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A-t-on le droit de débattre de la GPA ?

Comme on pouvait s’y attendre, comme après le PaCS, « La Manif pour tous » -qui porte si mal son nom- n’en finit plus d’être en minorité. Sur le mariage pour tous, sur la Procréation médicale assistée mais aussi, c’est plus inattendu, sur la gestation pour autrui. Alors que ce sujet fait a priori peur, qu’il est propice aux dérives et qu’il n’a donné lieu à aucun vrai débat dans ce pays, autre que la réprobation venue de la droite intégriste ou de la gauche anti-capitaliste et féministe. L’émoi est surprenant de la part de réseaux anti-IVG, généralement assez favorables au capitalisme, et qui incitent depuis des années des femmes à accoucher sous X pour faire adopter leur enfant plutôt que d’avorter. Il l’est moins venant d’une gauche logiquement hostile à l’exploitation. Faut-il pour autant verser dans l’hypocrisie et la pudibonderie dès qu’il s’agit du corps ?

Maladresse gouvernementale

Manuel Valls et Laurence Rossignol ont cru bon d’annoncer que la France allait prendre la tête d’une campagne mondiale pour faire interdire la GPA, au nom du refus de la marchandisation du corps des femmes. Des mots également utilisés par La Manif pour tous. Est-ce pour autant le même combat ?

Ces mêmes mots ne partent pas des mêmes intentions. Dans le cas de la Manif pour tous, le refus de la marchandisation du corps s’inscrit dans une démarche moraliste, pouvant aller jusqu’à refuser les progrès scientifiques permettant de lutter contre l’infertilité. Il s’agit moins de lutter contre l’ordre marchand que de rétablir l’ordre moral ; naturel et divin. À l’opposé d’une démarche féministe, que combattent de toutes leurs forces les réseaux anti-IVG à l’origine de la Manif pour tous, comme Alliance Vita ou Familles de France. Ce n’est pas la même intention que celle du gouvernement ou de féministes opposées à la GPA. Pourtant, le fait que le Premier ministre, la Secrétaire d’État aux droits femmes et la Secrétaire d’État à la famille expriment leur répulsion vis-à-vis de la GPA en réponse à la Manif pour tous crée la confusion.

Au lieu de clarifier le débat et les différentes façons d’être opposé à la gestation pour autrui, leurs déclarations donnent le sentiment d’abonder dans le sens des antiféministes. C’est plus que maladroit. C’est une faute politique.

Interdire ou encadrer ?

Sans tenir compte du calendrier politique, que faut-il faire de la gestation pour autrui ? Le problème est que nous n’avons même plus le droit d’en débattre. L’intimidation qui règne nous empêche de poser la seule vraie question qui vaille. Faut-il l’interdire, quitte à la laisser avoir lieu dans la clandestinité, ou l’encadrer? Il est absurde de croire que la France pourra interdire aux autres pays d’autoriser la gestation pour autrui, aux Etats-Unis, en Inde ou dans sept pays européens.

Que ça plaise ou non, la gestation pour autrui existe depuis la nuit des temps, depuis Marie mère porteuse de Jésus jusqu’à nos jours, et va continuer. Personne n’empêchera des couples désireux de fonder une famille de louer les services d’une mère porteuse. C’est vrai pour des couples homosexuels mais aussi pour des couples hétérosexuels, bien plus nombreux à avoir recours aux mères porteuses alors qu’ils ont bien plus de chances d’être autorisés à adopter. Leur désir d’enfant à eux n’est pas qualifié d’égoïste… Dans les deux cas, qu’il s’agisse de couples hétérosexuels ou homosexuels, vous pouvez montrer ces parents du doigt, leur faire la morale, cela ne changera pas grand-chose à leur détermination. Le fait d’interdire la GPA n’aura qu’une conséquence : compliquer la vie de leurs familles. Transformer quelques dizaines d’enfants en apatrides (quand ils ne peuvent pas bénéficier de la nationalité de leur mère porteuse ni être adoptés par leurs vrais parents) et fragiliser leur lien juridique avec leurs parents. Sans réglementation de la GPA, ils vont exister quand même, ils vont grandir, mais avec une nationalité qui n’est pas la leur, sans être reconnus comme étant les enfants de leurs parents.

Interdire la GPA ne protège pas les mères porteuses

L’interdit ne protège pas, au contraire. Comme pour l’avortement, le fait d’interdire au lieu d’encadrer ne fait que pousser vers la clandestinité, propice au plus sauvage des rapports d’exploitation. Comme elle est interdite en France, les futurs parents se tournent vers des pays moins développés et moins régulés. En Inde par exemple, où la GPA n’est ni interdite ni encadrée par la loi. De jeunes mères porteuses volontaires, de celles qui préfèrent porter un enfant neuf mois plutôt que de se prostituer, se retrouvent quasi prisonnières de pensionnats jusqu’à l’accouchement. Elles sont payées une misère et ne peuvent pas se rétracter. Interdire la GPA en France ne va rien changer. Les pousser à la clandestinité risque de les priver de tout suivi médical. Ce qu’il faut, c’est encadrer.

Autre cas qui a, à juste titre, ému. Un couple australien a, semble-t-il, refusé de récupérer l’enfant d’une mère porteuse en apprenant qu’il était trisomique à la naissance. Là non plus, interdire la GPA n’y changera rien. Son encadrement légal, en revanche, peut permettre d’obliger ces parents à tenir leurs engagements vis-à-vis de la mère porteuse. Car il existe une réalité que les amateurs d’interdits semblent ignorer. Il existe des parents prêts à payer des fortunes pour avoir le bonheur d’avoir un enfant et des femmes qui préfèrent enfanter que se prostituer ou crever de faim. Dans certains pays, porter l’enfant d’un couple pendant neuf mois permet de sortir de la prostitution ou de la misère, tout en rendant un couple heureux. Est-ce terrible en soi ou faut-il lutter contre les dérives de la gestation pour autrui ? Si ce sont les dérives qui nous choquent, alors il faut l’encadrer et non l’interdire. Notamment pour obliger les futurs parents à respecter le consentement de ces mères porteuses, qui doivent pouvoir changer d’avis pendant la grossesse.

L’hypocrisie n’a jamais permis d’apaiser le monde. C’est la loi qui rend les rapports marchands moins sauvages. Reste à savoir ce que veulent vraiment les gens. Faire la morale aux autres ou lutter pour un monde meilleur, plus apaisé parce que plus régulé ? On connaît déjà la réponse de la Manif pour tous. Aux progressistes de s’éclaircir les idées. Autrement dit d’en débattre.

Caroline Fourest

« Nous sommes tous Kobané »: le cri de résistants à l’intégrisme

C’est en pleurs que Maryam Namazie, une marxiste iranienne en exil, est montée à la tribune pour lire un message de soutien aux Kurdes de Syrie : « Nous sommes tous Kobané ».
Ce week-end à Londres, elle organisait avec l’algérienne Marieme Helie Lucas et d’autres, un colloque réunissant la fine fleur mondiale des résistants à l’intégrisme. Une salle pleine de héros dont vous n’entendez jamais parler ou presque. Parce qu’ils n’ont jamais décapité ou tué. Pourtant, ils résistent au totalitarisme de ce siècle, souvent au prix de leur vie. Des esprits libres, parfois athées mais pas toujours, venus du Pakistan, du Bangladesh, de Pologne, d’Afghanistan, de Syrie, d’Inde, des États-Unis, de Maroc, de Tunisie et bien sûr beaucoup d’Iran et d’Algérie.
Tous pensaient en avoir fini avec l’intégrisme en se réfugiant en Angleterre, en Inde ou en Europe. Tous ont dit combien ce mal les a rattrapé jusqu’au cœur de ces refuges, gangrenés par la confusion raciste et la tolérance envers l’intégrisme au nom du multiculturalisme.

Confusions au nom du multiculturalisme
C’est tout particulièrement vrai en Angleterre où le lien n’a jamais été coupé entre l’État et la religion anglicane, et où les politiques tentent de compenser cet avantage de l’Église anglicane par des droits particuliers distribués aux communautés religieuses. Comme le droit à des arbitrages familiaux rendus par des tribunaux shariatiques. Une femme musulmane ne connaissant pas bien ses droits peut dépendre d’un imam intégriste pour divorcer ou savoir quoi faire en cas de violences conjugales. C’est pour se battre contre cette ségrégation au nom du religieux que des laïques anglais, très souvent d’origine iranienne, ont créé une association « One law for all » (une loi pour tous). D’autres mènent le combat contre les accommodements dit raisonnables avec la loi commune au Canada. Homa Arjomand, présente, a empêché la reconnaissance légale de ces Cours shariatiques en Ontario. Une victoire parmi d’autres pour qu’on cesse de tolérer l’intégrisme au nom d’une vision exotique des cultures et des identités.

