était absent les premiers jours. Il s’organise par réseaux de sociabilité. Des gens connus au DPS lancent :  » Ce soir, justement je vais faire ceci ou cela, veux-tu venir avec moi ‘  » C’est à travers ces réseaux de sociabilité que l’on m’a proposé de participer à des collages d’affiches.
M. le Président : Vous faisiez donc des entraînements physiques ‘
Mme Fiammetta VENNER : Oui, mais l’on ne peut dire réellement que c’était à l’intérieur des DPS ; c’était avec les DPS mais l’organisation relevait simplement de réseaux de sociabilité. Tel est l’intérêt principal des DPS, c’est-à-dire que, d’une certaine façon, tout DPS peut être lâché. Officiellement, personne n’a demandé à un DPS d’utiliser une matraque électrique ; en revanche, tout l’y incite. M. le Président : Comment en êtes-vous sortie ‘
Mme Fiammetta VENNER : Je n’ai donné ni mon adresse ni mon numéro de téléphone et, au bout de quelques semaines, je suis partie. J’étais à un endroit de l’Ile-de-France assez éloigné de Paris.
M. le Président : Avez-vous été inquiétée depuis ‘
Mme Fiammetta VENNER : Pas directement par les DPS, mais la DPS est un groupe qui a recruté beaucoup de gens. Considérez-vous que Holeindre fait partie des DPS ‘ Il a fait partie de la structure qui a créé le DPS.
Oui, j’ai été inquiétée par des membres du Front National, mais sur d’autres enquêtes que j’ai pu mener ou publier, soit dans mon journal, soit dans d’autres. On ne sait jamais pourquoi les gens peuvent vous inquiéter.
M. le Rapporteur : Si l’on vous montrait des matraques électriques destinées au gros bétail, seriez-vous en mesure de les reconnaître ‘
Mme Fiammetta VENNER : Je ne savais même pas que l’on pouvait utiliser des matraques électriques pour gros bétail !
M. le Rapporteur : C’est en général un petit instrument tenu au bout d’une perche.
Mme Fiammetta VENNER : C’est un peu plus grand qu’une cassette audiovisuelle, moins large, cela tient dans une main.
M. le Rapporteur : Vous évoquez les relations entre le DPS et l’OEuvre française, qui regroupe tous les avatars de l’extrême-droite fasciste.
Mme Fiammetta VENNER : Ils ne sont pas fascistes, plutôt néo-nazis.
M. le Rapporteur : Effectivement, avec la famille Sidos et ses différents avatars.
Quelles sont ces relations ‘ Organiques ‘
Mme Fiammetta VENNER : Non, en revanche, j’ai vu des militants de l’OEuvre française dans des réunions régionales des DPS. En outre, j’ai noté les mêmes assurances d’impunité de certains lieux de la part de la police, impunité aussi si l’on agissait entre telle et telle heure, parce que tel policier ne ferait rien. J’avais déjà entendu de telles phrases au sein de l’OEuvre française, dont j’avais essayé d’interviewer les membres quatre ans auparavant.
M. le Président : Qu’entendez-vous par  » tel policier ne ferait rien  » ‘
Mme Fiammetta VENNER : Il en va de même des commandos anti-avortement : vous ne pouvez savoir s’il s’agit de sentiments ou d’une réalité. Pour les commandos anti-avortement, Xavier Dor déclare :  » Dans tel commissariat, je suis très bien reçu, dans tel autre très mal. « . C’est là le sentiment d’une personne suite à la façon dont ses interlocuteurs la reçoivent.
Dans le cas précis, il semblait que c’était des alliés à l’intérieur de la police ou au sein de rondes de policiers. Mais l’on sait que la présence de l’extrême-droite chez les policiers, si elle n’est pas totale, est importante. Je suppose donc qu’ils ne font pas que voter. En tout cas l’OEuvre française, au moment où j’y suis allée, en 1991 ou 1992, revendiquait parmi ses membres environ 65 % de policiers et jamais l’OEuvre française n’a eu la prétention de représenter les policiers d’extrême-droite. Ce n’est pas la FPIP ni le Front National de la Police, qui est complètement minoritaire et n’existe qu’électoralement. Il ne comprend que vingt ou trente personnes ; ce sont juste les déçus de la FPIP, qui n’ont pas eu le pouvoir qu’ils estimaient leur être dû au sein d’un syndicat de police.
