En route vers le droit de choisir (Caroline Fourest, Fiammetta Venner)

Pour le premier numéro, vous avez été nombreux à réagir… viscéralement ! Sur la mise en page, vous nous avez doctement fait remarquer qu’elle était trop espacée – trop serrée, trop sérieuse – pas assez, les caractères trop petits – trop grands… Aussi, en bons prochoix que nous sommes, nous avons choisi de n’en faire qu’à notre tête en nous rassurant d’un « le journal interpelle, c’est l’essentiel ! »

Et puis sur le fond, les réactions furent globalement agréables. Vous avez été beaucoup à comprendre qu’être prochoix était l’occasion d’un élargissement du combat féministe antifasciste, le moyen de faire progresser l’idée d’une gauche ambitieuse tout en contrant les provie sur tous les terrains. Pas seulement sur l’avortement et la contraception, mais aussi sur les PMA, le droit de choisir sa sexualité, son pays, son mode de procréation, son environnement, sa mort, ses conditions de travail.

Moins agréables ont été les réactions frileuses de personnes -pourtant socialement désignées comme intéressées aux réalités sociales- et qui nous ont rabâché des arguments pour tout dire assez décevants.

Mais avant toute chose, nous profitons de ce moment pour rappeler que ce journal s’appelle Prochoix et non pas Provie comme l’affirment nos critiques les plus zélés. Ceci mis au point, la première remontrance fut de nous reprocher de nous construire en réaction aux provie. Plutôt amusant quand l’un des objectifs principaux du journal est d’encourager la redéfinition de la Gauche vers une adhésion indéfectible et intransigeante au plus ambitieux des droits : celui de choisir sa vie Mais peut-être ne faut-il pas chercher à être meilleurs sous prétexte que nos adversaires sont des salauds ? Et peut-être aussi ne faut-il pas les combattre ? Signalons au passage que depuis Don Quichotte et ses moulins à vent, il est d’usage, lors d’une confrontation, de livrer bataille sur le même terrain que ses adversaires… La seconde critique consiste à nous soupçonner d’avoir inventé le terme prochoix pour se calquer sur les Américains. Une brillante analyse qui fera sans soute sourire de nombreuses associations de Clermont-Ferrand, de Lyon et d’ailleurs… constituées en collectif pour le droit de choisir depuis le début des années 90 ! Sans parler de Choisir de Gisèle Halimi qui date tout de même des années 70… N’en déplaise à certain(e)s, des comités et militants prochoix existent bel et bien en France. D’ailleurs les contraindre à changer de nom (et une insistante pression cherche à les y encourager), n’y changera rien. L’éventail de leurs luttes montre bien que leur militantisme ne concerne pas seulement les femmes ou l’avortement, mais la société toute entière. Quant à la hantise de faire comme ces « sales ricains », faisons juste remarquer que nous avons effectivement deux ou trois choses à leur envier. Non pas leur libéralisme sauvage mais sûrement leurs études féministes et la force de leur mouvement prochoix : une quarantaine d’associations nationales qui ont su placer les préoccupations tant féministes qu’homosexuelles et anti-ordre naturel au centre des préoccupations politiques. Enfin, et pour éviter tout malentendu, nous tenons à préciser que Prochoix ne se sent en aucun cas dépositaire du mouvement pour le droit de choisir en France. D’ailleurs nous ne sommes ni un groupe ni même un collectif mais le simple lieu d’expression d’une réalité sociale à la disposition de tout militant, citoyen, élu ou journaliste désireux de se renseigner sur l’obscurité des provie et la lumière des prochoix.

Caroline Fourest & Fiammetta Venner

Paru dans ProChoix n°2 (janvier 1998)

lundi 12 janvier 1998

Choisir jusqu’à sa mort (Odile Dhavernas)

Mettre sa vie sous le signe de la responsabilité, de l’autonomie personnelle. Du choix, donc.

C’était bien ce que nous voulions lorsque nous réclamions la liberté de la contraception et de l’avortement. Disposer de notre propre corps, donner ou non naissance à un enfant, décider d’un mode de vie faisant sa part à la famille, aux responsabilités éducatives, ou l’excluant. Bref, maîtriser et diriger notre existence, en fonction de nos préférences, de nos aptitudes, de nos désirs.

C’est encore ce que veulent les personnes qui refusent d’accepter, pour elles-mêmes, la perspective d’une fin de vie qui serait marquée par des souffrances intolérables, le sentiment d’une déchéance liée à l’infirmité, à la dépendance, et qui revendiquent l’instauration du droit à l’euthanasie volontaire. Elles pourraient ainsi, le jour venu, si elles le demandent expressément et lucidement, obtenir l’aide à mourir de façon douce et paisible qu’aucun médecin, aujourd’hui, n’est en droit de leur procurer.

Je veux pouvoir refuser une agonie abominable, interminable, subie dans l’horreur, pour moi et pour mes proches. Je veux pouvoir dire : stop, on arrête tout, si mon existence n’est plus pour moi qu’un fardeau. Et pourquoi me l’interdit-on? Là encore, c’est mon corps, c’est mon choix. Libre aux autres de penser et de mourir autrement, sous assistance respiratoire, perfusions en tout genre ou au terme d’un long coma; mais si comme le dit la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, voilà une grande liberté qui mérite d’être reconnue et conquise. Avec l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), c’est ce que des milliers d’hommes et de femmes demandent, et obtiendront car tous les sondages montrent que la grande majorité des Français le souhaite. Alors, pourquoi la timidité à ce sujet, de la classe politique?

Une proposition de loi est déposée au Sénat : faisons-la voter.