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Contre tous les intégrismes

Le colloque ne portait pas uniquement sur l’intégrisme musulman. Il a aussi été question de l’intégrisme juif et chrétien. Il y avait notamment le récit bouleversant de Sue Cox, à l’origine d’une association pour faire entendre la voix des victimes de viols pédophiles de la part du clergé. Celui d’une sociologue très critique envers le rôle joué par l’intégrisme juif dans le durcissement du conflit isréalo-palestinien.
Mais aussi une intervention hilarante d’un professeur de philosophie d’Oxford, AC Grayling, sur certaines croyances et superstitions hérités du monothéisme. Le tout sous haute garde. En Europe, en 2014, il est dangereux de rire de la religion, de défendre les droits des femmes, le droit au blasphème ou à l’athéisme. Et même si plusieurs intervenants ont eu raison d’insister sur le fait que la laïcité n’était pas l’athéisme, mais le droit de croire ou de ne pas croire, cette bouffée d’oxygène nous rappelle combien nous vivons dans un monde étouffé et terrorisé par la peur de manquer de respect au religieux. Face à cette peur, beaucoup de ces résistants de tous les continents ont dit leur refus de la xénophobie tout en insistant pour respirer à nouveau, dans un monde plus laïque.

Un idéal laïque sans frontières
On dit souvent que le modèle laïque n’est pas exportable. Il ne serait pas pertinent d’en parler du Pakistan ou l’Iran. Sauf qu’il ne s’agit pas d’importer ou d’exporter un quelconque modèle mais de partager un idéal.
Ceux qui pensent qu’un idéal a des frontières auraient dû assister à ces deux jours. Des dizaines de récits convergents tous, universellement, vers la même soif : vivre dans une société où l’État est séparé du religieux. Une conclusion vitale, viscérale, suppliante, à laquelle arrivent tous ceux qui ont dû vivre sous le joug de régimes théocratiques, qu’ils ont fini par fuir. Quand ils ne luttent pas en ce moment même pour qu’il ne soit pas détricoté, comme la brillante députée turque Safak Pavey.
Le colloque s’est conclu par un Manifeste pour la laïcité, signé par ces résistants du monde entier, qui exigent la séparation complète de l’État et des religions, la liberté de croire ou de ne pas croire, le droit au blasphème et l’égalité hommes-femmes, partout où les êtres humains ont soif de dignité et de liberté. C’est-à-dire sur tous les continents, dans toutes les religions. N’en déplaise aux adeptes de l’exotisme et du droit séparé selon les cultures.

 

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Une contagion intégriste très politique
Il faut entendre ces récits pour mesurer la vitesse à laquelle une société plutôt sécularisée à l’origine peut se raidir et devenir intégriste.
Des indépendantistes algériens avaient imaginé une constitution laïque avant que des autocrates du FLN ne monopolisent l’État à leur profit et jouent avec le feu de la religion officielle pour consolider leur emprise.
Au Caire, du temps de Nasser, les femmes étaient en manches courtes et allaient librement. L’idée même de leur imposer le voile, comme l’exigeait le guide des Frères musulmans, faisait hurler de rire.
En Iran, Khomeyni avait juré qu’il n’imposerait jamais le voile, avant de changer d’avis sitôt au pouvoir, grâce à une alliance anti-impérialiste mêlant religieux et marxistes contre le Chah. Il faut voir la foule de femmes libres et en cheveux descendre dans la rue pour protester contre le voile quand il l’a finalement imposé. Ces images, impressionnantes, ont été effacées de nos mémoires, remplacées par celles d’aujourd’hui : des rues de Téhéran noyées de voiles noirs. Un documentaire de Lila Ghobady — « Forbidden Sun Dance » dont on a projeté des extraits — nous permet de les redécouvrir. Elle-même a dû fuir l’Iran récemment à cause de ce film sur la danse interdite, où elle donne la parole à des danseurs et des chorégraphes, dont certains ont fait la révolution de 1979, avant de perdre leur poste de professeur de danse pour « incitation à l’adultère » juste après.

Le fanatisme prend vite, plus vite qu’on ne le croit
Le cas du Bangladesh est très parlant. Voilà un pays qui a arraché son indépendance au Pakistan en 1971, sur la base d’une langue, le Bengali. Au départ, les indépendantistes bengalis rêvaient d’un pays laïque. La constitution le prévoyait. Puis des militaires ont pris le pouvoir, imposé un régime autoritaire et sont allés chercher le religieux pour légitimer leur mise au pas. C’est à partir de là que le pays a sombré dans l’intégrisme. Quelques années plus tard, des fous se sont crus autoriser à persécuter les esprits libres comme l’écrivaine Taslima Nasreen, présente à ce colloque, simplement parce qu’elle a osé prendre la défense des minorités religieuses hindous ou critiqué l’Islam.

Les « martyrs » de la laïcité
Ces deux jours ont aussi permis de rappeler une vérité toute simple : la laïcité est la meilleure protectrice pour les minorités religieuses.
Pervez Hoodboy, un scientifique Pakistanais, l’a rappelé. Il se souvient de l’assassinat de son voisin. Un professeur Ahmadi, cette minorité musulmane persécutée par les sunnites au Pakistan. Avec sa fille, ils l’ont trouvé en sang au bas de leur immeuble. Il est mort sur le trajet de l’hôpital. Quand ils l’ont enterrée, aucun de ses collègues, pourtant d’éminents intellectuels, ne sont pas venus à l’enterrement. Simplement parce qu’il était ahmadi.
Kamira Bennoune, une professeure de droit américaine d’origine algérienne, nous a montré ces visages que l’on a oubliés, abattus par des fanatiques sur les trottoirs d’Alger, du Caire, ou plus récemment d’Irak. Simplement parce qu’ils étaient artistes, athées, d’une minorité ou mal vêtus selon ces fous. Elle a demandé aux médias de parler aussi d’eux et pas toujours de leurs assassins. Le colloque a rendu hommage à Raad al Azzawi, ce journaliste irakien ; assassiné parce qu’il a refusé de collaborer avec les hommes de Daesh… Et qui sera toujours moins connu que Ben Laden.

C’est à eux, ces résistants, et non à leurs bourreaux, pour une fois, que cette chronique est dédiée.

 

Caroline Fourest

« We Are All Kobane »: Rallying Cry of Resistants Against Fundamentalism

It was an emotional Maryam Namazie, an Iranian Marxist in exile, who stepped onto the stage to read out a message in support of Syrian Kurds: « We are all Kobanians ».

In collaboration with the Algerian Marieme Helie Lucas and others she had organized a conference which took place in London this weekend which brought together prominent men and women on the frontlines of the resistance against fundamentalism. A hall filled with heroes and heroines whom you never, or hardly ever, hear of. Because they have never beheaded nor killed. And yet they are fighting against the totalitarianism of this century, often paying with their lives. Freethinkers, not all atheists, from Pakistan, Bangladesh, Poland Afghanistan, Syria, India, USA, Morocco, Tunisia and of course Iran and Algeria.

They had all believed that by seeking refuge in Britain, India or Europe, they had finished with fundamentalism. But they all spoke of how this evil had caught up with them in the very heart of these places of refuge, poisoned by racist confusion and tolerance towards fundamentalism in the name of multiculturalism.

Confusion in the name of multiculturalism
This is particularly true in Britain where the link between the State and the Anglican Church has never been severed and where some politicians try to make up for this advantage given to the Anglican Church by distributing special rights to other religious communities. Such as the right for Sharia courts to render decisions in family disputes. A Muslim woman unfamiliar with her rights may have to depend on a fundamentalist imam in order to divorce or how to proceed in a case of domestic violence. And it was to oppose this segregation in the name of religion that British secularists, very often of Iranian origin, formed the association « One law for all ». Others are leading the opposition against the reasonable accommodations with common law in Canada. Homa Arjomand, present at the conference, prevented the legal recognition of Sharia Courts in Ontario, one of the victories in the fight against the acceptance of fundamentalism in the name of an exotic vision of cultures and identities.

Against all forms of fundamentalism
The conference was not limited to Muslim fundamentalism. It also discussed Jewish and Christian fundamentalism. We heard the heartbreaking story of Sue Cox who founded an association aimed at allowing the voices of victims of paedophile rapes perpetrated by priests to be heard. The testimony of a sociologist highly critical of the role of Jewish fundamentalism in the escalating Israeli-Palestinian conflict. But also a hilarious presentation by a professor of philosophy at Oxford, AC Grayling, on certain beliefs and superstitions inherited from monotheism. The conference proceedings took place under tight security. In Europe, in 2014, it is dangerous to poke fun at religion, defend women’s rights, the right to be blasphemous or atheist. And even if many speakers were right to stress that secularism is not atheism but the right to believe or not to believe, this breath of fresh air reminded us just how stifling and terrorized the world has become through fear of being disrespectful towards religion. In face of this fear, many of these resistants from all continents condemned all forms of xenophobia, while urging the need to breathe and live in a more secular world.

A secular ideal without borders
It is often said that the secular model cannot be exported (it would not be pertinent to discuss Pakistan or Iran), but it is not a question of importing or exporting any kind of model, but of sharing an ideal.

Those who believe that an ideal has borders should have attended this two days of conference. Dozens of presentations, each and every one of them converging towards the same desire to live in a society where the State is separate from religion. A vital, visceral, pleading conclusion arrived at by all those who have had to live under the tyranny of theocratic regimes which they were forced to flee. When they are not at this very moment fighting against the unravelling of secularism, like the brilliant Turkish deputy Safak Pavey.

The conference closed with a Manifesto for Secularism, signed by these resistants from across the world, demanding complete separation of religion from the State, freedom of religion and atheism, freedom to criticise religions, equality between women and men, wherever people are striving for dignity and freedom, i.e. on every continent, in all religions. With all due respect to believers in exoticism and separate rights for different cultures.