M. le Président : Pendant que vous étiez au DPS, avez-vous participé à des actions ‘
Mme Fiammetta VENNER : Oui, des actions de protection dans le cadre de collages d’affiches, mais rien de semblable en violence avec ce que l’on pouvait connaître à Marseille, par exemple.
On associe assez fréquemment la DPS à l’assassinat de Ibrahim Ali à Marseille. Il semble que ce ne soit pas le cas, dans la mesure où les DPS ont vraiment essayé d’éviter la présence d’armes, mais il aurait pu y avoir des matraques, des instruments plus contondants, tout le matériel de camping dont je vous ai parlé tout à l’heure.
M. le Président : Vous dites  » la DPS « .
Mme Fiammetta VENNER : Ce sont là des initiales qui peuvent se traduire par le  » Département police et sécurité  » ou la  » Division protection, sécurité « . Ce qui amuse les personnes de la ou du DPS consiste à changer les noms suivant ce qu’elles ont envie d’en faire.
M. le Président : Vous disiez que le DPS disposait de moyens importants. Vous avez cité la possibilité de louer des salles d’entraînement.
Mme Fiammetta VENNER : Le témoignage de Bob montre qu’à Toulon, c’est la mairie qui leur prête la salle. Là où je suis allée mener mon enquête, le DPS louait des salles d’entraînement à des entreprises du genre  » gymnase club  » pour la soirée ou pour la nuit.
M. le Président : Pour l’entraînement des membres du DPS ‘
Mme Fiammetta VENNER : Pour l’entraînement. Je ne pense pas que les personnes qui louaient les salles d’entraînement connaissaient l’utilisation qui allait en être faite. La location était réglée en liquide.
M. le Président : C’est ce que vous appelez de la sociabilité ‘
Mme Fiammetta VENNER : En effet.
M. le Rapporteur : Vous avez parlé du journal Police et sécurité magazine. Avez-vous eu connaissance d’une société de publicité collectant la publicité pour ce journal ‘
Mme Fiammetta VENNER : Officiellement, la société avait une société de presse qui ramassait les pourcentages qu’elle gardait pour elle ; c’est ce que prétendent les dirigeants. Or, quand on regarde les comptes de la société de presse, on s’aperçoit que 90 % des sommes reçues sont renvoyés en frais divers. Je ne crois donc pas une seconde que Police et sécurité magazine ait offert sur un plateau à une société de presse indépendante la possibilité de s’enrichir, d’autant que si l’on se réfère aux chiffres que l’on peut trouver sur le serveur 3617Verif, cette société a rendu l’argent.
Tout le monde s’est trompé sur la loi portant financement des journaux syndicaux de police. Police et sécurité représentait à l’époque environ 7 % d’électeurs, ce qui n’est pas négligeable. Il prétend distribuer le journal à 40 000 exemplaires, ce qui est totalement exagéré ; il est publié à 1 000 ou à 2 000 exemplaires.
A l’époque, tous les syndicats vivaient de la publicité. Lorsqu’ils sont nterviewés, les syndicalistes de droite et de gauche éclatent de rire et déclarent :  » Un syndicat policier ne peut céder la totalité de ses bénéfices à une société de presse indépendante. C’est de la pure fiction !  »
On s’aperçoit – c’est pourquoi ils ont été condamnés – que les membres de la société de presse bénéficiaient de cartes de police. Peut-être étaient-ils commerciaux, mais plusieurs ont été interpellés avec des cartes de policiers prêtées par les membres de la FPIP. Peut-être faudrait-il interroger ces derniers sur la question. Je pense qu’il serait intéressant de les entendre au sujet des prêts de matériels policiers auxquels ils procèdent.
M. le Rapporteur : A quelle époque cela se situait-il ‘
Mme Fiammetta VENNER : La FPIP a arrêté son journal polycopié en 1989. Le premier exemplaire de Police et Sécurité Magazine est paru le 1er janvier ou mars 1991. Quoi qu’il en soit, fin 1990-début 1991. C’est à partir de ce moment que les publicités paraissent et cela jusqu’en 1995-1996 et que la FPIP est interdite. Aujourd’hui, seules paraissent quelques publicités, tout à fait légales. Il s’agissait d’une pratique courante dans ces années-là, mais ce qui est plus étonnant est qu’EDF n’a jamais financé la CUP, Alliance ou un syndicat de droite. La FPIP était le syndicat qui recevait le plus de publicités. Or, quand on lit Police et Sécurité Magazine, on est impressionné par le nombre de pages incitant à la haine.