Odile Dhavernas, Membre de l’ADMD,

103 rue Lafayette, 75010 Paris

mercredi 12 novembre 1997

Contre l’ordre moral… tout l’ordre moral (Nicole Sirejean)

Tous les défenseurs des droits de la personne savent que le Front national est un parti raciste, antisémite et xénophobe. Sur ces terrains, la frontière est assez bien tracée entre lui et les autres forces politiques du pays. Mais combien sont-ils, ceux qui prennent aussi en compte dans leur lutte contre l’extrême droite son sexisme, avec la remise en cause de droits si difficilement acquis par les femmes, ou son homophobie?

Seulement voilà ! Prenons l’homosexualité, par exemple! Pourchassée par les lois du régime nazi dès 1935, elle est encore aujourd’hui l’exclusion la mieux partagée par l’ensemble de la société car elle est victime de rejets ou de blocages à débusquer y compris chez d’authentiques démocrates. Le FN le sait et en profite. C’est en quelque sorte le maillon faible de la résistance à la remontée de l’ordre moral. Or, il devient urgent que les mentalités changent.

La sauvegarde de la démocratie dépend d’une forte solidarité entre tous les exclus désignés par le FN sans exception. Alors, n’excluons pas à notre tour et ne choisissons pas parmi les victimes potentielles du fascisme de n’en défendre que certaines. Toutes les personnes discriminées et pourchassées par le fascisme doivent jouir du même respect de leurs droits, de leur identité, de leur choix de vie. L’extrême droite sait exploiter la peur de chacun face à la différence de l’autre. C’est donc d’abord sur nos esprits qu’il ne faut pas lui laisser prendre le pouvoir, même si cela doit remettre en question certains fonctionnements de notre société patriarcale ou certains héritages de notre culture judéo-chrétienne. Une urgence de solidarité s’impose tout particulièrement dans notre belle Provence où les attaques contre l’homosexualité se multiplient. Trois exemples récents :

• En 1996, Colette Charlier, professeure de philosophie, diffamée par une lettre sur son lieu de travail, gagne un premier procès contre son auteur, un parent d’élève, militant du FN. Elle reçoit alors une seconde lettre, anonyme, au texte ordurier et menaçant, violemment sexiste, homophobe et antisémite, revendiquée par des amis du condamné. Elle a déposé une deuxième plainte et nous sommes huit associations marseillaises à nous être portées partie civile à ses côtés (Centre évolutif Lilith, Codi, Ldh, Licra, Mrap, Planning familial, Sos Racisme, Snes 13).

• Au printemps 1997, Olivier V., un jeune enseignant homosexuel d’un lycée de Marignane est menacé dans sa carrière par des dénonciations écrites auprès du Rectorat signées : « des parents d’élève de Marignane »… Une campagne de pétitions de soutien a été lancée. • En juillet 1997, Régine Juin, directrice du cinéma « Les Etoiles » à Vitrolles, est licenciée pour avoir refusé de déprogrammer une série de films sur le sida et sur l’homosexualité. Raison : refus d’obéissance ! Elle a assigné son employeur, la mairie, devant le tribunal des Prud’hommes. L’affaire a été reportée au mois de mars 1998. Elle aura aussi besoin d’un large soutien.

Alors, sachant que ce qui n’est pas nommé n’existe pas, la mention de l’homophobie ne doit plus être omise quand nous dénonçons les atteintes aux libertés et aux droits fondamentaux de l’être humain par le FN. Un mouvement prochoix n’est possible qu’à ce prix.

Nicole Sirejean, Centre Evolutif Lilith,

18 cours Pierre Puget 13006 Marseille Tel : 04 91 55 08 61

Paru dans ProChoix n°1 (décembre 1997)

Choix et Morale (Christian Terras)

Entrer dans une perspective prochoix suppose de remettre en en mouvement la «morale», pour qu’elle réponde à sa finalité, celle d’une fraternité sans jugement. Tant de conduites morales, véhiculées par nos sociétés dites chrétiennes, en matière de sexualité mais aussi en bien d’autres domaines, sont des conduites toutes faites, prêtes à porter, et insuffisamment inventoriées et critiquées dans une expérience exigeante de foi et d’amour.

Extrapolons, pour sortir du seul domaine de la sexualité : la nourriture, la conception de la santé, l’usage de l’argent, la consommation, la relation en circuit social plus ou moins fermé etc., combien de domaines où nous nous contentons souvent de comportements traditionnels, sans trop d’inventaire, alors que l’urgence d’une fraternité sans frontières frappe à nos portes, pour un grand réaménagement amoureux. En écrivant ces mots, j’ai dans le collimateur mon propre mode de vie, non celui de quelque lecteur. À chacun sa lumière, et à chacun son courage et son amour, ni plus ni moins.

Ce que je voudrais seulement indiquer ici est une évidence : pas de rencontre un peu profonde et chaleureuse avec « l’étranger » (par le mode de vie, la classe sociale, etc.) qui ne passe par le bouleversement de quelques-uns de nos « acquis socioculturels » dont la validité apparente doit plus à leur pétrification par l’habitude et le qu’en dira-t’on, qu’à l’amour de la vie et des autres qui est censé les nourrir. Ainsi en va-t-il de la sexualité. La vivre le plus amoureusement possible (nul n’est complètement maître de son destin), est sans doute la condition première pour accepter que l’amour, chez autrui, prenne des chemins un peu différents.

Du point de vue chrétien qui est le mien à Golias, quelle Église vivante, aujourd’hui, pourrait se dispenser de ce discernement jamais arrêté, toujours à poursuivre? Entre «sagesse nouvelle » et « sagesse ancienne».

Christian Terras, rédacteur en chef de Golias,

BP 3045, Villeurbanne Cedex. Tel : 04 78 03 87 47.