A highly political fundamentalist contagion
One must hear these resistants to realise how rapidly a society which was originally fairly secular can become rigid and fundamentalist.

Algerian freedom fighters had imagined a secular constitution before the NLF autocrats monopolised the State for their own benefit and began playing with the fire of state religion in order to consolidate their power.

In Cairo when Nasser was in power women wore short sleeves and were free to come and go. The very idea of forcing them to wear the veil, as demanded by the guide of the Muslim Brotherhood, was met with howls of laughter. http://www.youtube.com/watch?v=D-DZUnh8-Ro
In Iran Khomeini had sworn that he would never impose the veil, before changing his mind as soon as he came to power, thanks to an anti-imperialist alliance of religious and leftists against the Shah. We should take another look at those crowds of free women, their heads uncovered, who came out to protest against the veil when he imposed it. These striking images have been erased from our memories and replaced by today’s images: the streets of Tehran flooded with black veils. A documentary by Lila Ghobady — « Forbidden Sun Dance » http://www.youtube.com/watch?v=6RPrDhJEBZc parts of which were shown at the conference — allowed us to rediscover them. Recently she had to flee Iran herself because of this film about dancing (which is forbidden), in which dancers and choreographers spoke of their experiences, some of whom had participated in the 1979 revolution before losing their positions as dance teachers shortly afterwards on the basis of « incitement to commit adultery ».

Fanaticism can take hold quickly, faster than we think.
The case of Bangladesh is a perfect example. Here we have a country which wrested its independence from Pakistan in 1971, on the basis of a language, Bengali. At first, the Bengali independence fighters wanted a secular state. Indeed, it was guaranteed by the constitution. Then the army seized power, imposed an authoritarian regime and brought in religious leaders to legitimize their takeover. It was from this moment that the country descended into fundamentalism. A few years later religious fanatics took it upon themselves, with total impunity, to persecute freethinkers like the writer Taslima Nasreen, a speaker at this conference, simply because she dared to defend Hindu religious minorities or criticise Islam.

The ‘martyrs’ of secularism
These two days were also a remind of one basic and simple truth: secularism provides the best protection for religious minorities.

Pervez Hoodboy, a Pakistani scientist, reminded us of this. He recalled the murder of his neighbour, a teacher belonging to the Ahmadi religion, a Muslim minority persecuted by the Sunnis in Pakistan. He and his daughter were found outside their apartment building. He died on his way to hospital. Although his colleagues were all eminent intellectuals not one of them attended his funeral. Simply because he was an Ahmadi.

Kamira Bennoune, an American law professor of Algerian origin, showed us faces of those we had forgotten, shot by fanatics on the streets of Algiers, Cairo, or more recently Iraq. Simply because, in the minds of these fanatics, they were artists, atheists, member of a minority, or badly dressed. She asked the media to speak about them as well, and not just about their assassins. The conference paid homage to Raad al Azzawi, the Iraqi journalist, murdered because he refused to collaborate with Daesh… And who will never be as well known than Ben Laden.

For once, it is to these resistants and not to their killers that this commentary is dedicated.

« Todos somos Kobané », el grito de los resistentes al integrismo

Fue entre sollozos que Maryam Namazie, una marxista iraní en el exilio, subió a la tribuna para leer un mensaje de apoyo a los kurdos de Siria: « Todos somos Kobané« .

El pasado fin de semana [11-12 de octubre], en Londres, Namazie organizaba, junto con la argelina Marieme Helie Lucas y otros activistas, un coloquio que reunía a la flor y nata de la resistencia a los integrismos. Una sala llena de héroes de los que apenas se oirá hablar, porque nunca han matado ni han decapitado a nadie. Sin embargo, resisten al totalitarismo de este siglo, con frecuencia jugándose la vida. Espíritus libres, a veces ateos pero no siempre, que vienen de Pakistán o de Bangladesh, de Afganistán o de Siria, de la India, de Estados Unidos, de Marruecos, de Túnez y por supuesto, muchos de Irán y de Argelia.

Todos creían haber dejado atrás el integrismo al refugiarse en Inglaterra, en la India o en Europa. Todos explicaron cómo esta plaga les había perseguido hasta el corazón de sus refugios, gangrenados por la confusión racista y tolerancia hacia el integrismo, en nombre del multiculturalismo.

Confusiones en nombre del multiculturalismo

Esto es particularmente cierto en Inglaterra, donde nunca se han llegado a romper los vínculos entre el Estado y la religión anglicana, y donde los políticos intentan compensar esta ventaja de la Iglesia anglicana mediante la concesión de derechos particulares a las demás comunidades religiosas. Como el derecho a los arbitrajes familiares ejercidos por tribunales basados en la sharia: una mujer musulmana que no conozca bien sus derechos puede acabar dependiendo de un imán integrista para divorciarse o saber qué hacer en caso de violencias conyugales. Es para batirse contra esta segregación en nombre de la religión que diversos laicos ingleses, muchos de origen iraní, han creado la asociación « One law for all » (Una sola ley para todos). Otros combaten los llamados « accommodements raisonnables » (encajes o acomodos razonables) en la ley común en Canadá: Homa Arjomand, presente en el coloquio, ha evitado el reconocimiento legal de los tribunales basados en la sharia en Ontario. Una victoria entre otras, para que se deje de tolerar el integrismo en nombre de una visión exótica de las culturas y las identidades.

Contra todos los integrismos

El coloquio no trataba exclusivamente sobre el integrismo musulmán; se abordó igualmente los integrismos judío y cristiano. Se pudo escuchar el emotivo relato de Sue Cox, fundadora de una asociación para dar visibilidad a las víctimas de pederastia a manos de miembros del clero. O el de un sociólogo muy crítico sobre el papel jugado por el integrismo judío en la radicalización del conflicto israelo-palestino.

También se pudo asistir a una intervención hilarante de un profesor de filosofía de la Universidad de Oxford, A. C. Grayling, sobre ciertas creencias y supersticiones heredadas del monoteísmo. Todo ello, bajo severas medidas de seguridad. En Europa, en 2014, sigue siendo peligroso reírse de la religión, defender los derechos de las mujeres, el derecho a la blasfemia o el ateísmo. Y aunque diversos ponentes insistieron, con razón, en que la laicidad no equivale al ateísmo sino al derecho a creer y a no creer, este balón de oxígeno nos recuerda hasta qué punto vivimos en un mundo ahogado, temeroso de faltar al respeto a las religiones. Frente a este temor, numerosos ponentes de todos los continentes ratificaron su rechazo a toda xenofobia, pero también su insistencia en poder respirar de nuevo libremente, en un mundo más laico.

Un ideal laico sin fronteras

Se dice con frecuencia que el modelo laico no es exportable; que no es conveniente hablar de Pakistán o de Irán. Pero aquí no se trata de importar o exportar un modelo u otro, sino de compartir un ideal. Los que piensan que un ideal tiene fronteras deberían haber asistido a estos dos días de coloquio. Una decena de relatos convergían todos, de forma universal, en la misma reivindicación: la de vivir en una sociedad donde el Estado esté separado de la religión. Una conclusión vital, visceral, suplicante, a la que llegan todos los que han vivido bajo el yugo de regímenes teocráticos, y han acabado por huir. O bien luchan en este mismo momento para que esa separación entre Estado y religión no sea desmantelada, como la brillante diputada turca Safak Pavey.

El coloquio concluyó con un Manifiesto por la laicidad, firmado por resistentes del mundo entero, que exigen la separación completa de Estado y religiones, la libertad de creer y de no creer, el derecho a la blasfemia y la igualdad entre hombres y mujeres; en todos los lugares donde los seres humanos aspiran a la dignidad y a la libertad. Es decir, en todos los continentes, en todas las religiones. Mal que les pese a los adeptos al exotismo y a los partidarios de un Derecho separado, distinto para cada cultura.

Un contagio integrista muy político

Hay que escuchar estos relatos para tomar conciencia de la velocidad a la que una sociedad más bien secularizada en un principio puede acartonarse y volverse integrista.

Los independentistas argelinos habían imaginado una Constitución laica, antes de que los autócratas del FLN monopolizaran el Estado en su provecho y jugaran con el fuego de la « religión oficial » para consolidar su poder. En El Cairo, en tiempos de Nasser, las mujeres vestían en manga corta y se desplazaban libremente. La mera idea de imponerles el velo, como exigía el guía de los Hermanos Musulmanos, causaba hilaridad.

En Irán, Jomeini había jurado que jamás impondría el velo, antes de cambiar de opinión tan pronto como alcanzó el poder merced a una alianza anti-imperialista entre integristas religiosos y marxistas contra el Shah. Hay que ver las multitudes de mujeres libres, con el pelo suelto, manifestándose en la calle para protestar contra el velo cuando éste fue finalmente impuesto. Las imágenes, impresionantes, han sido borradas de nuestra memoria, sustituidas por las imágenes que nos llegan de hoy: las calles de Teherán inundadas de velos negros. Un documental de Lila Ghobady –« Forbidden Sun Dance », del cual se proyectaron algunos extractos en el coloquio- nos permite volver a ellas. Ghobady tuvo que huir de Irán recientemente a causa de este documental, en el que entrevistaba a bailarines y coreógrafos: algunos de ellos habían participado en la revolución de 1979, antes de perder sus puestos de profesores de danza justo después de su triunfo.