M. Jacky DARNE : Etiez-vous au sein du DPS lorsque vous avez interviewé celui que vous appelez Bob ‘ En quelle qualité l’avez-vous interrogé ‘
Mme Fiammetta VENNER : Non, je n’étais plus au DPS ; je l’ai interviewé en tant que journaliste.
M. Jacky DARNE : C’était donc postérieur à votre participation au DPS. Lui-même était-il alors au DPS ‘
Mme Fiammetta VENNER : Non, c’était un transfuge, il avait été renvoyé du DPS après avoir postulé auprès de M. Jean-Marie Le Chevallier du fait que des personnes armées faisaient partie des DPS. C’est pourquoi je pense que les dates qu’il livre sur son appartenance à l’UMI sont fausses.
M. Jacky DARNE : A quel moment a eu lieu cet entretien ‘
Mme Fiammetta VENNER : En février 1997.
M. Jacky DARNE : Le matériel d’enregistrement a été cassé. Pourquoi ‘ Parce que l’entretien s’est mal passé ‘ Est-il tombé en panne ‘ Quelles ont été les circonstances ‘
Mme Fiammetta VENNER : Le matériel a été cassé par un membre du DPS, autre que Bob, qui s’est énervé à un moment sur mon magnétophone.
M. Jacky DARNE : A cause de vos questions ‘
Mme Fiammetta VENNER : Non, à cause des réponses. L’entretien a duré quasiment cinq heures. C’est pourquoi je ne puis en parler précisément si ce n’est évoquer les grands thèmes. M. Jacky DARNE : Vous avez indiqué qu’il avait été recruté par la municipalité de Toulon. A quel moment ‘
Mme Fiammetta VENNER : Son témoignage n’est pas clair sur le sujet. Il déclare avoir été recruté à l’arrivée de M. Le Chevallier. Il ajoute :  » A partir du moment où l’on est arrivé au pouvoir, on a donné des postes à qui on voulait.  » Il était donc forcément là avant.
M. Jacky DARNE : Que fait-il actuellement ‘
Mme Fiammetta VENNER : Je l’ai interviewé en 1997. J’ai vérifié son témoignage en 1998 au moment où Libération a publié un article, afin de mieux comprendre les questions soulevées par les journalistes. Il travaillait toujours dans une société de gardiennage pour des entreprises, à l’autre bout de la France. Je l’avais rencontré à Grenoble la première fois.
M. Jacky DARNE : Vous êtes restée peu de temps au DPS. Vous avez indiqué que vous aviez créé un centre d’études et d’observations. Le DPS est-il resté dans votre champ d’observation ou avez-vous abandonné, après parution de l’article dans Charlie Hebdo, le suivi de l’activité DPS ‘
Mme Fiammetta VENNER : A priori, je ne sais pas grand-chose de l’activité de la DPS aujourd’hui. Je m’y intéresse en tant que citoyen un peu plus informé que les autres, certes, mais je n’ai pas mené d’autres enquêtes. La mienne s’est achevée en mars lors du Congrès de Strasbourg.
Ce qui me paraissait dangereux était le port d’uniformes permettant aux DPS d’interroger des gens dans la rue, d’intervenir face à des personnes qui ne leur paraissaient pas françaises. Cela s’est avéré exact au mois de mars, puisque quatre personnes ont été arrêtées, dont trois DPS. A ce moment-là, mon enquête était, d’une certaine façon, terminée. Mon hypothèse s’est révélée juste et vraie.
Je ne suis pas informée des buts de votre Commission, mais c’est en mars 1997 que la DPS aurait dû être dissoute. Aujourd’hui, où est la DPS ‘ M. Bernard Courcelle a démissionné. A l’heure actuelle, la DPS qui me semble dangereuse est celle de M. Bruno Mégret. On a d’ailleurs pu le constater à la télévision il y a quelques jours, s’agissant des personnes qui protègent M. Bruno Mégret en province. Mais ce n’est pas le résultat de l’enquête, plutôt une impression.