Paru dans ProChoix n°1

mercredi 12 novembre 1997

Un mouvement « prochoix » ? Pourquoi et sur quelles bases ? (Claudie Lesselier)

Les mouvements anti-IVG qui s’auto-désignent « pour la vie » animent en fait un combat pour le maintien ou la restauration d’un ordre naturel et divin qui est à l’opposé de tout projet d’émancipation et de libération. Pourtant les mouvements provie ainsi que le FN ou la droite extrême ne prétendent-ils pas défendre une liberté de choix : « choix » de rester au foyer pour les femmes, « choix » de l’école privée pour les parents etc… Ils combinent dans un discours à géométrie variable « libéralisme » (au sens du libéralisme économique) et encadrée dans les structures dites « naturelles », comme la famille, et les appartenances, dites aussi naturelles (ethniques, nationales…), repliée sur elle même contre la menace du « mondialisme », nourrie de l’héritage du corporatisme et poursuivant la recherche de cette fameuse « troisième voie » nationale et sociale qui fût celle du fascisme. Le néo-libéralisme, doctrine et pratique du tout-marché, du tout marchandise, du « laisser faire-laisser passer » et de la dérégulation peut quand à lui mettre en avant le thème du choix, de la liberté, de l’individu et de ses droits. Mais est-ce dans le même sens que nous ?

Pour les libéraux, la liberté et le choix s’inscrivent dans le cadre d’une société inégalitaire fondée sur la recherche du profit et le pouvoir du plus fort et du plus riche, et le droit de l’individu s’exerce contre la solidarité et l’intérêt collectif. Cette rhétorique, de plus, ne va pas jusqu’au bout de sa logique (que font-ils contre la norme hétérosexuelle ? Que font-ils pour combattre les rapports de dépendance dans la sphère dite privée ?), en tous cas en Europe où n’existe guère un courant semblable à celui des « libertariens » américains. Et même si c’était le cas, cela ne changerait rien à la question de fond. Pour nous la liberté de choix implique l’égalité des droits et des chances, l’autonomie de l’individu, et cela dans une égale participation à la construction et à l’évolution de la société. La liberté est une aspiration revivifiée après les dérives du courant autoritaire du socialisme : le libéralisme n’est pas la liberté, tout au plus celle de la minorité privilégiée, celle des maîtres. Autour du combat pour le choix, dans tous les domaines et avec les moyens de choisir, dans l’égalité, contre les prétendues contraintes « naturelles » (qui sont en fait la construction sociale et culturelle de la domination). Il est possible, mais à condition de bien se démarquer du libéralisme, de contribuer à construire une alternative à la société oppressive, inégalitaire, injuste que nous connaissons.

Claudie Lesselier, co-éditrice avec Fiammetta Venner de L’extrême droite et les femmes (Golias).

mercredi 12 novembre 1997

Etre « prochoix » face aux « provie » (Caroline Fourest)

Au croisement de deux conceptions radicalement différentes de la vie, le droit à l’IVG a mis en présence deux mondes qui s’observent et s’affrontent. Ceux que nous considérons aujourd’hui encore comme des anti-IVG, revendiquent le terme de provie. Refusant à juste titre de passer à l’inverse pour des pro-mort, nous leur avons refusé cette appellation pourtant très révélatrice des leurs véritables ambitions… Farouchement attachés à l’idée d’un ordre naturel, divin et/ou biologique, l’avortement apparaît avant tout aux yeux des provie comme un sacrilège, une profanation de cet ordre intangible et sacré. Un ordre naturel qui ne peut bien évidemment se faire qu’au détriment des femmes appropriées en vue de la reproduction et où la maîtrise de la fécondité, pilier majeur de la libération des femmes, déconstruit l’image de LA femme naturellement soumise et destinée à subir son horlogerie biologique ! Enfin, l’IVG est une façon révolutionnaire de penser la nature au service de l’humain et non pas le contraire.

La nature copyrightée par le Vatican ?

Cette conception naturaliste où les femmes sont obligatoirement complémentaires des hommes en vue de la reproduction n’est pas nouvelle… Ce que l’on sait moins c’est que poussée à son terme, la doctrine provie tend à considérer que tout ce qui peut être un obstacle à la complémentarité mâle-femelle et à la procréation est un « attentat à la Vie ». La contraception et l’avortement bien sûr, mais aussi le simple flirt, l’usage du préservatif, la relation hétérosexuelle non procréatrice ou pire la relation homosexuelle ! Une liste de « crimes » auxquels il faut ajouter tout ce qui remet en cause l’ordre naturel du « tu enfanteras » à « tu mourras » dans la douleur : de la péridurale au droit de mourir dans la dignité en passant par les procréations médicalement assistées… Bien sûr, comme dans tous les camps, plusieurs profils se croisent au sein du camp provie : certains ne sont pas forcément hostiles à toutes les évolutions de la Science, d’autres ? attachés à la pureté de la race ? n’ont même rien contre l’avortement des noires ! Certains, en revanche, ne sont pas fondamentalement racistes mais profondément natalistes et donc favorables à une appropriation de toutes les femmes, noires ou blanches, en vue du repeuplement de la planète ! d’autres comme le Pr Joyeux à Paris sont connus pour aimer la Vie au point de la prolonger en dehors de toute raison… enlevant un à un les organes d’un corps maintenu artificiellement en vie jusqu’à faire de lui un cadavre vivant! Mais tous ont en commun ce double attachement à l’ordre et à la nature qui les inscrivent de plein pied à droite et, en fonction de leur ferveur, à droite de la droite.

Le Choix de vies face à la Vie à tout prix La prise en compte de cette donne politique faisant des provie des représentants extrémistes d’un ordre naturel, biologique et divin, comporte un intérêt stratégique majeur pour nous qui prétendons leur faire barrage. Car dans le cas d’une opposition aux provie qui sommes nous ? Non pas les représentants du « désordre moral », comme ils voudraient le faire croire, mais peut-être l’incarnation d’une culture du Choix, basée sur une primauté des liens consentis sur les liens naturels, tendant plus vers l’égalité que vers la hiérarchie ordonnée et où l’indifférenciation des sexes, la transgression des genres est une étape fondamentale vers l’égalité. Plus qu’un débat en soi, les passions autour du droit à l’IVG révèlent une tension existant entre deux mondes, deux mouvements aux dynamiques opposées, deux pelotons partis courir, l’un à contre-courant et l’autre en avant de l’Histoire, avec pour objectif d’imposer son projet de société : la Vie à tout prix et par-dessus tout ou le Choix de vie et si possible celui d’une vie meilleure…

L’affrontement anti/pro-IVG n’est d’ores et déjà plus !