El fanatismo prende rápidamente, más rápido de lo que parece

El caso de Bangladesh es muy ilustrativo. Se trata de un país que consiguió su independencia de Pakistán en 1971, motivada en la existencia de una lengua distinta, el bengalí. Al principio, los independentistas bengalíes soñaban con un país laico. La Constitución así lo preveía. Pero enseguida, los militares tomaron el poder, impusieron un régimen autoritario y se sirvieron de la religión para legitimar su poder. A partir de entonces, el país se deslizó hacia el integrismo. Años más tarde, individuos radicalizados se creyeron legitimados para perseguir a espíritus libres como la escritora Taslima Nasrin, presente en el coloquio de Londres, simplemente porque ésta se había atrevido a defender las minorías religiosas hinduistas o a criticar el islam.

Los « mártires » de la laicidad

Los dos días de coloquio sirvieron para recordar una evidencia muy sencilla: la laicidad es la mejor protección para las minorías religiosas.

Lo recordó Pervez Hoodboy, un científico pakistaní. Evocaba el asesinato de su vecino, un profesor ahmadi, perteneciente a esa minoría musulmana perseguida por los suníes en Pakistán. Un día lo encontraron, con su hija, ensangrentado y gravemente herido en el portal de su casa. Murió durante su translado al hospital. Cuando lo enterraron, ninguno de sus colegas, todos ellos eminentes intelectuales, acudieron a la ceremonia. Simplemente porque era ahmadi.

Kamira Bennoune, una profesora de Derecho norteamericana, de origen argelino, nos mostó los rostros que habíamos olvidados, asesinados por fanáticos integristas en las calles de Argel, de El Cairo, y más recientemente de Iraq. Simplemente porque eran artistas, ateos, pertenecientes a una minoría o vestían de forma inapropiada, según los cánones integristas. Bennoune pedía que los medios de comunicación hablaran también de ellos, y no sólo de sus asesinos. El coloquio rindió así homenaje a Raad al Azzawi, ese periodista iraquí asesinado por haber rechazado colaborar con los hombres de ISIS… y que siempre será menos conocido que Bin Laden.

Por una vez, es a ellos, los resistentes, y no a sus verdugos, que esta crónica está dedicada.

Caroline Fourest

[Artículo traducido por Juan Antonio Cordero Fuertes, publicado en la versión francesa de The Huffington Post y reproducido en CRÓNICA GLOBAL con autorización]

Tunisie : défaite historique des islamistes (Caroline Fourest)

Les islamistes ont reconnu leur défaite. Si elle se confirme, elle est historique et vient démentir ceux qui, parmi les journalistes ou les diplomates, n’ont cessé de répéter que les intégristes représentaient la Tunisie véritable. Ceux-là n’ont pas voulu voir la colère, profonde et populaire, contre Ennahdha et ses alliés.

Une photographie plus juste qu’après la Révolution

Le résultat annoncé n’est pas un revirement, mais le retour à une photographie réelle de la Tunisie. Le score des intégristes au lendemain de la Révolution s’expliquait essentiellement par le fait qu’ils étaient à la fois les martyrs les plus connus du régime de Ben Ali et les mieux organisés pour tirer profit de son départ. Les forces laïques s’étaient présentées en ordre très dispersé. Près d’une centaine de listes, parfois inconnues du grand public. Trois ans plus tard, la Tunisie a mûri. Les listes sont toujours nombreuses mais les Tunisiens ont souhaité voter utile pour placer Nidaa Tounes en tête et tirer les leçons de cet éparpillement. Tout valait mieux que le retour au pouvoir des intégristes, leur louvoiement face au terrorisme et leurs tentatives pour inscrire la charia dans la Constitution.

Même si elle a fini par être votée et qu’elle contient à peu près tout et son contraire -la liberté de conscience et le refus de porter atteinte au sacré-, cette Constitution a été adoptée dans un climat très lourd.

Les Ligues dites de protection de la Révolution, longtemps encouragées par la troïka au pouvoir, ont fait régner une terreur toute salafiste… Qui a culminé avec le meurtre de deux figures de la gauche tunisienne anti-islamiste, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Leurs morts, aggravées par la menace terroriste grandissante, ont provoqué un électrochoc dans un pays plongé dans une crise à la fois morale, économique et politique. Une crise qui a contraint les islamistes à quitter le gouvernement jusqu’aux élections, qu’ils espéraient gagner.

L’évolution tactique d’Ennahdha

Le fait que ce parti islamiste ait accepté de quitter le pouvoir pour laisser un gouvernement provisoire organiser les élections législatives n’est pas, contrairement à ce que l’on entend partout, la preuve qu’il ait renoncé à tout objectif d’islamiser la société, de la base jusqu’au sommet. Conformément à la doctrine des Frères musulmans, il s’agit d’un repli stratégique. Ne pas être au pouvoir quand cette échéance législative arriverait était le seul moyen de limiter la casse.

Et encore… Il aura fallu leur tordre le bras, la peur du scénario égyptien et d’assumer la mise en faillite du pays, pour qu’ils rendent les clefs d’un gouvernement qui est allé bien au-delà du mandat pour lequel il avait été nommé. C’est donc un gouvernement de transition qui a permis de mettre la Tunisie sur les rails de ces élections. Elles donnent raison à ceux qui ont cru à l’espoir soulevé par le printemps arabe, malgré le chaos et les difficultés.

Que penser de Nidaa Tounes ?

Béji Caïd Essebsi est un vieux renard de la vie politique tunisienne. Ministre sous Bourguiba, simple élu sous Ben Ali, retiré de la vie politique dans les années 90, il a gagné en popularité pour avoir bien géré, comme premier ministre, l’un des gouvernements provisoires de l’après révolution. Aidé par la peur des islamistes, il a réussi le tour de force de rassembler autour de lui à la fois des anciens du RCD et des gens bien plus à gauche. De ceux qui ont fait la révolution et veulent conserver ses acquis démocratiques, tout en craignant plus que tout les intégristes.

Le fait que Nidaa Tounes arrive en tête va permettre de sauver cette modernité, tout en conservant les acquis démocratiques. Surtout si Nidaa Tounes doit faire alliance avec un parti plus à gauche. Après les débats pour la survie du pays et l’affrontement entre laïcs et intégristes, le pays pourrait enfin connaître des débats plus classiques.

On espère déjà le jour où les Tunisiens pourront véritablement choisir entre un camp conservateur non dangereux, un centre et un véritable camp progressiste. En attendant, le « vote utile » a évité le pire. En chemin, il y aura encore de nombreuses crises politiques, des claquages de porte, des alliances étonnantes et des revirements… Mais c’est la loi de la démocratie. Si Nidaa Tounes parvient à les accepter sans céder à la tentation paternaliste, la Tunisie deviendra, après bien des sacrifices, la démocratie sûre que son peuple et sa société civile méritent.

Caroline Fourest

Plainte du père d’une femme voilée : Caroline Fourest fait appel

Le père d’une jeune femme voilée a obtenu gain de cause contre l’une de mes chroniques de France Culture. Alors que des sites victimaires sommaient « les féministes » de prendre positition contre l’agression de femmes voilées, j’ai pris volontiers position contre ces agressions… Tout en expliquant qu’il fallait les dénoncer en tant qu’antiracistes plus qu’en tant que féministes.

J’insistais aussi sur la nécessité d’attendre les résultats de certaines enquêtes. Des élus locaux doutant de la version d’agressions montées en épingle par des réseaux intégristes.

Pour avoir émis ce doute, le père d’une jeune femme voilée (qui nie influencer sa fille) a porté plainte et me réclame des dommages et intérêts. Radio France et moi-même faisons appel. Nous sommes confiants sur l’issue finale de cette procédure.

Bien entendu, si nous gagnons, les sites qui guettent et médiatisent la moindre plainte ou campagne de courriers contre moi (Oumma, Egalité et réconciliation…) auront à cœur de rectifier.

Caroline Fourest

 

 

Dernier édito video de Caroline Fourest : https://www.youtube.com/watch?v=-7i2geopVY4

Chronique « Faut-il être féministe pour dénoncer l’agression de femmes voilées ?«

Amina enfin honnête

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Je suis heureuse et soulagée qu’Amina ait eu le cran de dire qu’elle avait menti sur sa première agression dans une lettre ouverte. Elle parle d’un « appel au secours » et réalise, enfin, qu’il s’agissait surtout d’une trahison.

Quand la nouvelle de sa première agression (Place Clichy) est sortie dans la presse, mon premier réflexe a été de lui envoyer un message de soutien comme féministe, le second fut d’attendre d’en savoir plus avant d’écrire sur cette affaire comme journaliste. Finalement, j’ai décidé de ne rien écrire. Trop d’incohérences dans son récit et trop de mauvaises expériences avec Amina par le passé.

Des collègues m’ont tout de suite appelée pour me demander s’ils pouvaient la croire. Je les ai invités à la plus grande prudence. J’ai même refusé de donner des entretiens à ce sujet. Aux politiques qui voulaient soutenir Amina, j’ai conseillé d’attendre le verdict des caméras de surveillance… qui s’est révélé implacable (mais nous ne l’avons su que tardivement). Amina est d’ailleurs poursuivie (à juste titre) pour « dénonciation calomnieuse » et la presse, déjà méfiante, s’en est fait largement l’écho.