Il sera difficile de parler du DPS aujourd’hui, dans la mesure où les principaux commanditaires ne sont plus là où ils devraient.
M. le Président : Lors de votre passage au DPS, des règles disciplinaires présidaient-elles au fonctionnement du groupe ‘
Mme Fiammetta VENNER : Concernant le langage essentiellement, mais là encore, sans doute est-ce dû au fait qu’il s’agissait du DPS féminin. Il convenait de dire certaines choses et pas d’autres, d’apprendre à être cohérents dans le discours à tenir face aux médias. Quant à la hiérarchie, je l’ai perçue dans les souvenirs évoqués par les garçons. Les plus jeunes expliquaient qu’ils étaient directement redevables à M. Bernard Courcelle, les plus vieux à M. Jean-Marie Le Pen. C’est plutôt de l’extérieur que j’ai perçu la hiérarchie du DPS, c’est-à-dire la répartition en zones, à l’instar d’une petite armée, la hiérarchie entre chefs départementaux, régionaux et nationaux. Au niveau local et à celui d’une petite cellule, ce n’était pas aussi net, mais je ne suis pas restée suffisamment longtemps. Ce type de définition hiérarchique doit transparaître davantage au moment des grandes manifestations, des grands meetings, des BBR ou à l’arrivée de M. Jean-Marie Le Pen dans une ville et doit être davantage perceptible quand on est un garçon.
M. Robert GAÏA : Disposez-vous d’un organigramme du DPS féminin ‘
Mme Fiammetta VENNER : Non.
M. Robert GAÏA : Connaissez-vous Mme Itoiz ‘
Mme Fiammetta VENNER : Non. Mon premier contact est plutôt  » mixte « . Je ne suis pas restée suffisamment longtemps pour percevoir toutes les réalités du DPS. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas un organigramme et une hiérarchie.
M. Robert GAÏA : A votre entrée au DPS, vous a-t-on fourni un vade-mecum du DPS ‘
Mme Fiammetta VENNER : Non, on m’en a parlé, mais de l’extérieur.
M. Robert GAÏA : Vous n’avez rien vu d’écrit.
Mme Fiammetta VENNER : Non, excepté un organigramme où le DPS apparaît directement responsable auprès du Président et non auprès du bureau.
Quant au recrutement des personnes du DPS, l’utilisation d’écrits me semble fort peu répandue.
M. le Président : La dimension raciste et xénophobe du Front National se percevait-elle au sein de votre groupe ‘
Mme Fiammetta VENNER : Oui, tout à fait, de la même façon que dans les groupes de skinheads. Ce n’était pas un racisme construit comme il peut l’être dans les réunions de militants mais d’un racisme plus ancré et plus radicalisé par la présence des skins filles.
M. André VAUCHEZ : Sans doute n’avez-vous pas vu de papiers, parce qu’ils craignaient quelque chose de vous.
Mme Fiammetta VENNER : C’est possible.
M. André VAUCHEZ : Il ne doit pas être facile de vivre une telle situation. Vous avez dû totalement changer de personnalité.
Mme Fiammetta VENNER : C’est vrai. Je ne mène plus ce type d’enquête.
M. André VAUCHEZ : Vous avez précisé que l’on aurait pu avoir une action contre le DPS en 1997. C’est pourquoi nous nous interrogeons.
Selon vous, quelles sont les facettes du DPS qui tombent sous le coup de la loi de 1936 ‘
Mme Fiammetta VENNER : Essentiellement le port de l’uniforme appartenant à la fonction publique.
J’ai étudié en détail la loi de 1936. Je ne suis ni législateur ni spécialiste en droit. Il me semble toutefois que l’utilisation par un certain nombre d’individus d’uniformes et d’instruments relevant officiellement de la force publique est répréhensible.
S’agit-il de la milice privée d’un parti ‘ Oui, mais comment le prouver, hormis sur la base de témoignages privés ‘ J’ignore qui vous avez auditionné. Je suppose que vous avez entendu les trois personnes arrêtées à Strasbourg.
Le sentiment d’appartenance à un groupe organisé me paraît un élément à approfondir. On relève dans les entretiens avec les membres du DPS qu’ils ont le sentiment d’appartenir à une classe plus armée, plus organisée et plus apte au  » coup de poing « , ce qui constitue la preuve qu’il existe une milice.