Dans le rapport de force qui nous oppose aux provie toutes catégories, il serait illusoire de croire qu’un simple mouvement pro-IVG fera durablement le poids. Au risque d’être dépassés par les événements, il est urgent que nous réalisions que l’affrontement anti/pro-IVG n’est d’ores et déjà plus ! Les provie attaquent… reste à savoir quels prochoix ils trouveront en face ? Pour tirer de toutes nos forces à l’autre bout de la corde, il faudra bien opposer à ces provie, un mouvement pro-choix à la hauteur, tout aussi progressiste qu’ils sont réactionnaires ! Et peut-être est-ce là le plus difficile. Au-delà de notre combat contre les provie, nous devons apprendre à considérer nos luttes ? qu’elles soient antiracistes, antisexistes, antihomopho-bes, pour l’environnement, pour les sans-papiers ? non plus comme devant primer les unes sur les autres, mais comme étant parties prenantes d’un même élan vers le Choix d’une vie meilleure. Un Choix qui s’étend à tous les choix de toutes les vies : le choix de l’avortement et de la contraception bien sûr, mais aussi le choix de sa sexualité, le choix de vivre dans un environnement agréable, le choix de son pays, le choix sa mort…

c’est dire si, au-delà d’une simple défense de nos acquis, l’affrontement qui nous oppose aux provie nous donne l’occasion d’inventer un mouvement prochoix passionnant et qui plus est, peut-être à la source d’une nouvelle gauche : ambitieuse, écologiste, égalitaire, féministe, antiraciste, antisexiste, antihomophobe… Une gauche qui n’empiète pas sur les idées de droite pour rassurer l’électorat lepéniste, une gauche à gauche, antidote à tous les provie, à toutes les extrêmes droites. Enfin !

Caroline Fourest

mercredi 12 novembre 1997

PROCHOIX n° 1 – décembre 1997

Le Premier EDITO de ProChoix ! par Caroline Fourest

« Prochoix ! Le droit de choisir, le choix de tous les choix… Depuis dix ans que l’arrière-garde provie s’est remis en tête de menacer nos droits, ce mot désigne plus que la défense de l’avortement et de contraception. Au delà d’un simple bras de fer avec des anti-IVG, nous défendons chaque jour (parfois sans le savoir), le droit de choisir sa vie, ses vies, face à ceux qui ne rêvent que de LA Vie au singulier… »

Enquête sur les provie (Fiammetta Venner)

Au cours d’une enquête menée en janvier 1995, près de 1000 questionnaires ont été soumis au mouvement provie : soit directement lors de commandos et sittings devant les cliniques, soit en étant envoyés à des adhérents provie via leurs associations. Fin janvier 1996, 220 questionnaires étaient réceptionnés dont 203 utilisables. l’article qui suit se propose d’analyser pour la première fois dans une publication les résultats de ce travail…

Etre pro-choix face aux pro-vie (Caroline Fourest)

En France, depuis dix ans que les commandos et les groupes anti-IVG ont lancé leur offensive contre l’avortement, tout se passe comme si le bras de fer ne devait se dérouler qu’entre pro et anti-IVG. Mais sommes nous bien toujours en face d’anti-IVG ? Et si nous étions en face de provie, ne faudrait-il pas songer à constituer un mouvement prochoix à la hauteur ?…

ProChoix : à nous d’inventer la vie qui va avec !

Sans souci de représentativité, nous avons demandé à quelques prochoix d’ouvrir avec nous le débat sur la diversité, la richesse et l’élan à donner à ce mouvement en France.

  • Claudie Lesselier : « Un mouvement ‘prochoix’ : pourquoi ? Et sur quelles bases ? »
  • Christian Terras : « Choix et morale »
  • Nicole Sirejean : « Contre l’ordre moral, tout l’ordre moral »
  • Odile Dhavernas : « Choisir… jusqu’à sa mort ! »

mercredi 12 novembre 1997

Attentat anti-avortement dans une clinique

Le groupe « Armée de Dieu » a revendiqué la responsabilité d’une explosion dans une clinique pratiquant des avortements à Birmingham (Alabama, sud) et qui avait causé la mort d’un policier, a rapporté mardi le New York Times citant une agence de presse internationale.

« L’explosion à Birmingham a été provoquée par l’Armée de Dieu. Avertissons une fois de plus ceux qui travaillent dans les moulins de la mort à travers la nation -vous serez visés sans quartier- vous n’êtes pas à l’abri des représailles », est-il écrit dans une lettre adressée au bureau à Atlanta d’une agence d’information internationale citée par le New York Times. L’attentat avait été perpétré dans la clinique New Women’s Health Clinic de Birmingham où partisans et opposants de l’avortement avaient par le passé organisé des manifestations. Les Etats-Unis ont connu en 1997 une recrudescence des actes de violence à proximité ou à l’intérieur de cliniques pratiquant des IVG

lundi 3 février 1997

Les commandos anti-avortement de 1987 à 1995

1987

10 janvier : Hôpital Tenon (Paris 20e) 24 janvier : Hôpital Béclère de Clamart (Hauts de Seine) 21 mars : Hôpital d’Eaubonne (Val d’Oise) 4 avril : Clinique Floréal de Bagnolet (Seine-St-Denis) 28 novembre : Clinique Alleray (Paris 15e)