Contrairement à ce qu’écriront les soutiens habituels du sexisme et de l’obscurantisme qui vont se régaler de cette affaire, il n’y a pas eu d’emballement médiatique, bien au contraire. Son récit a été accompagné d’une très grande suspicion dans la presse, dès le début. Au point que lorsqu’Amina a réellement été agressée à Bastille, la presse a jugé — cette fois à tort — qu’elle avait « agressé une femme voilée » en se basant sur l’unique version de la police (échaudée par le mensonge d’Amina à propos de la Place Clichy). Elle a simplement répondu à un homme l’ayant traitée de « sale pute » avant de se faire frapper, ainsi qu’un copain (qui n’est pas son compagnon contrairement à ce qui a été écrit), par les amis de cette femme voilée, bien plus nombreux. Des témoins, depuis, ont rétabli la vérité. Mais la presse s’est emballée et une dépêche AFP a donné une version erronée de cette bagarre à partir d’une version policière biaisée.

La faute à qui ? A Amina. Rien, ni sa situation (qui est loin d’être aussi solitaire qu’elle le décrit, elle a bénéficié de très nombreux soutiens dès son arrivée en France, malgré ses déclarations délirantes tenues en Tunisie contre Femen et ceux qui s’étaient mobilisés pour elle), ni les épreuves subies ne justifient — elle le reconnaît — de jeter le soupçon sur la parole des femmes ou de semer la division gratuitement dans un pays déjà si tendu par de véritables agressions, souvent tues.

J’en profite pour faire une mise au point à l’intention de ceux qui ne comprennent pas mon lien avec Amina ou Femen. Il est très simple. J’ai soutenu Amina quand elle s’est levée contre le sexisme et l’intégrisme en Tunisie, envers et contre beaucoup, et je ne le regrette pas le moins du monde. Ce qu’elle a accompli, avec les Femen, est historique. Grâce à elles, on a pu dénoncer haut et fort le sort des prisonniers politiques et la chasse aux féministes et laïques qui sévissait sous le règne de la troïka unissant Ennahdha et ses alliés alibis.

J’ai soutenu Femen à son arrivée en France et je ne le regrette pas. Ce qu’elles ont accompli pour dénoncer le trafic de femmes en Ukraine, l’autoritarisme de Viktor Ianoukovitch, était historique et annonciateur du printemps ukrainien. Leurs provocations ont permis de réaliser le poids qui pèse sur le corps et les seins des femmes, à l’est comme au sud, en Occident comme en Orient. Avec leurs seins, elles ont défié aussi bien les intégristes musulmans que les intégristes chrétiens de Civitas, les députés espagnols voulant abroger le droit à l’IVG et les sénateurs français n’ayant pas voulu sanctionner les clients alimentant la prostitution. Avec panache et parfois excès, mais c’est le propre de toute provocation. Des provocations bien pacifiques au regard de ceux qu’elles ont défiés et souvent vaincus (mais pas toutes seules contrairement à ce qu’elles semblent penser).

Leur maladresse parfois infantile comme à Notre-Dame ou lors du Jihad Topless, le rétrécissement du mouvement à une seule leader, l’infantilisation de certaines militantes et le changement d’époque en Ukraine m’ont convaincue qu’elles avaient été utiles à bien des causes, mais qu’elles tournaient en rond. Leurs excès commençaient à faire plus de mal que de bien. J’ai donc pris le large.

Ma rupture politique puis personnelle remonte aux derniers mois de l’écriture du livreINNA, il y a plus d’un an. Très peu ont compris combien ce livre n’était pas une romance mais au contraire un livre de rupture, écrit avec le souci d’être, malgré tout, le plus juste possible.

En tant qu’éditorialiste et écrivaine, je tiens toujours à distinguer, presque maladivement (et c’était aussi l’objet d’INNA, avec l’Ukraine), ce qui relève de l’affectif et du politique, de l’engagement et du professionnalisme, de l’empathie et de la justesse des faits… Presque de la « justice des faits ». Comme une guerre intérieure, entre la passion que l’on doit mettre pour tenir bon et s’engager, et la raison qui doit être in fine notre seule conseillère quand on bataille avec une plume et non une épée.

On finit par se forger une règle. Par exemple, quand j’approuve une action de FEMEN, je le dis. Quand je la désapprouve, je le dis aussi. Quelle que soit mon humeur, tendre ou fâchée, vis-à-vis de ce groupe, ou d’Amina. Bien qu’elles aient perdu ma confiance, depuis longtemps, elles garderont toujours ma tendresse. Parce que, malgré leur jeunesse et leur maladresse, qu’elles ont payées (par des coups, des gardes à vue, de la prison et des menaces de mort quotidienne, réelles et non fictives), elles tiennent tête au sexisme, à la dictature et à l’obscurantisme. Rares sont ceux qui ont ce cran. Mais ce combat, si noble soit-il, demande de penser aux autres et à sa cause avant soi, de ne pas trahir, d’inspirer la confiance pour convaincre. Quand la confiance est brisée, c’est du courage gâché. Or la confiance est brisée.

Caroline Fourest est l’auteure de INNA (Grasset), qui raconte les espoirs et les désillusions du mouvement FEMEN à travers sa leader Inna Shevchenko, depuis l’enfance en Ukraine jusqu’aux combats contre CIVITAS à Paris en passant par les campagnes avec Amina en Tunisie.

Ni dictature ni islamisme (Abdelwahab Meddeb)

Comme le quotidien Le Monde nous déçoit dans ses jugements sur les situations engendrées par les révolutions arabes ! Cette persistance dans le désaccord donne un goût amer au lecteur qui a été formé à l’école du Monde. Grande est, en effet, notre désolation, nous qui lisons ce journal depuis nos seize ans lorsque de notre Tunis natal nous avons entamé notre initiation aux arcanes de la politique mondiale. Le malaise croît, car, en homme moderne, nous avons fait de la lecture du journal notre prière quotidienne, comme l’annonçait Hegel dès les débuts du XIXe siècle. Aussi Le Monde est-il devenu notre Coran, notre Torah, nos Evangiles. C’est terrible de découvrir que nos feuillets saints ne sont plus en phase avec nos convictions. Lors de ces trois dernières années, nous avons avec constance désapprouvé les positions de notre journal préféré dès qu’il est question et de la Tunisie et de l’Egypte, deux pays qui nous sont chers, très chers, et qui sont à la croisée des chemins, et pour qui nous rêvons le meilleur.

Et ce meilleur n’est certainement pas ce que leur souhaite Le Monde. Lequel fait partie de ceux qui estiment que le passage par l’islamisme est une fatalité historique. Une fatalité qui, dans leur esprit, peut même être heureuse. Il suffit que l’islamisme se fasse conciliant, qu’il rabote ses rugosités, qu’il élague ses aspérités ; il suffit qu’il adopte les formes et les rites démocratiques pour qu’il devienne présentable, acceptable. Bref, il suffit que l’islamisme se vêt des habits de la modération pour qu’il constitue la juste alternative à la dictature. Sinon, l’empêchement des islamistes modérés ne peut que favoriser l’islamisme extrême, radical, violent, exclusiviste, « takfiriste, djihadiste ».

Cette analyse s’adapte au plaidoyer du Qatar auprès des Occidentaux afin de les convaincre de soutenir l’islamisme « modéré » qu’incarnerait le conglomérat international des Frères Musulmans. Cette ligne analytique est à l’origine de l’éloge adressé à la nouvelle constitution tunisienne. Cet éloge ne cesse d’être clamé par la rédaction du Monde. Dans ses éditoriaux et les articles de sa correspondante à Tunis Isabelle Mandraud, à peine évoque-t-on subrepticement les insuffisances, les contradictions, les faiblesses, les futilités, les dangers de gouvernance que comporte la loi fondamentale votée par les constituants tunisiens le 26 janvier 2014.

Du Monde pas un mot négatif n’est parvenu au public sur la cérémonie bâclée organisée par le président provisoire Moncef Marzouki pour chanter sa propre gloire en célébrant la nouvelle constitution. Pourtant des officiels étrangers ayant participé à cette séance m’ont rapporté leur désappointement face à sa défaillante organisation technique. Ils m’ont confirmé la futilité sinon l’infantilisme des responsables tunisiens actuels infatués d’eux-mêmes tant ils ont joué au paon à l’accueil des paroles laudatives des étrangers rivalisant dans leur panégyrique. Etrangers de seconde zone – mis à part le président français François Hollande qui, lui aussi, partage les analyses et les positions du Monde. Non seulement plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement prestigieux étaient annoncés et n’ont pas honoré l’invitation qui leur a été lancée (à l’exemple d’Obama, de Merkel, de Mohammed VI, de Zuma…), mais encore quelques dictateurs africains – assimilables à Ben Ali par leur médiocrité – étaient de la partie. Mais de cet échec, de cette cérémonie confuse et de faible intensité, à laquelle le peuple n’a pas participé, traitée avec indifférence ironique par les médiateurs tunisiens, de tout cela pas un mot n’a été émis par Le Monde. Et la semaine dernière, l’éditorial du Monde daté du 19 février était consacré à la situation en Egypte. Nous y retrouvons à l’œuvre la même grille d’analyse. Selon cet éditorial, pour avoir chassé violemment du pouvoir les Frères Musulmans, représentants de l’islamisme dit modéré, l’Egypte ravive la flamme de l’islamisme radical et violent inspiré par al-Qâ’ida. Ce manquement à la démocratie ravage une Egypte ayant retrouvé la dictature et sa contestation par la terreur.