Y a-t-il des armes ‘ Non.
M. André VAUCHEZ : Le sentiment d’appartenance ‘
Mme Fiammetta VENNER : En cela, je pense que des entretiens avec des anciens du DPS peuvent se révéler utiles.
La définition d’une milice au sens de la loi de 1936 est, en effet, compliquée. Dès lors qu’est organisé un service d’ordre, qu’il est musclé, il tombe quasiment sous le coup de la loi – en tout cas, vous pouvez l’utiliser. Que vous ayez envie de le faire ou non est une autre question. On l’utilise quand on veut dissoudre Ordre nouveau ou la LCR. Il n’est guère difficile de prouver que c’est un service d’ordre, qu’il est musclé. Mais vous pouvez aussi utiliser la loi à l’encontre de services d’ordre autres que ceux situés à l’extrême-droite. Après, la décision de dissoudre ou non ce service d’ordre est politique. Quant à considérer qu’il s’agit d’une milice… J’ai été élevée au Liban pendant la guerre. Il est vrai que cela ne ressemble pas à une milice de 1975, armée jusqu’aux dents, au Liban. Mais mon critère de référence n’est pas forcément un critère démocratique. Il n’en reste pas moins que c’est plus impressionnant qu’un service d’ordre normal d’un parti conventionnel, habilité à aller jusqu’à l’Assemblée nationale. Il vous appartient en tant que pouvoir politique de le déterminer. En 1997, l’Etat disposait de suffisamment d’éléments pour faire ce qu’il voulait du DPS.
M. André VAUCHEZ : Vous paraît-il dangereux pour la société ‘ Vous avez dit que ses membres avaient conscience de se défendre, que les armes étaient prohibées, y compris dans le troisième groupe. Imaginez que les armes soient distribuées ; pourraient-ils devenir très dangereux ‘
Mme Fiammetta VENNER : Evidemment. Il faudrait y ajouter les membres du Parti nationaliste français européen et les résidus de L’OEuvre française. En revanche, je n’y intègre pas les skinheads.
M. Robert GAÏA : Et le GUD ‘
Mme Fiammetta VENNER : C’est assez compliqué. Le GUD est davantage porté aux actions  » coups de poing « . Le recrutement étant annuel, cela dépend, mais ce sont davantage des gamins-adultes révoltés qui font le coup de poing ; dans vingt ans, ils seront avocats ou ministres !
Il est tout à fait différent d’être éduqué au Parti nationaliste français européen et d’être au GUD. Les membres du GUD sont étudiants ; ils sont dans une université, non dans un château, en province, en train de tirer sur des pigeons toute la journée !
Pour répondre clairement à votre question : oui, ils sont dangereux, même sans armes, d’où l’intérêt pour eux du close-combat.
M. le Président : Vous disiez que l’on pourrait dissoudre d’autres services d’ordre de partis. Avez-vous eu des contacts avec eux ‘
Mme Fiammetta VENNER : Quand on sait que certains membres de la DPS sont momentanément engagés par d’autres services d’ordre de syndicats ou de partis, on se doute qu’ils n’oublient pas leurs matraques, leurs gants plombés, ou leurs coups de poing américains au placard !
Si vous suiviez un service d’ordre d’un parti quelconque sur un an et que vous procédiez à un contrôle de  » dopage aux armes « , vous finiriez par trouver des éléments qui ressemblent au DPS, puisqu’il s’agit des mêmes personnes, certes pas toujours ; mais c’est le cas de certaines, pour lesquelles, être engagées, à un moment donné, pour assurer la sécurité d’un lieu, est un moyen de gagner leur vie.
M. le Rapporteur : Les chaînes de vélo sont-elles toujours en usage au DPS ‘
Mme Fiammetta VENNER : Je n’en ai pas entendu parler lorsque j’ai fait récapituler à Bob les accessoires de matériel de camping. Les seules armes me paraissant étrangères à du matériel de camping étaient la matraque électrique et la batte de base-ball – quoique l’on puisse faire du base-ball au camping !
M. le Président : Madame, je vous remercie. Nous sommes preneurs de tous documents que vous pourriez nous laisser aujourd’hui ou nous faire parvenir plus tard.
M. le Président : Madame, nous vous remercions.

mardi 16 mars 1999