1988

30 janvier : Centre Chirurgical de Montrouge (Hauts-de-Seine) • 27 février : Hôpital Béclère de Clamart (Hauts-de-Seine) 18 mars : Clinique des Maussins (Paris 19e) 28 mai : Clinique Albert-Premier de Rueil Malmaison (Hauts-de-Seine) 18 juin : Clinique Marignan (Paris 8e) 8 au 11 octobre : C’est la création de la Trêve de Dieu, plusieurs hôpitaux sont attaqués à Nancy, Strasbourg et Metz 19 novembre : Clinique des Martinets de Rueil Malmaison (Hauts de Seine) 17 décembre : Clinique des Chênes de Velizy (Yvelines)

1989

4 février : Clinique Marie-Louise (Paris 9e) • 18 mars : Clinique des Maussins (Paris 19e) 27 mai : Clinique de la rue du Coq Français (Les Lilas, Seine-Saint-Denis) 17 juin : Clinique Ile-de-France (Paris 17e) • 14 octobre : Clinique de la rue du Coq Français (Les Lilas) 27 novembre : Clinique Léonard de Vinci (Paris 11e) • 16 décembre : Clinique de la rue du Coq Français (Les Lilas)

  • 18 décembre : CHU de Nancy

1990

janvier : Maison de la naissance. Complexe hospitalier de Saint-Sébastien (Isère) 15 janvier : Clinique de la rue du Coq Français (Les Lilas) 5 février : Clinique Ordener (Paris 18e)

  • 9 février : Hôpital Corentin-Celton (Hauts-de-Seine)
  • 20 mars : Hôpital Huriez (Lille)

avril : Hôpital St-Jacques (Nantes)

  • 18 juin : Hôpital Broussais (Paris 14e)

• Clinique des Maussins (Paris 19e)

  • 17 septembre : Hôpital St-Louis (Paris 10e)

19 septembre : Hôtel-Dieu (Lyon) 22 septembre : Clinique Ste-Thérèse (Longeville-lès-Metz) fin octobre : Hôpital Ste-Croix (Nice)

  • 5 décembre : Hôpital de la Croix-Rousse (Lyon)

8 décembre : Clinique Labrouste (Paris 15e) 15 décembre : Hôpital de Tournon (Savoie) 17 décembre : Hôpital St-André (Bordeaux)

1991 : (14)

• 8 février : Hôpital Broussais (Paris 14e) •*? 12 avril : Hôpital Béclère (Clamart) 26 avril : Commando devant la Fédération protestante de France (Paris) 27 avril : Journée d’action dans plusieurs CIVG de la région parisienne 4 mai : Clinique Isis (Paris 13e)

  • ? 13 mai : Hôpital Tenon (Paris 20e)

25 mai : CHR (Orléans) 11 juin : Clinique de Bagatelle (Talence, Gironde)

  • 15 juin : Clinique Louis XIV de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines)

•* 21 juin : Hôpital Tenon (Paris 20e) 24 juin : Clinique Louis XIV (St-Germain en Laye) ? 1 octobre : Hôpital de Kremlin-Bicêtre 19 octobre : Clinique Marignan (Paris 8e) • 19 octobre : Hôpital Corentin Celton (Hauts-de-Seine) 9 novembre : Clinique non identifiée • 20 décembre : Hôpital Broussais (Paris 14e)

1992 : (17)

• 11 janvier : Clinique Ordener (Paris 18e) • 29 février : Clinique Ordener (Paris 18e) • 17 mars : Hôpital Broussais (Paris 14e)

  • 2 avril : Maison de la santé protestante de Nîmes (Gard)
  • ? 21 avril : Hôpital Louis Mourier de Colombes (Hauts-de-Seine)
  • 5 mai : Hôpital de Pau (Pyrennées Atlantiques)

5 mai : Hôpital de Lourdes (Hautes Pyrennées) • 7 mai : Clinique de Bagatelle de Talence (Gironde) •16 mai : Clinique de la rue du Coq Français (Les Lilas) • 29 mai :CHR Saint-André (Bordeaux) 21 juillet : Hôpital de Laval (Mayenne) • 29 septembre : Hôpital Corentin Celton (Hauts-de-Seine) 17 octobre : Clinique Spontini (Paris 16e) •? 7 novembre : Clinique Isis (Paris 13e) 24 novembre : Hôpital Pitié Salpetrière (Paris 13e)

1993 : (11)

•16 janvier : Clinique Marie Louise (Paris 9e) 6 mars : Clinique Bellefond (Paris 9e) • 27 mars : Clinique Ordener (Paris 18e) •15 mai : Clinique Marie-Louise (Paris 9e) •* 26 octobre : Hôpital de Laval (Mayenne) • 6 novembre : Clinique Isis (Paris 13e)

  • 13 novembre : Clinique La Providence (Bourg la Reine, Hauts-de-Seine)
  • 18 novembre : CH de Tours

27 novembre : Centre de santé des metallurgistes (Paris 11e) • 4 décembre : Centre de santé des metallurgistes (Paris 11e) •* 11 décembre : Clinique La Providence (Bourg la Reine, Hauts-de-Seine)

1994 : (15)

8 janvier : Clinique de la rue du Coq Français (Les Lilas) 29 janvier : Manifestation-commando devant l’hôpital Necker contre le Pr. Michèle Blachot (Paris 15e) •12 février : Manifestion-commando devant l’hôpital Béclère contre le professeur Frydman (Clamart) •19 mars : Manifestion-commando devant l’hôpital Béclère contre le professeur Frydman début juin : Clinique Ordener (Paris 18e) 9 juin : Clinique La Montagne (Courbevoie) 25 juin : Hôpital Floréal (Bagnolet) 13 septembre : Centre hospitalier Emile Roux (Puy en velay) •1 octobre : Clinique ISIS (Paris 13e)

  • 24 octobre : Hôpital Michalon (Grenoble)