Pour rectifier cette appréciation, j’esquisserai l’approche que j’estime coller au plus près à la réalité. D’abord l’islamisme radical n’a pu investir le Sinaï et prendre le temps de s’y organiser que par la tolérance que lui a accordé le soi-disant islamisme modéré lorsqu’il jouissait du pouvoir au Caire. Et cet enracinement djihadiste a été facilité par le Hamas, lequel appartient organiquement à la sphère internationale des Frères Musulmans. Telle collaboration est le signe que les islamistes – qu’ils soient Frères Musulmans ou agents d’al-Qâ’ida – ont le même objectif, à savoir l’institution d’un Etat islamique encadrant une société ré-islamisée sur le mode islamiste. Parmi les diverses tendances de l’islamisme, entre partisans de l’extrémisme et ceux du juste milieu, la stratégie est la même, seule la tactique diffère. L’Egypte, victime du terrorisme, récolte aujourd’hui ce que les islamistes prétendument modérés ont semé hier lorsqu’ils disposaient du pouvoir de « lier et de délier » (comme on dit en arabe). En second lieu, nous déplorons, à l’instar du Monde, l’interruption violente du processus démocratique en Egypte au moment même où les Frères Musulmans subissaient une inéluctable érosion de la légitimité qu’ils avaient acquise par les urnes. De même, nous refusons le retour des militaires et surtout le retour au culte de la personnalité, qui nous fait régresser non pas vers Moubarak et Sadate mais plus en amont, vers le populisme de Nasser.

Toutefois, nous ne pensons pas que ce retour soit la conséquence de l’expulsion des islamistes du pouvoir. Celle-ci s’est faite suite à une massive mobilisation populaire contre leur hégémonie et leur rapt de l’Etat. Nous ne pensons pas comme Le Monde que l’alternative soit entre dictature et islamisme décrété modéré (un oxymore !) dont les adeptes sont parvenus au pouvoir par des élections libres. Nous pensons que le salut est dans la troisième voie, celle qui doit au préalable instituer la séparation du religieux et du politique : même là où l’islam est au centre, ce dessein demeure réalisable ; toute une accumulation de pensée écrite en langue arabe y contribue ; on y trouve notamment la déconstruction du dogme forgé par des docteurs assimilant à un article de foi la consubstantialité entre religion et politique (al-islâm dîn wa dawlah). Cette troisième voie est celle de la sécularisation. C’est elle qui est au fondement d’une politique à venir. Nous sommes un certain nombre, en Egypte et en Tunisie, à y croire ; et nous sommes décidés à ne pas lâcher un tel fil, surtout dans la situation indécidable qui est la nôtre aujourd’hui.

Et dans la logique qui en résulte, nous avons à comprendre les raisons qui ont conduit à la victoire électorale des islamistes. Au-delà du désenchantement qu’ils suscitent après la découverte de leur non-expertise dans la gouvernance, nous ne pouvons occulter ces raisons qui sont celles de l’exclusion sociale et du mépris qu’elle encourage. Dans leur libéralisme intégral, les islamistes lui trouvent remède en invoquant la zaqât (l’impôt religieux) et la çadaqa (la vertu de charité). Ce ne sont là que des pis-aller. Les séculiers ont à repenser dans son intégralité la construction sociale et la rémanence féodale qui la corrompt. Ils doivent donner à cette question sa dimension technique et éthique. La question de la pauvreté et de l’abandon social se résout par une plus juste répartition des richesses fondée sur la revalorisation du travail.
Celle-ci trouvera sa confirmation dans l’égalité citoyenne qui a le devoir de donner à chacun les moyens matériels de sa dignité.

Abdelwahab Meddeb

Algérie : Le double jeu de Paris (Saïd KHATIBI)

« Alger n’est pas Bamako ! » commente ironiquement Amine. A, journaliste à la radio. Depuis quelques semaines, suite à la dernière visite du Premier ministre français Jean-Marc Ayrault à Alger (une visite inscrite, au départ, dans un cadre purement économique), des rumeurs circulent sur un probable soutien de Paris au président sortant Abdelaziz Bouteflika (76 ans), pour briguer un quatrième mandat consécutif. Ce dernier, depuis son retour de l’hôpital militaire Val-de-Grâce, mois de juillet dernier, où il a séjourné plus de trois mois, en chaise roulante, n’a reçu aucun des officiels occidentaux ; sauf des français, d’abord le maire de Paris : Bertrand Delanoë, qui lui a proposé «projets communs, entre les deux capitales, en matière de gestion urbaine, à long terme », ensuite le chef du gouvernement socialiste, à qui il a adressé une phrase qui ne cesse de susciter polémique : «Soyez fiers de ce que vous avez fait au Mali, dites-le au Président Hollande ».

L’Algérie officielle qui s’attache, depuis son Indépendance(1962), dans ses affaires étrangères, à la notion de la « non-ingérence » change récemment, sous Bouteflika, le disciple parafait du Colonel-Président Houari Boumediène(1965-1978), de discours, et salue l’intervention militaire de l’armée française au nord du Mali, début 2013. Une prise de position surprenante qui a, certainement, fait plaire à l’Elysée, et à Ayrault en personne qui s’est, mois de décembre dernier, réjoui de jouer, volontairement, le rôle de porte-parole de la présidence algérienne, en s’adressant, dans une conférence de presse, à des ministres et à des journalistes locaux : « L’entretien de 45 minutes (avec Bouteflika) s’est très bien passé, c’est quelqu’un de très courageux après sa maladie ». Ajoutant:« Il est très bien informé sur les dossiers (…) J’ai été très surpris qu’il suive à ce point la situation ». Les déclarations d’Ayrault vont, en contradiction, avec le discours de l’opposition, qui avance une image négative sur Bouteflika ; comme étant un président affaibli par la maladie, incapable de suivre l’actualité et poursuivre son travail, et ses engagements, censé céder, après quinze ans au pouvoir, sa place.

Entre 1963 et 1978, en sa qualité de ministre des affaires étrangères, Bouteflika était toujours l’homme fort du pouvoir algérien, le plus proche de Paris. A son retour au Palais El Mouradia en 1999, il a relancé de bonnes relations diplomatiques avec les français, après des années de relations tendues, sous l’ancien président le Général Lyamine Zeroual. Cependant, durant le mandat de Nicolas Sarkozy, les relations bilatérales ont connu un véritables passage à vide, surtout après l’invasion de La Libye, avant de se renforce, de nouveau en 2012, avec le retour des socialistes.

L’AQMI et le Sahara

Depuis six mois, Bouteflika a entamé des changements au sien de son staff diplomatique à Paris. Il a désigné Amar Boudjema nouvel ambassadeur (août dernier), en remplacement de Missoum Sbih, en poste depuis 2005, puis Aïssa Kheladi, ancien DG de l’ENTV, comme nouveau directeur du Centre Culturel Algérien (CCA), à la place de l’ancien militaire et écrivain Yasmina Khadra, qui a surpris tout le monde, mois d’octobre dernier, en annonçant ses vœux de se présenter aux prochaines élections présidentielles. Des changements qui expliquent, peut-être, une nouvel ère dans les relations algéro-françaises, et une volonté annoncée de donner une nouvelle image sur les trois précédents mandats de Bouteflika, marqués surtout par la fin du terrorisme islamiste, mais aussi par l’explosion des affaires de corruption ; avec notamment le cas de l’ancien magnat Abdemoumene Rafik Khalifa, réfugié à Londres depuis 2002, et remis entre les mains des autorités algériennes fin 2013, et l’ex-ministre de l’énergie, très proche de Bouteflika, Chekib Khelil, qui fait, depuis peu de temps, l’objet d’un mandat d’arrêt international, lui et son épouse, et deux de ses enfants. Paris préfère fermer les yeux aux nombreux scandales qui secouent Alger (qui occupe la 94ème place dans l’indice de corruption 2013, établi par Transparency International), gardant toujours ses collaborations avec le système en place autour des questions de la sécurité et du terrorisme dans les pays du Sahel, et les possible stratégies visant à rétrécir la zone d’opération de l’AQMI, qui s’étend du Sahara algérien jusqu’au Niger, Mali et la Mauritanie, en menaçant des intérêts français. Donc, Paris trouve dans la personne d’Abdelaziz Bouteflika, et son entourage, un allié stratégique, et un soutien permanant, dans sa guerre contre le terrorisme, et les groupes djihadistes opposants à la présence occidentale dans la région. De son coté, Alger ne cesse de jouer la carte de « bonnes relations » avec la France pour faire pression sur son voisin marocain, et redynamiser le dossier du Sahara Occidental.

Le vent du printemps arabe n’a pas soufflé sur Alger, et le système mis en place n’envisage, pour le moment, faire sa révolution, et changer sa politique intérieure, qui mène le pays vers un avenir incertain. Les deux puissants partis politiques : FLN et RND (majoritaires au parlement) ont déjà affiché leurs couleurs et annoncé leur soutien à Boutflika pour un quatrième mandat. A l’approche des élections présidentielles, en dehors des enjeux géopolitiques, le soutien extérieur d’un président sortant ou d’un autre candidat, l’Algérie semble, de plus en plus, déterminée à mettre fin à une époque révolue, tourner la page de son passé proche, et s’engager dans un processus démocratique et réel.