26 octobre : Hôpital de Mâcon (Saône et Loire) 26 octobre : Hôpital de Roanne (Loire) 27 octobre : Hôpital de la Roche sur Yon 14 novembre : Maternité de la Salpétrière (Paris) 6 décembre : Hôpital Saint Jacques (Nantes) 12 décembre : Hôpital Corentin Celton (Hauts-de-Seine)

1995 (20)

•? 14 janvier : Clinique Ordener (Paris 18e) 18 janvier : Hôpital Louis Mourier (Colombes, Hauts-de-Seine) •* 25 janvier : Hôpital La Croix rousse (Lyon)

  • 25 janvier : Hôpital de l’Hôtel Dieu (Lyon)

•? 28 janvier : Clinique Ordener (Paris 18e) •? 11 février : Clinique Ordener (Paris 18e) 15 février : Hôpital Bléclère (Clamart) 21 février : Hôpital du Mans (Sarthe) •? 11 mars : Clinique Ordener (Paris 18e) ? 13 mars : CHR Clémenceau (Caen) •* 22 mars : Hôpital Béclère (Clamart) •? 25 mars : Clinique Ordener (Paris) 6 avril : Maternité Saint Damien (Mans) •? 9 avril : Clinique Ordener (Paris 18e) 10 avril : Centre d’orthogénie de Viriat (Ain)

  • 10 avril : Maternité Boucicault (Châlons sur Saone)
  • 10 avril : Maternité de l’hôpital Fleyriot (Bourg en Bresse)

•*11 avril : Hôpital de la Croix Rousse (Lyon) 20 avril : Alerte à la bombe à l’hôpital Antoine Béclère de Clamart 27 avril : CHR Clémenceau (Caen) •? 29 avril : Clinique Ordener (Paris 18e) •? 6 mai : Clinique Ordener (Paris 18e) •*12 juin : Hôpital de la Croix Rousse (Lyon)

samedi 7 octobre 1995

Liste reprise du livre de Fiammetta Venner, L’opposition à l’avortement du lobby au commando, 1995, Berg international

La parité, enfant bâtard de la Sofres et du suffrage? (Odile Dhavernas)

Ce texte ne prétend pas présenter une critique globale de la notion de parité, mais seulement, dans une première approche, mettre en évidence l’incompatibilité de la parité avec certains fondements de la démocratie telle qu’on l’a conçue jusqu’ici. En abandonnant ces fondements, on n’« améliore » pas la démocratie, on ne la rend pas plus « authentique », on change de système politique. En effet, l’enjeu de la réforme proposée n’est rien de moins que la nature du rapport entre le corps électoral et l’élu(e). Si les militantes de la parité entendent dépasser le simple mot d’ordre pour accéder à la théorie politique, elles ne pourront pas faire l’impasse sur ce débat. Les réflexions qui suivent les y convient amicalement.

Les femmes qui ont lancé le thème de la parité et qui militent pour qu’une loi établisse celle-ci partent d’un constat irrécusable: la quasi-absence des femmes de la vie politique et des institutions. fi n’est pas douteux que cette situation est injuste à l’égard des femmes et cause un grave préjudice à la société entière. Il faut d’ailleurs, ajoutent-elles, voir dans ce déséquilibre une des raisons de la crise de la démocratie, caractérisée par le fossé qui s’aggrave entre la société et la classe politique. C’est au nom d’une démocratie nouvelle et véritable que les « paritaristes » mettent en cause la « conception traditionnelle » de la démocratie, qui s’est purement et simplement construite sur l’exclusion des. femmes: pour elles, la démocratie sera paritaire ou ne sera pas.

Il s’agit d’assurer le «partage égalitaire du pouvoir entre les sexes » ; les femmes ont un droit égal à celui des hommes de participer aux institutions politiques; et, puisque les hommes ne sont pas disposés à partager le pouvoir spontanément, il y il lieu de les y contraindre en décrétant que toutes les assemblées élues devront comporter autant de femmes que d’hommes. Cette mesure autoritaire se justifie parce que les femmes ont été exclues des institutions politiques «en tant que femmes » ; c’est donc « en tant que femmes» qu’il convient de les y réintégrer. Devançant une critique que l’on n’allait pas manquer de leur faire, les militantes de la parité contestent que leur proposition comporte en germe une parcellisation du suffrage, un éclatement de la collectivité nationale en diverses catégories qui exigeraient à leur tour des sièges réservés au Parlement: les femmes, disent-elles, ne sont pas une catégorie sociale, ni une collectivité, mais la moitié de l’humanité, laquelle se compose de deux sexes irréductibles l’un à l’autre. Ce discours peut séduire. Il a le mérite de rappeler les exigences fondamentales d’égalité des femmes, de souligner la force des symboles et de remobiliser dans une époque par ailleurs assez terne. Cependant, si l’on examine de plus près, si on analyse certaines de ses présuppositions et de ses conséquences, le projet apparaît pour le moins inquiétant. Il soulève notamment deux problèmes majeurs: celui de la légitimité démocratique et celui des rapports entre la fin et les moyens en politique. La légitimité démocratique