Saïd KHATIBI

La contre marche (Brigitte Stora)

« Je n’ai pas fait un film sur la marche de Beurs mais un film sur la marche pour l’égalité et contre le racisme », ainsi s’exprimait le cinéaste Nabil Ben Yandir, réalisateur du film La Marche. Lors d’une avant première au musée de l’immigration. Ce beau film généreux reconstitue l’itinéraire de ces jeunes marcheurs qui traversèrent la France puis furent accueillis à Paris par plus de 100 000 personnes. Les jeunes générations y découvriront la formidable solidarité qui a uni les marcheurs et leurs soutiens tout au long d’un parcours difficile puis la joie et la dignité d’une gigantesque manifestation qui accueillit leur arrivée à Paris.

Le mot beur que réfute Nabil ben Yandir fut surtout une invention des médias, réductrice, puisqu’elle ne concernait que les jeunes issus de l’immigration maghrébine, elle ne fut que rarement utilisée par les intéressés, c’est pourtant le mot et l’on en comprendra l’intention, du titre du documentaire de Samia Chala … chronique des années beurs.

Diffusé sur la chaine parlementaire et relayé par la plupart des médias, ce documentaire prétend nous raconter l’envers du décor, nous ouvrir les yeux (1). Les vrais marcheurs vont-ils parler ? Azouz Begag ouvre le documentaire sur un constat d’échec. « Les jeunes n’ont jamais entendu parler de ce que nous avons fait ». Le « nous » est appuyé, on espère une explication sur ce « défaut de transmission » de la part des porteurs de mémoires, hélas ce documentaire, essentiellement à charge, n’abordera jamais la question. Passons sur le fait que la plupart des interrogés n’ont jamais fait la marche. Après tout un mouvement n’appartient jamais à ceux qui l’ont initié mais sans doute encore moins à ceux qui l’ont ignoré voire combattu. Le discours, pourtant légitime, sur la récupération politique et la non prise en compte des jeune issus de l’immigration, ne manque pas de saveur dans la bouche d’Azouz Begag, ancien ministre d’un gouvernement de droite ou dans celle de Djida Tazdaït ancienne députée européenne chez les Verts désormais candidate du Modem… Si Magyd Cherfi du groupe Zebda reconnaît la place que ces jeunes d’origine maghrébine ont fini par occuper dans le champs culturel, ses propos sur la nationalité française vécue « comme un coup de poignard dans le dos de son père » laissent rêveur, on aurait espéré plus de fraternité de la part de celui qui fit danser la France entière avec « tomber la chemise ». Mais tout cela ne serait rien sans l’explication de « comment les « Beurs » se sont fait avoir ». Cette explication, dans la droite ligne des discours conspirationnistes, c’est Farida Belghoul qui la porte. Mme Belghoul ne fut pas une marcheuse, ancienne militante de l’Union des étudiants communistes, elle initia la marche de Convergence 84. Devenue proche des islamistes, cette dernière s’affiche désormais aux côtés d’Alain Soral et c’est sur un ton sentencieux qu’elle énonce que la « création de SOS racisme ne correspondait pas aux intérêts de la France … »

A ce stade il faut peut-être quelques repères.

Après la marche de 83 n’eut pas de traduction politique, en juillet 1984 eurent lieu les Assises de Lyon : des débats houleux avec d’un côté, les «communautaires», partisans du «lobby beur», de l’autre, ceux qui considèrent que «La France, c’est comme une mobylette, pour avancer il lui faut du mélange»… Ces derniers seront à l’origine de l’initiative Convergence 84. Le 6 décembre 1984, plus de 30 000 ; jeunes pour la plupart accueillent les rouleurs. Mais c’est aussi ce jour-là que la principale initiatrice de Convergence et héroïne du doc prononce un discours où il est question de « faire du beur à l’envers un Arabe à l’endroit » où les « fachos, gauchos, cathos » sont mis dans le même sac où il n’est plus question de s’adresser aux « convaincus » que sont les antiracistes. Ce discours ne méritait sans doute pas d’entrer dans l’histoire mais il offrit un vide et c’est sur ce vide que va se créer SOS racisme. Le projet des fondateurs de SOS Racisme se veut large et consensuel. Face à la montée du Front national, il s’agit pour eux d’avantage d’affirmer des valeurs que des revendications, concerts géants, parrainages nombreux, SOS réunira en juin 85 quelque 300 000 personnes à la Concorde.

On peut partager bien des choses qui sont dites dans ce doc. Car si la France de 2013 ne ressemble plus à celle de 83, 30 ans après le constat reste mitigé. Les jeunes issus de l’immigration se sont largement intégrés, des musiciens, chanteurs, comédiens, sportifs et autres font désormais partie du paysage hexagonal et sont régulièrement cités comme personnalité préférées des français. La politique, toujours en retard, a fini elle aussi par leur faire une place. Moins médiatisés et plus nombreux sont ceux qui, issus de parents ouvriers ont intégré les grandes écoles, sont devenus chercheurs, avocats, enseignants. Pourtant les problèmes demeurent ; dans les cités la drogue et son cortège de violence et de mort n’en finit pas de miner l’espoir et le vivre ensemble, les années sida ont décimé les rangs de nombreux acteurs de la vie associative. La mixité ethnique plus visible aujourd’hui qu’hier sur la scène publique a pourtant presque disparu de certains quartiers relégués où l’absence de perspective et le taux de chômage atteignent des niveaux inégalés. Le repli sur soi et la perte de certaines valeurs ont formé un terreau favorable aux discours de haine que les islamistes utilisent à leur fin. Tout cela aurait pu être abordé voire éclairé par des sociologues et des historiens loin du « complot sioniste » qui sert d’explication au monde et que reprend à son compte Farida Belghoul aux côtés d’Alain Soral qu’elle a récemment rejoint. Légitimer A. Soral et son site « Egalité et réconciliation » aux yeux de l’immigration et de ses héritiers constitue à la fois une faute morale et politique. F. Belghoul est inexcusable. C’est Houria Boutelja patronne des indigènes de la république qui l’écrit… A l’heure du repli sur soi, de la haine de l’Autre qui s’exprime çà et là, à l’heure où des insultes racistes qu’on croyait d’un autre âge s’expriment ouvertement, à l’heure aussi où des enfants dans ce pays ont été assassinés, peut-on encore laisser diffuser cette petite musique sur la chaine parlementaire à une heure de grande écoute ? Peut-on promouvoir sans aucune responsabilité les marchands de haine ? 30 ans après la marche, est-ce de cela que notre pays a besoin ?

Brigitte Stora

(1) Médiapart De la trahison des «Beurs»: retour sur une marche récupérée 18 NOVEMBRE 2013 | PAR ANTOINE PERRAUD Voilà 30 ans, ils défilaient pour l’égalité et contre le racisme. Ils ne trouvèrent que paternalisme et faux-fuyants de la part d’une gauche moralisante, prompte à transformer la politique en spectacle. Un documentaire nous ouvre les yeux sur ce jeu de dupes, dont les Français issus de l’immigration ne cessent de faire les frais…

« il fallait lire, naturellement « Lettre aux Cons Vaincus » – le texte dénonçait les « faux anti-racistes ». Alors qu’en tout état de cause, il s’agissait d’alliés dans la lutte anti-raciste », Albano Cordeiro, membre de la Coordination nationale de Convergence 84 pour l’Égalité.

mardi 26 novembre 2013

Un mot de Djemila Benhabib

Cher(e)s ami(e)s

À l’été 2012, j’étais en pleine rédaction de mon troisième ouvrage Des femmes au Printemps en hommage aux femmes tunisiennes et égyptiennes paru au Québec en novembre 2012 ainsi qu’en France et en Algérie, quelques mois plus tard, sous le titre de L’Automne des femmes arabes lorsque j’appris qu’une école musulmane avait eu recours aux services d’un avocat pour m’intenter une poursuite en diffamation en raison de propos que j’avais tenus, en février 2012, à l’émission radiophonique de Benoît Dutrizac au 98,5 fm.

La journée s’annonçait chaude. Elle l’a été, en effet. Mais certainement pas pour les raisons que j’avais anticipées. Je ne sais si c’est l’atmosphère du Caire ou de Tunis qui rendait mes doigts moites. Deux villes époustouflantes que je venais de quitter après un séjour de quelques semaines. Mon cœur brûlait d’espoir. Ma tête tremblait d’inquiétude. Une brèche venait de s’ouvrir. Les murs du temple étaient désormais ébranlés! Je me mettais à rêver, encore une fois, exactement comme en 1988 à la naissance du multipartisme en Algérie. C’était, bien entendu, avant l’apparition du Front islamique du salut (FIS) et de ses armées sanguinaires. Comment rester indifférent à la brûlure des autres quand au moins une fois dans sa vie on a frôlé l’enfer?

De retour au Québec, j’étais surtout hantée par les visages lumineux de ces résistantes et résistants qui manifestaient nombreux, les mains nues, contre les escadrons de la mort salafistes et de leurs acolytes les Frères musulmans. Ici, j’étais loin de ces prêches haineux appelant à l’assassinat des démocrates jugés « trop libres » et des « maudites femmes occidentalisées », de ces mains d’hommes agrippant des bouts de chair et de cette déferlante de voiles noires déambulant dans les rues. Ici, j’étais redevenue une femme libre.