1. Le double sens d’un verbe Ce qui fait la différence entre un régime dit démocratique et un régime qui ne l’est clairement pas, c’est que, dans le premier, le peuple est censé se gouverner lui-même par ses représentants. Et nous voilà d’emblée au coeur du problème: qu’est-ce qu’un(e) représentant(e) du peuple ? Quel est le contenu de la notion de représentation nationale? Le verbe « représenter» a, en français, deux sens parfaitement distincts. Au premier sens, représenter quelqu’un, c’est avoir reçu de lui pouvoir et instructions d’exécuter telle ou telle mission: en droit privé comme en politique, cela s’appelle être investi d’un mandat. Au second sens du terme, qui implique nécessairement un rapport collectif, représenter signifie donner une image, réduite peut-être, mais fidèle et pertinente, d’une catégorie de personnes données. On dira ainsi: Untel est bien représentatif de sa profession, ou des habitants de son village. Tout oppose la représentation et la représentativité. La première est active et volontaire ; la seconde est passive et de hasard. La première est un acte que sous-tend un projet ; la seconde est une situation qui relève des constatations des statisticiens. La conception traditionnelle de la démocratie ne connaît que la représentation nationale. Le représentant du peuple a été choisi pour exercer une charge dont il devra rendre compte. La parité, elle, tend à substituer la représentativité à la représentation : les assemblées élues doivent renvoyer une image exacte de la composition de la société, laquelle comporte, à peu près pour moitié, deux sexes. Elles doivent donc être constituées sur la base d’une projection démographique des sexes. Mais si le corps électoral n’ambitionne plus que de se contempler dans un miroir, cela signifie que l’on remplace (sans le dire ouvertement) les représentants du peuple par un échantillon représentatif de la population, et la politique par la sociologie. On substitue donc [‘image au projet, et cette substitution entraîne des conséquences dont il n’est pas certain qu’elles soient clairement perçues.

2. Les conséquences de la « représentativité nationale» En premier lieu, le suffrage électoral devient une opération inutile, puisqu’il était le support du projet, lequel s’efface au bénéfice de l’image. S’il s’agit de fabriquer un « panel » rigoureux, rendant parfaitement compte du rapport numérique des sexes, ce n’est pas dans les bureaux de vote qu’on sait le faire, mais bien dans les instituts de sondage, chez les spécialistes du marketing et de la publicité. Il suffira de choisir un institut respectable et sérieux, et de lui demander de désigner les membres des assemblées. Il le fera mieux que personne. On pourrait aussi imaginer un tirage au sort sur les listes électorales, comme on le fait pour désigner les jurés des cours d’assises, qui jugent au nom du peuple français : la loi des grands nombres devrait permettre d’ aboutir à un résultat paritaire. Si l’on décidait néanmoins, pour des raisons de convenance ou de routine, de conserver le rite du suffrage, celui-ci interviendrait dans le cadre d’une inversion complète des rapports entre l’électeur ou l’électrice et le candidat ou la candidate aux élections. Dans la conception « traditionnelle » de la démocratie, le candidat n’a qu’un seul droit: celui de faire acte de candidature, de tenter sa chance. Il n’a aucun droit à être élu. L’électeur, quant à lui, n’a aucun devoir d’élire un quelconque candidat. Il peut voter pour tel candidat, pour son adversaire, déposer dans l’urne un bulletin blanc ou nul ou aller à la pêche. Il exerce un choix souverain, et tout le prix de ce choix réside précisément dans son caractère discrétionnaire. A compter du moment où la question électorale se pose en termes de «droit d’être élu », qui procède du «droit d’exercer le pouvoir », même si ce droit est envisagé dans une perspective collective et non au bénéfice de telle ou telle personne particulière, les fondements du pacte électoral sont rompus. Le candidat ne se met plus à la disposition des électeurs : ce sont les électeurs qui se doivent au candidat. Le candidat ne sollicite plus les suffrages, il les exige ; en quelque sorte il n’est plus débiteur, mais créancier des électeurs.

Une troisième conséquence, qui n’est pas la moins grave, réside dans la dépolitisation du suffrage. En envoyant dans les assemblées des élu(e)s qui ne tireront pas leur légitimité du libre choix qu’on aura fait d’eux et de leur projet, mais de leur sexe, et en n’exigeant rien d’autre d’eux que leur appartenance à ce sexe, on privilégie l’être sur l’agir. La charge dont l’élu(e) est investi(e) n’a plus de contenu, car l’horizon de la parité s’arrête à l’élection, considérée comme un but en soi. Les moyens et la fin en politique Mais admettons que, demain, les assemblées élues soient composées d’autant de femmes que d’hommes. Par quel coup de baguette magique cette composition paritaire se réalisera- t-elle? Ceux et celles qui s’interrogent à ce propos doivent chercher longtemps la réponse dans les publications des paritaristes.

1. Echangeriez-vous un député traditionnel contre deux députés paritaires ? L’ouvrage, Au pouvoir, citoyennes, n’y consacre qu’une page et demie sur 173 en traitant de « vieille chanson » l’objection que l’on pourrait élever du fait qu’aucun procédé électoral connu ne permet d’atteindre un résultat décidé à l’avance. Les auteures nous assurent qu’il existe «diverses solutions» permettant de mettre en oeuvre la parité, et que les moyens de cette mise en oeuvre se trouvent « dans nos institutions elles-mêmes» : c’est seulement affaire d’une suffisante « volonté politique ». « La parité est simple à réaliser dans le cadre du scrutin de liste à la proportionnelle », écrivent-elles (scrutins qui concernent les élections régionales, municipales et sénatoriales là où l’élection se fait à la proportionnelle, et les européennes). « Un candidat sur deux, en alternance, serait une femme» -quitte à augmenter le nombre total d’élus pour ne pas éliminer trop brutalement les hommes qui disposent aujourd’hui d’un mandat. Jusque-là, rien de bien choquant. C’est aux partis qu’incomberait l’obligation de respecter la parité dans l’établissement des candidatures ; or ils ont déjà la maîtrise de celles-ci. Mais tout se complique lorsqu’on aborde le scrutin uninominal (élections des députés à l’Assemblée nationale) où, par définition, un seul candidat par parti se présente au suffrage. Dans le cadre d’un tel scrutin, il est évidemment impossible de « corriger », de « rééquilibrer » a posteriori la représentation des sexes d’une circonscription à l’autre en modifiant les résultats sortis des urnes : nul n’imagine, par exemple, dans le cas où les élus des circonscriptions voisines A et B seraient tous les deux des hommes, de décider que dans la circonscription A, ou B, on proclamera élue la première femme venant après un homme dans l’ordre des suffrages, quels que soient son appartenance politique et le nombre de voix qu’elle aura obtenues. Il faut donc trouver la solution à l’intérieur d’une seule et même circonscription. Voici celle qu’on nous expose en dix lignes: « Nous proposons que… les électeurs soient appelés à voter pour un « ticket ». Au lieu d’un candidat, il y en aurait deux dont les noms seraient inscrits sur la même ligne. L’électeur désignerait en même temps deux représentants, une femme et un homme. » Ce mode de scrutin conduirait à doubler l’effectif des élus ; mais il suffirait, pour conserver le même nombre de députés, de diviser le nombre des circonscriptions par deux…