Je m’étonnais à peine d’une telle « contrariété ». Sans doute, à cet instant-là, je n’ai pas pris la mesure réelle de cette cabale juridique qui s’orchestrait contre moi. Elle me paraissait si dérisoire comparativement à ce souffle de liberté qui embrasait le monde arabe. Je crus que le temps de l’immobilisme, de la vie sèche et des âmes mortes étaient désormais dépassé. « Je veux écrire», dis-je au téléphone à un ami volant à mon secours pour me prodiguer quelques judicieux conseils. «Tu comprends? Il faut que je finisse ce livre, impérativement», insistais-je.

Poursuivre mon travail d’écriture et m’y consacrer entièrement était une promesse à laquelle je m’accrochais grâce notamment à quelques soutiens inattendus qui m’ont permis de réagir efficacement, étouffant ainsi ce sentiment d’injustice qui m’envahissait.

Car moi aussi il m’arrive quelquefois de désespérer de la démission d’une bonne partie de nos élites, de leurs omissions calculées, de leur aveuglement obstiné, de leurs silences trop nombreux, de leur lâcheté décomplexée et de leur grande complaisance face à l’islam politique. Un monde endormi dans son confort et bluffé par son indifférence est-il en meilleure posture qu’un monde rongé par la barbarie?

Mon cœur s’est remis à battre de joie. Et il battait de plus en plus fort au fur et à mesure que ma plume s’abandonnait. Les mots faisaient tant de bruit en moi. Mais ils étaient en même temps si peu de choses. Et puis Des femmes au Printemps a remporté le Prix Gérald Godin décerné par la Ville de Trois-Rivières! C’était en mai dernier. Mon nom désormais lié à celui d’un géant, quel ravissement! Quelques mois auparavant, une autre ville m’accueillait, celle de Paris, pour me décerner une autre distinction, le Prix international de la laïcité. C’était le nirvâna…version laïque, bien entendu!

Qu’ajouterais-je à tous ces événements? Sinon que je ne cherche à convaincre personne de la justesse de mes propos pour lesquels on me poursuit. Chacun est en mesure de se faire une idée sur le bien-fondé de cette cause. Une chose est sûre, jamais je n’accepterai de faire silence sur une terreur dont je connais les moindres contours, les ambitions liberticides et les stratégies diaboliques.

Cela fait plus d’un an que ça dure et ça peut durer pendant longtemps encore. Je le sais. J’avoue, certains jours ont été plus difficiles que d’autres, certaines nuits trop brèves. Quelques projets ont malheureusement été renvoyés aux calendes grecques. D’autres, par ailleurs, ont abouti parmi lesquels un séjour en Afghanistan l’été dernier qui se conclura par un récit dans ce coin du monde des ombres bleues grillagées.

Dans cette épreuve, j’ai toujours été soutenue et accompagnée d’une façon formidable par mon compagnon, Gilles Toupin, mes parents, Kety et Fewzi, ma famille, mes avocats, mes éditeurs, mes nombreux amis et tant de personnes anonymes qui me témoignent leur soutien. J’ai des raisons d’espérer! Car mon engagement me lie à chacun d’entre vous et puise ses racines dans une même communauté de destins. Celle d’une humanité en mouvement débarrassée des carcans ethniques et religieux. Ma communauté, c’est l’humanité toute entière. Ma religion, ce sont Les lumières. C’est grâce à vous toutes et tous que j’ai pu garder la tête hors de l’eau, avancer dignement, continuer coûte que coûte sur ce si long chemin.

À vous toutes et tous je dis merci du plus profond de mon être. À vous toutes et tous qui, inlassablement, jour après jour, continuer de me gratifier de votre solidarité, une solidarité qui prend mille et un visages, je dis merci encore et toujours! Surtout, soyez les témoins bruyants de votre époque!

Quant à moi, rien ni personne ne me fera taire. Je ne connais ni la peur ni la fuite. Je reste convaincue qu’il n’est pas moins urgent, aujourd’hui qu’il y a trois siècles, de lutter contre les tentations obscurantistes, la bigoterie, la censure et le fanatisme. Les défis de ce début de siècle nous imposent une lucidité et un engagement encore plus grands que par le passé. Merci encore !

À très bientôt!

Djemila B.

http://jesoutiensdjemila.org/index.php/un-mot-de-djemila-benhabib/

mercredi 6 novembre 2013

Manifeste des douze contre le nouveau totalitarisme

Puisqu’il est toujours valable, voici le « manifeste contre le nouveau totalitarisme » co-rédigé par Caroline Fourest et Mehdi Mozaffari après l’affaire des caricatures, signé par Salman Rushdie ou Taslima Nasreen, et publié dans Charlie Hebdo en 2006.

19896012

Après avoir vaincu le fascisme, le nazisme, et le stalinisme, le monde fait face à une nouvelle menace globale de type totalitaire : l’islamisme.

Nous, écrivains, journalistes, intellectuels, appelons à la résistance au totalitarisme religieux et à la promotion de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité pour tous.

Les évènements récents, survenus suite à la publication de dessins sur Mahomet dans des journaux européens, ont mis en évidence la nécessité de la lutte pour ces valeurs universelles. Cette lutte ne se gagnera pas par les armes, mais sur le terrain des idées. Il ne s’agit pas d’un choc des civilisations ou d’un antagonisme Occident – Orient, mais d’une lutte globale qui oppose les démocrates aux théocrates.

Comme tous les totalitarismes, l’islamisme se nourrit de la peur et de la frustration. Les prédicateurs de haine misent sur ces sentiments pour former les bataillons grâce auxquels ils imposeront un monde liberticide et inégalitaire. Mais nous le disons haut et fort : rien, pas même le désespoir, ne justifie de choisir l’obscurantisme, le totalitarisme et la haine.

L’islamisme est une idéologie réactionnaire qui tue l’égalité, la liberté et la laïcité partout où il passe. Son succès ne peut aboutir qu’à un monde d’injustices et de domination : celle des hommes sur les femmes et celles des intégristes sur les autres. Nous devons au contraire assurer l’accès aux droits universels aux populations opprimées ou discriminées.

Nous refusons le « relativisme culturel » consistant à accepter que les hommes et les femmes de culture musulmane soient privés du droit à l’égalité, à la liberté et à la laïcité au nom du respect des cultures et des traditions.

Nous refusons de renoncer à l’esprit critique par peur d’encourager l’ « islamophobie », concept malheureux qui confond critique de l’islam en tant que religion et stigmatisation des croyants.

Nous plaidons pour l’universalisation de la liberté d’expression, afin que l’esprit critique puisse s’exercer sur tous les continents, envers tous les abus et tous les dogmes.

Nous lançons un appel aux démocrates et aux esprits libres de tous les pays pour que notre siècle soit celui de la lumière et non de l’obscurantisme.

Signatures

Ayaan Hirsi Ali

Chahla Chafiq

Caroline Fourest

Bernard-Henri Lévy

Irshad Manji

Mehdi Mozaffari

Maryam Namazie

Taslima Nasreen

Salman Rushdie

Antoine Sfeir

Philippe Val

Ibn Warraq

Date : 2006

Choisir jusqu’à sa mort (Odile Dhavernas)

Mettre sa vie sous le signe de la responsabilité, de l’autonomie personnelle. Du choix, donc.

C’était bien ce que nous voulions lorsque nous réclamions la liberté de la contraception et de l’avortement. Disposer de notre propre corps, donner ou non naissance à un enfant, décider d’un mode de vie faisant sa part à la famille, aux responsabilités éducatives, ou l’excluant. Bref, maîtriser et diriger notre existence, en fonction de nos préférences, de nos aptitudes, de nos désirs.

C’est encore ce que veulent les personnes qui refusent d’accepter, pour elles-mêmes, la perspective d’une fin de vie qui serait marquée par des souffrances intolérables, le sentiment d’une déchéance liée à l’infirmité, à la dépendance, et qui revendiquent l’instauration du droit à l’euthanasie volontaire. Elles pourraient ainsi, le jour venu, si elles le demandent expressément et lucidement, obtenir l’aide à mourir de façon douce et paisible qu’aucun médecin, aujourd’hui, n’est en droit de leur procurer.

Je veux pouvoir refuser une agonie abominable, interminable, subie dans l’horreur, pour moi et pour mes proches. Je veux pouvoir dire : stop, on arrête tout, si mon existence n’est plus pour moi qu’un fardeau. Et pourquoi me l’interdit-on? Là encore, c’est mon corps, c’est mon choix. Libre aux autres de penser et de mourir autrement, sous assistance respiratoire, perfusions en tout genre ou au terme d’un long coma; mais si comme le dit la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, voilà une grande liberté qui mérite d’être reconnue et conquise. Avec l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), c’est ce que des milliers d’hommes et de femmes demandent, et obtiendront car tous les sondages montrent que la grande majorité des Français le souhaite. Alors, pourquoi la timidité à ce sujet, de la classe politique?

Une proposition de loi est déposée au Sénat : faisons-la voter.

Odile Dhavernas, Membre de l’ADMD,

103 rue Lafayette, 75010 Paris

mercredi 12 novembre 1997