2. L’égalité contre la liberté Interviewé par Parité-Info n° 3, le Pr Charles Debbasch, spécialiste de droit public, qui se présente dans la circonstance comme un ardent défenseur de la parité, n’a pas osé cautionner un tel système : s’abritant prudemment derrière la nécessaire progressivité de la réforme, il déclare s’en tenir, pour l’instant, à la solution dégagée pour les scrutins de liste. Selon toute vraisemblance, la difficulté liée au scrutin uninominal lui a paru insurmontable. On peut donc s’étonner de la façon un peu désinvolte avec laquelle les auteures d’Au pouvoir, citoyennes, expédient la question, se bornant à affirmer: « A ceux qui maîtrisent le vote de la loi de rechercher le règlement technique de la question. » Ce n’est pas une question mineure, et ce n’est pas une question purement technique. Comment, la plupart du temps, un électeur choisit-il un candidat? Selon deux critères, le plus souvent associés: l’appartenance politique et le degré de confiance qu’inspire personnellement ce candidat à l’électeur. Mais tous les candidats n’apparaissent pas satisfaisants sous ce double aspect. Il en résulte, en pratique, qu’une personnalité particulièrement respectée pourra être désignée par des électeurs qui ne sont pas de son bord ; et, à l’inverse, qu’un électeur pourra refuser ses suffrages au parti pour lequel il vote habituellement, car il rejette un candidat particulier. Une telle subtilité politique et éthique ne sera plus de mise avec le « ticket ». Le citoyen ou la citoyenne ne déposera plus que la moitié de son bulletin de vote dans l’urne : le parti mettra l’autre moitié à sa place. Peut-être l’électeur sera-t-il satisfait des deux candidats; peut-être enverra-t-il au Parlement un élu pour lequel il n’aurait jamais voté si celui-ci s’était présenté seul ; peut-être renoncera-t-il à élire le candidat de son choix pour ne pas faire bénéficier le colistier de son vote… On ne peut pas se satisfaire de la réponse: « Tout cela n’est pas grave, puisque le candidat et la candidate appartiendront au même parti », ce qui revient à dire qu’on ne voterait plus, désormais, que pour des partis. il s’agit donc d’une importante réduction de la liberté de l’électeur, qui se voit forcer la main. Tel est, d’ailleurs, le but de la réforme proposée: le peuple vote mal, il faut le contraindre à bien voter. Contraindre le peuple à bien voter… Mesure-t-on la portée d’un tel objectif ? Comment donner le choix au peuple d’une main et le lui retirer de l’autre? La démocratie peut-elle s’accommoder d’élections qui ne seraient plus que semi-libres ?

3. Un silence regrettable On imagine mal que les auteures d‘Au pouvoir, citoyennes, rompues à la vie politique et à ses rouages, puissent sous- estimer la gravité du problème. Il est donc surprenant de voir celui-ci occulté dans leur discours public. Dans le Manifeste des 577 pour une démocratie paritaire, qui lance une campagne nationale de signatures, les initiatrices assurent que leur proposition de loi est « simple », la preuve, elle tient en une ligne… Mais combien de personnes ont signé cette pétition sans réaliser qu’elles renonçaient à la liberté de la moitié de leur vote ? Auraient -elles signé, si elles l’avaient su ? Il n’est pas bon de cacher au peuple, auquel on s’adresse, les moyens de la politique qu’on lui propose. En politique, les moyens comptent autant -sinon plus -que la fin. Tout le monde est pour la justice: certains préconisent. pour y parvenir, le libre jeu de l’offre et de la demande sur le marché; d’autres, la redistribution des revenus et la solidarité nationale. Tout le monde veut voir reculer la délinquance: certains recommandent à cette fin l’aggravation de la répression et les peines de prison incompressibles ; d’autres, la prévention, le développement des quartiers difficiles, le soutien scolaire et la lutte contre l’exclusion sociale. C’est dire qu’en politique plus encore que dans tout autre domaine, la fin ne suffit pas à justifier les moyens: les moyens eux-mêmes doivent apparaître légitimes, et il est douteux que tel soit le cas ici.

Contester les imperfections actuelles de la démocratie et de son fonctionnement est une chose. Prétendre que la parité exige le retour aux grands principes de la démocratie, alors qu’elle marque avec ses grands principes une rupture radicale, en est une autre.

Nous sommes toutes pour une véritable égalité des sexes. Mais nous ne sommes pas nécessairement d’accord pour payer cette égalité du prix de la liberté complète du suffrage -et donc de la démocratie, si insatisfaisante que soit celle-ci aujourd’hui. J’ai toujours cru -et j’ai souvent défendu ce principe contre des féministes -que l’on ne fait pas avancer les droits des femmes en portant atteinte aux droits de tous. Cela me paraît encore vrai s’agissant de la parité. Sans doute les paritaristes nous répondront-elles qu’elles sont les seules à proposer quelque chose dans ce domaine. C’est vrai. Si leur fausse bonne idée pouvait servir à mobiliser les féministes en vue de l’action politique, elle n’aurait pas été inutile. Alors, que faisons-nous demain?

Odile Dhavernas

lundi 7 février 1994